Le comité secret qui nomme les dirigeants de l'ICANN
Concept novateur, le "NomCom" est un organisme chargé de sélectionner des candidats aux postes clefs de la gouvernance sur Internet. Un comité important, qui doit évoluer pour rester pertinent.
Vingt personnes ont une fonction et un statut
particulier au sein de l'ICANN, l'instance de droit californien en charge de
fixer les politiques de gouvernance technique de l'Internet. Ils nomment certains
membres du conseil d'administration de l'ICANN, du conseil du GNSO (en charge des
extensions génériques), du ccNSO (pour les extensions nationales) et de l'ALAC
(organisme représentant les utilisateurs d'Internet).
Dans les réunions de l'ICANN, ces vingt individus
sont des fantômes. Enfermés dans des bureaux discrets, ils ne signalent pas
leurs prises de décisions par de la fumée blanche. Pourtant, ce conciliabule
rappelle un peu le conclave du Vatican. Il s'agit du "nominating committee", surnommé "NomCom",
une des instances les plus originales des organes de gouvernance de l’Internet
mondial.
Idée originale
Créé en 2003, le NomCom puise ses membres dans
les différentes entités de l'ICANN. Ils assurent des mandats d'un an. Chaque
année, la composition du comité est donc sujette à modification.
L'idée derrière sa création est originale.
Garantir une voie alternative aux postes clefs de l'ICANN. Permettre à ceux qui
vont avoir une influence importante sur les décisions et les fonctionnements du
régulateur de l'Internet de ne pas provenir uniquement du sérail. Le NomCom
doit fonctionner un peu comme un chasseur de têtes, allant chercher le talent
là où l'ICANN ne l'attend pas forcément.
Le comité a donc été conçu pour agir de manière
indépendante. Le conseil d'administration de l'ICANN ne peut lui imposer sa
volonté. Statut à part, pouvoir de nommer à des postes clefs, tout cela donne au
NomCom une aura très spécifique.
Impact considérable
Pour préserver son fonctionnement atypique, le
NomCom se fait secret : réunions, délibérations, critères de choix et identités
des candidats non dévoilés. La seule information à filtrer vient en fin
d'année, avec la liste des candidats retenus.
Ainsi les sélections 2012 viennent-elles
d'être rendues publiques. On sait donc que le NomCom a reçu 73 candidatures.
Qu'il a nommé 3 personnes au conseil d'administration de l'ICANN, dont deux y
étaient déjà. Idem pour l'ALAC, ou les 2 détenteurs des sièges existants ont
été reconduits. Pour le ccNSO, le NomCom 2012 n'a pas défriché de nouveaux
terrains puisque la personne sélectionnée siégeait jusque là au conseil du
GNSO. Seul ce GNSO a d'ailleurs reçu du sang neuf, l'avocate américaine retenue
par le NomCom pour y siéger lors des 2 prochaines années n'était pas connue à
l'ICANN auparavant.
A l'origine, la mission du NomCom est d'amener
des gens extérieurs à l'ICANN. En pratique, on le voit avec les sélections du
NomCom 2012, il s'agit souvent de reconduire l'existant. Alors oui, certains
des choix ont eu un impact considérable sur l'ICANN. Par exemple, ce comité a nommé
deux des grandes figures de l'histoire de l'ICANN, tous les deux considérés
comme des "pères" de l'Internet. Vint Cerf, fut ainsi président du conseil
d'administration de l'ICANN pendant plusieurs années, avant de rejoindre Google
avec comme intitulé de poste "évangéliste en chef de l'Internet" (ça
ne s'invente pas !). Steve Crocker, son ancien collègue et ami de l'université
de Californie, est l'actuel président du conseil d'administration de l'ICANN.
Mais avait-on vraiment besoin d'un NomCom pour
comprendre qu'un Cerf ou un Crocker, qui étaient déjà là avant même la création
de l'ICANN, avaient un rôle clef à jouer ?
Il faut éviter à ce comité de ressembler à un collège
cardinalice au sein duquel les jeux politiques servent plus les intérêts des
membres existants que ceux de la structure dans son ensemble. Or la structure
au service de laquelle le NomCom est censée être, l'ICANN, est justement
parfois contestée sur le terrain des conflits d'intérêts. Elle se doit donc
d'être droite dans ses bottes.
Surtout compte tenu de l'influence du NomCom sur le conseil d'administration de l'ICANN. Le NomCom y choisi en effet 8 des 21 membres, soit près de 40% !
Propositions
de changement
Pour rester proche de sa mission initiale, le
NomCom doit changer. Par exemple, l'obsession de la réélection étant un mal endémique en
politique comme à l'ICANN, pourquoi ne pas interdire à ceux qui ont déjà été
sélectionnés par le NomCom de s'y représenter ?
Autre suggestion : pourquoi ne pas obliger le NomCom à publier ses
critères de sélection ? Bien entendu, la protection des candidats requiert une
confidentialité évidente. Pas question de dévoiler leur identité. Mais le
NomCom pourrait expliquer pourquoi certains ont été choisis et d'autres non, ce
qui permettrait de garantir plus de transparence…
Enfin, la structure même du comité doit certainement évoluer. Par
exemple, celle-ci date d'une époque où l'ALAC n'avait pas de représentant
officiel au conseil d'administration de l'ICANN. Aujourd'hui, c'est le cas,
alors pourquoi préserver une situation où 5 membres du NomCom, soit 25% du
comité, sont également issus de l'ALAC ?
A
partir du 15 octobre 2012, l'ICANN organise la dernière de ses trois grandes
réunions internationales annuelles. Espérons que ces sujets y seront au minimum
évoqués, afin de préserver la qualité d'un concept novateur et bien intentionné.