Cessions et concessions, les entrepreneurs, ces drôles d'oiseaux dans leurs drôles de start-up !

Si j'admire la détermination de mes confrères qui sont arrivés à émouvoir une partie de l’opinion grâce à la sympathie que drainent les entrepreneurs du web, je constate que le gouvernement joue de son côté avec une grand habileté. Ayant placé la barre si haut, avec quelques concessions mineures, il parviendra à pigeonner les pigeons qui devront se contenter d’une microscopique victoire. Le grand perdant : l'emploi.

La cession au coeur de cycle de vie de l'entreprise.

Retour à la case départ depuis hier, jeudi 4 octobre ? Le gouvernement aurait fait marche arrière sur la fiscalité des entreprises ?

Un petit pas en arrière alors et si peu en avant pour favoriser l'emploi. Les "concessions" obtenues n'ont rien de nouveau. Depuis 20 ans déjà, qui met ses parts dans une holding pour les réinvestir, ne paye pas de taxe !

Mais là où le bât blesse aujourd'hui, c'est la date de départ de la dégressivité de la plus-value. En clair, qui détient des parts depuis 12 ans, a droit à un abattement de 40%. Donc, doit payer 60% de 60% soit 36% … comme avant, donc.

Fair enough … sauf que ... Sauf que, désormais la date de détention commence à partir du 1/1/12 … en clair, ce serait comme créer une nouvelle taxation des plus-values immobilières, exonérée sur 15 ans ... Mais, pour qui a acheté sa maison il y a 20 ans … tant pis pour lui, les compteurs sont remis à zéro !

On peut légitimement se demander, quelle que soit sa couleur politique, si ce gouvernement, dont quasiment aucun membre n'a réellement travaillé en entreprise, sait ce qu'il fait - tout comme les précédents d’ailleurs. L'épisode du récent abattement provisoire de 20% sur les plus-values de cessions immobilières décidé par le précédent gouvernement est révélateur. Comme plus personne ne vend, les régions ne touchent plus les taxes, et il y a moins à collecter moins qu’avec la loi précédente !

Mais revenons à nos moutons-pigeons.

Qui va perdre dans l’histoire ?

Les entrepreneurs ?  Sans doute, mais j'aurais été surpris que les français s’apitoient longtemps sur le sort de ceux qui auront gagné 3, 10 ou 100 millions d'euros et à qui on aurait dit devoir se contenter d’en garder seulement un tiers. Finalement, ce sont, dans l’absolu des sommes considérables même s’il n'était resté "que" 1, 3 ou 30 millions d'euros. «Puisque nous voulons accroître la compétitivité, nous n’allons pas pénaliser ceux qui prennent des risques», a (r)assuré hier Matignon. Soit.

Un entrepreneur, pardonnez-moi cette Lapalissade, c'est fait pour entreprendre, donc un certain nombre d’entre nous aurait subi l’imposition en se disant que la somme perçue n’est pas si négligeable, mais qu’ils ne se feront pas avoir deux fois et que la prochaine fois, ils entreprendraient ailleurs. C'est le choix qu'ont déjà fait certains. C’est finalement la base de entrepreneuriat : on tente beaucoup de choses, on se trompe souvent, mais la règle de base est de ne jamais faire deux fois la même erreur. Donc ceux qui réussissent et se sont fait plumer une fois, partent créer de la valeur ailleurs pour ne pas se faire plumer une deuxième fois.

Mais le vrai sujet est ailleurs. Les choses se passent rarement dans l'insouciance d'un « tiens, super, j’ai un acheteur, je vais vendre ma boite ». Avant cela, il y a une histoire et ceux qui ont réussi à vendre leur entreprise savent que c’est un cheminement long auquel on pense dès le jour de création de l'entreprise.

Lorsqu’une entreprise doit se développer vite (et que ce soit clair, dans le monde d’aujourd’hui, il faut obligatoirement aller vite car seule l’exécution d’une idée compte et non pas l’idée en elle), elle est obligée de faire appel à des investisseurs. Ce n’est pas un choix, c’est une obligation. Vous trouverez toujours l’exception qui confirme la règle, mais restons concentrés sur le modèle économique générique. Pas d’investisseur, pas d’entreprise à forte croissance.

Le gouvernement argue que les fonds d’investissement n’étant pas soumis au régime de l’impôt sur le revenu, cela ne changera rien pour eux. En théorie, c’est exact, mais en pratique ce n’est pas l’important.

Lorsque des investisseurs rejoignent les fondateurs d’une entreprise, la préoccupation principale est justement que les uns et les autres auront souvent des intérêts divergents mais qu’ils devront trouver des terrains d'entente. 

Un fonds d’investissement peut avoir une durée de vie limitée, dans un tel cas de figure, céder son investissement au bout de 5 ou 8 ans sera un maximum pour lui. Au contraire certains fonds ne peuvent pas vendre trop tôt car il ne peuvent réinvestir deux fois de suite les sommes confiées. Dans un  tel cas, c’est bien de faire un multiple de 2 en 2 ans, mais c’est mieux de faire un multiple de 4 en 4 ans.

Bref, les situations sont complexes, les intérêts des fonds et des entrepreneurs divergent souvent et le fait de taxer à ce point les cessions aboutira à des blocages ridicules. Bien des entrepreneurs décideront de ne pas céder, considérant que la plus-value nette n’est pas suffisante et ils attendront un jour meilleur. Tous les investisseurs vous diront qu’on ne peut pas vendre une entreprise un bon prix si le créateur n’est pas vendeur. Les acheteurs savent qu’une fois qu’ils auront sorti les fonds d’investissement il ne restera que les créateurs pour leur transmettre la valeur de l’entreprise.

Pas grave, me direz-vous, c’est le problème des fonds et des entrepreneurs. Grossière erreur car ils ne sont pas les seuls concernés.

Le cycle de vie des entreprises de forte croissance procède obligatoirement de levées de fonds et de cessions.

L’opportunité de sortie la plus classique est une cession à un industriel. Et c’est très positif car l‘industriel ne choisit pas une société pour en faire son quatre heures. Il considère en effet qu’en rachetant l’entreprise, il saura lui apporter un accès au marché, des débouchés, autant d'opportunités pour l’entreprise achetée et donc pour lui-même. Il a une clientèle, il sait que l’entreprise achetée aura du mal à accéder seule à cette clientèle et qu'il pourra multiplier par 5, 10 ou 100 la taille de l’entreprise achetée. Je vous laisse faire les calculs en nombre d’emplois créés. La fameuse compétitivité dont on nous rebat les oreilles se trouve aussi dans un accès moins onéreux à une clientèle plus large.

Lorsque Rakuten a racheté PriceMinister, Pierre voudra bien me pardonner de prendre son cas en exemple, c’était certainement une opportunité pour les fondateurs et les investisseurs, mais aussi une opportunité pour les actuels et futurs collaborateurs.  L’entreprise devient plus organisée, plus pérenne sur son marché, elle découvre de nouveau débouchés, elle peut lutter contre des concurrents qui quelques mois plus tôt étaient des menaces fortes (eBay, Amazon). En rachetant Priceminister, Rakuten offre une énorme opportunité de création d’emplois en France. Si pour quelque raison que ce soit ils n’avaient pas pu acheter PriceMinister, ils auraient acheté une entreprise allemande, anglaise ou italienne … qui aurait fortement concurrencé Priceminister et au lieu de créer de la valeur en France nous en aurions détruit. Je peux reprendre l’exemple pour Instagram avec Facebook et pour des centaines d’autres entreprises dans tous les pays du monde. 

Il est évident qu’avec de tels taux d’imposition, l’entrepreneur, qui, soit dit en passant, a de grandes chances de se faire sortir deux ou trois ans après la vente, aura certainement de grandes réticences à céder, car il mettra dans la balance l’opportunité de garder son entreprise et son salaire pendant quelques années de plus et de la valoriser mieux plus tard. Trop tard peut être. Trop tard car le train sera passé, les acheteurs auront choisi d’autres concurrents européens et son entreprise sera tombée du statut de « star » à celui d’étoile morte.

Céder son entreprise n’est pas uniquement l’opportunité pour l’entrepreneur de s’enrichir, c’est aussi une opportunité pour l’entreprise elle-même de grandir de façon importante. Donc de créer de la richesse localement.

Empêcher les entrepreneurs de céder leurs entreprises dans de bonnes conditions aurait donc deux conséquences grave pour l'emploi.

Premièrement celle que l’on entend tous les jours dans la presse : les entrepreneurs iront entreprendre ailleurs. C’est possible et même probable, mais finalement la plupart des français ne perçoivent immédiatement pas le danger inhérent au manque d’entrepreneurs en France, ils s’en moquent. Peut-on les comprendre ? L'équation est pourtant simple. Pas d'entreprise créée, pas d'emplois induits. Des entreprises créées à l'étranger au lieu de la France ce sont des emplois créées ailleurs et pas en France.

La seconde conséquence est toute aussi grave, il n’y aura plus de consolidation d’entreprises en France, les entreprises étrangères qui voudront grandir en Europe iront acheter nos homologues allemands, anglais ou italiens, qui deviendront nos premiers concurrents, mais avec des moyens bien plus importants, rendant de fait la compétition inégale. Le premier perdant sera encore une fois l’emploi en France.

Seules les entreprises créent des emplois, l’état ne créant des emplois qu’avec la richesse créée puis partagée par les salariés des entreprises. Seuls les entrepreneurs créent et développent des entreprises. Si l’emploi est réellement le nerf de la guerre, et qui pourrait dire qu’il ne l’est pas, il est criminel pour son pays d’empêcher ceux qui savent et peuvent entreprendre de le faire en France. Dangereux de les empêcher de partager leur passion à leurs collaborateurs et de donner à ceux-ci  l’envie d’entreprendre, de créer et partager, en France, la richesse générée, en France. C'est à la fois aussi simple et aussi compliqué que cela.