Le financement du cinéma par les collectivités territoriales : quel modèle économique ?

Les collectivités territoriales et le cinéma entretiennent une relation ancienne et pérenne ; il s’agit du premier genre artistique et culturel qui a bénéficié d’une aide régionale.

Les régions se lancent dans ces politiques d’aides afin de mettre en valeur leurs territoires et leur culture régionale. Au Festival de Cannes de 2013, les régions étaient ainsi présentes dans 26 films en compétition. La Palme d’or La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche a d’ailleurs été financé par la région Nord-Pas-de-Calais à hauteur de 175.000 euros. Patrick Lamassoure, délégué général de Film France, fait remarquer que « quasiment la moitié de l’activité de tournage de long métrage est soutenue par les aides des collectivités ».
97,7 % des aides totales fournies par les collectivités territoriales le furent par les régions au cours de l’année 2012. Les aides régionales offrent un panorama diversifié de possibilités de financement, dont la pérennité est parfois mise à mal.

I. Un panorama diversifié des aides régionales

A. Le fonctionnement des aides

1. Fonctionnement

Les aides régionales sont de trois sortes l’aide à l’écriture et au développement, l’aide à la production, l’aide à la post-production.
Les projets cinématographiques sont généralement soumis à un comité de lecture, chargé d’établir des recommandations aux élus de la région. Ainsi, le domaine s’est considérablement professionnalisé, accueillant davantage de moyens techniques et humains. C’est ce qu’observent des rapporteurs du Sénat dans un avis « Projet de loi de finances pour 2012 : Culture : création, cinéma, spectacle vivant, arts visuels » en date de novembre 2011.
Six Collectivités territoriales ont recours à des structures extérieures pour administrer le fonds d’aide cinématographique et audiovisuel : les associations Pictanovo pour le Nord-Pas-de-Calais, Pôle Image pour la Haute-Normandie, l’Agence culturelle d’Alsace et Arcadi pour l’Ile-de-France, la société anonyme Rhône-Alpes Cinéma et enfin l’établissement public de coopération culturelle Ciclic pour la région Centre.
Sept collectivité territoriales préfèrent gérer le fond d’aide de manière interne, en s’appuyant néanmoins sur des structures extérieures spécialisées, telles que la Haute-Savoie et la Charente.
Les régions s’adonnent également à des collaborations financières et artistiques entre elles.
Les productions peuvent cumuler plusieurs aides au niveau de la région (région, départements, villes) : on parle alors de financement infrarégional. Il est également possible d’associer à la production plusieurs régions, c’est le financement interrégional auquel on a souvent recours s’agissant des documentaires et des longs métrages.
Il existe en outre un phénomène typique au niveau du financement régional : le placement de produits. La France est le deuxième pays au monde après les Etats-Unis à procéder au placement de produit (voir notre article sur les placements de produits). Ainsi des accords existent entre la production et la collectivité territoriale à l’origine des aides pour insérer des marques et produits  de la région au sein du film. Selon certaines études, cette méthode fonctionne très bien.

2. Des politiques différentes

Les collectivités territoriales mènent chacune une politique variée s’agissant des aides consacrées au cinéma.
 Ainsi, en 2012 sur 44 collectivités actives, 40 apportent leur aide aux cours métrages ; 37 aux documentaires et 32 aux longs métrages. Les aides des régions sont par ailleurs accordées selon certains critères, qui diffèrent d'une région à l'autre.
Ainsi, le Conseil régional de Basse-Normandie indique apporter son aide aux films de long ou court métrage à caractère culturel, abordant des thèmes liés à cette région, et donne la priorité aux créateurs régionaux. La Bretagne accorde ses aides aux seuls courts métrages dont le projet est en rapport avec la région, et n’accorde son aide aux projets de long métrage qu’exceptionnellement. Il faut également que 50 % du tournage soit effectué en Bretagne, et qu’au moins 50 % des techniciens et des acteurs embauchés soient domiciliés en Bretagne. La Corse applique des critères bien plus larges : aides à l’écriture, à la production et au développement des courts et longs métrages, des documentaires. 60 % du temps de tournage doit se dérouler en Corse. La région Ile-de-France est celle qui agit le plus dans le domaine de la production cinématographique. Par réaction à la décentralisation, elle investit davantage dans la production. Néanmoins, elle pose des conditions assez restrictives à l’obtention de ces aides : 50 % tournage doit être tourné en région, et ce pendant une durée de 20 jours de tournage minimum. En outre, la production doit notamment avoir recours aux entreprises de décors et de costumes originaires d’Île-de-France.

B. Les orientations de chaque territoire et les disparités de budget entre régions

1. Les chiffres

En 2012, l’ensemble des aides régionales s’est élevé à 16 220 000 millions d’euros. Les collectivités territoriales qui apportent l’aide la plus importante sont la région Ile-de-France (budget annuel en 2012 : 14 000 000 €), qui participe ainsi à 51,9 % de l’ensemble des aides publiques des collectivités territoriales, intervenant sur 35 films (soit 41,7 % des films aidés par les régions).On trouve ensuite la région PACA (3 059 000 €), les régions Rhône-Alpes et Bretagne (toutes deux 3 000 000 €), la Corse (2 736 000 €), l’Aquitaine (2 480 000 €), la région Centre (2.220.000 €), l’Ile de la Réunion et le Poitou-Charentes (toutes les deux 2 000 000 €), la région Midi-Pyrénées (1 500 000 €) et la Haute Normandie (1 133 000 €). Viennent ensuite la Lorraine avec 820 000 € de budget annuel en 2012, le Languedoc-Roussillon avec 800 000 €, l’Alsace et les Alpes-Maritimes avec 450 000 € en 2012. En 2011, la Guadeloupe a apporté un soutien moyen de 500.000 €.

2. Les disparités

En 2011, la Région Aquitaine s’est davantage impliquée dans l’aide aux productions cinématographiques, notamment en participant à la production de 14 longs métrages. S’agissant plus spécifiquement de l’Île de la Réunion on note un véritable renouveau de la politique cinématographique et audiovisuelle depuis 2010. La politique d’aide aux tournages a été revue : le département d’outre mer participe désormais à hauteur de 35 % à 40 % des dépenses réalisées par les équipes de production sur le territoire de la Réunion. Cette politique incitative a permis à l’île d’accueillir des productions autres que des séries télévisées, telles que Belle comme la femme d’un autre de Catherine Castel en 2012. D'autres régions ont réduit leur budget, tel que la région Picardie.

II. Les enjeux actuels

 A l’heure actuelle l’aide publique destinée au cinéma français rencontre certaines difficultés (A). Les Collectivités territoriales cherchent à pallier celles-ci en mettant en œuvre de nouvelles solutions (B).

A. Les incertitudes

Régulièrement, des menaces planes sur le système d'aide régional français. Lorsque ce ne sont pas les modifications législatives internes (cf. article Libération du 26 février 2010, Aides régionales, chronique d'une disparition programmée), ce sont les accords de libres échanges internationaux qui font planer un doute sur la pérennité du système (cf. débats de juin 2013 autour des négociations pour la création d’une zone de libre échange entre les États-Unis et l’Europe).
En outre, un fossé se creuse entre les films à très gros budget et ceux à petit budget. On observe ainsi la disparition des films au budget intermédiaire, situé entre 4 et 8 millions d’euros.
De plus, des inquiétudes sont nées autour des vives discussions autour de l’extension de la convention collective en 2013, signé par le seul syndicat de producteur API, et ce quant à l’avenir des films à petit budget, qui sont les principaux destinataires des aides des collectivités territoriales.
En parallèle, des premiers signes de désengagement de la part des régions sont récemment apparus. Ainsi, la région Franche-Comté a déclaré en décembre 2012 supprimer l’intégralité de son fonds d’aide au cinéma et à l’audiovisuel. La Picardie, quant à elle, préfère recentrer son soutien financier sur d’autres projets que le cinéma, qu’il s’agisse de courts ou de longs métrages.
Bien que les collectivités continuent à soutenir le cinéma, les financements accordés aux longs métrages sont en proportion de moins en moins important. En 2012 ils s’élevaient à seulement 45 % de la totalité du financement libéré par les régions.
Pour encourager l’investissement des collectivités territoriales et en particulier des régions, le CNC avait prévu dans une convention 2007-2010 le dispositif « 1 euro pour 2 euros ». Par ce dispositif, le CNC s’engageait à verser à la région un euro pour deux euros qu’elle a engagé dans la production d’un long métrage. Ce mécanisme a par la suite été élargi aux courts métrages. Pour bénéficier d’une telle aide, la région doit consacrer au moins 100 000 euros en faveur des longs métrages.
Néanmoins il s’agit de nuancer ces remarques en rappelant que la production de long métrage demeure le « fer de lance » de la politique culturelle de certaines collectivités, notamment de l’Ile-de-France qui investit les montants les plus élevés dans ce domaine (14 000 000 d’euros en 2012).

B. solutions nouvelles

On remarque une baisse des ressources de préfinancement traditionnelles, qui restent une spécificité française.
Les producteurs ont alors tendance à se tourner vers des méthodes de financement privé. Anne Flamant, directrice du département Production de l’image de la Banque Neuflize OBC, déclare cependant que « si le private equity [financement privé] est l’une des pistes de développement les plus sérieuses pour le cinéma français, elle ne remplacera pas les apports des acteurs traditionnels de son financement [...]. Il ne pourra être qu’un acte complémentaire ». De nouvelles tendances de financement voient alors le jour, telles que les relations transfrontières. Ainsi des régions comme le Nord-Pas-de-Calais entretiennent des partenariats avec la Wallonie et le Royaume-Uni. Ce fut d’ailleurs le cas pour la Palme d’Or La Vie d’Adèle, le long métrage d’Abdellatif Kechiche.

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Chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, Avocat et Pauline Garrone, stagiaire.