La loi 'anti-Amazon' prépare t-elle l’avenir des librairies ?

Une loi en discussion au Parlement veut renchérir le prix des livres vendus sur Internet, pour "protéger les libraires". Ne vaudrait-il pas mieux préparer les libraires à affronter la révolution numérique, dont la vente sur internet n'est que la 1ère étape, avant celle bien plus redoutable de la numérisation des œuvres ?

Le Parlement est en train d'élaborer une loi "tendant à encadrer la vente à distance des livres", que la presse a résumé en "loi anti-Amazon". Car si l'objectif annoncé de la loi est d'aider les librairies face à la montée d'internet, le rôle d'Amazon, qui possède 70% du marché internet, a été central dans les débats.
Et très vite tout s'est mélangé, et la discussion sur la fiscalité d'Amazone souvent pris le pas sur ce qui est à mon avis la question centrale: comment aider les libraires à se transformer face à la révolution numérique? Je pense donc qu'il faut distinguer la loi elle-même, le cas d'Amazon et l'impact du numérique sur toute la chaine du livre, dont bien sûr les librairies.

Une loi complexe qui va discriminer internet et magasins 

Je ne discuterai pas des détails de la proposition de loi elle-même parce qu’elle peut encore changer et qu’elle est loin d'être simple, comme le montre l’infographie ci-dessous :

En résumé, le principal effet de la loi va être que les livres seront plus chers sur internet, ce qui est une mauvaise nouvelle pour les quelque 15 millions d'internautes qui en achètent.

La différence de prix entre internet et les magasins (surtout pour une même enseigne),  la façon dont seront calculés les frais de livraison (surtout s’il y a plusieurs produits), et la discrimination de fait d’internet par rapport aux magasins posent une foule de questions techniques et juridiques qui sont encore en suspens, questions qu’a énumérées la sénatrice Nathalie Goulet au cours des débats au Sénat le 8 janvier 2014.

Au delà d’Amazon, un mouvement inexorable vers la vente sur internet     

Les débats au Parlement se sont souvent focalisés sur la fiscalité d’Amazon, même si les livres vendus par ce site en France sont assujettis à la TVA française versée au fisc français. Nous pensons à la Fevad que les règles de fiscalité actuelle ne sont plus adaptées à la dématérialisation de l’économie. Nous avons contribué aux travaux du Conseil national du numérique sur ce sujet, nous avons été auditionnés par l’OCDE dont nous soutenons le travail de remise à plat de la fiscalité mondiale. Mais la fiscalité internet n’est pas l’objet de cette loi ! 

De plus, au-delà du cas particulier d’Amazon, la croissance des ventes sur internet se déroule dans tous les pays du monde et sur tous les produits, dont bien sûr le livre en France. Et les raisons d'acheter sur internet ne se limitent pas au prix: les sites possèdent plusieurs centaines de milliers de références, contre quelques milliers pour une librairie indépendante (comme l'a montré le rapport du Sénat, n°247) , sont disponibles pour une commande 24 heures sur 24, commande souvent livrée le lendemain. Donc internet est bien souvent le seul moyen d’obtenir rapidement le livre qu’on souhaite.

Les librairies doivent se préparer à la révolution de la dématérialisation    

La vente de livres (papier) sur internet n’est que la première vague de la révolution numérique. Au-delà arrive une seconde vague bien plus disruptive, la numérisation des livres. Le livre numérique ou ebook remet en cause toute la chaîne qui va de l’auteur au lecteur en passant par l’éditeur, l’imprimeur, le diffuseur et le libraire, puisqu’un auteur peut confier son fichier directement à une plateforme internet, fichier qui sera téléchargé sur la liseuse du client.
Cette nouvelle façon de lire représente en 2013 déjà 20 % du marché aux USA et 12% en Grande-Bretagne, contre à peine 1 % en France, où le discount consenti par les éditeurs sur le numérique reste faible. Imagine t-on que la France, tel le village d’Astérix, va résister encore longtemps à cette lame de fond qui ne convertira certes pas tous les lecteurs pour tous les ouvrages, mais une bonne partie d’entre eux ? Que va t-on faire alors pour "protéger les libraires contre les ebooks" ? Va t-on, à l’instar des taxis contre les VTC, imposer un temps d’attente de plusieurs jours à chaque téléchargement ?

Le monde change vite, et même très vite sous l’impact du numérique

Et le principal moteur du changement est que les habitudes, les pratiques culturelles, changent profondément. On n’a jamais écouté autant de musique, mais on l’écoute aujourd'hui sur un baladeur ou un site de streaming, et on achète beaucoup moins de disques : c'est ainsi. Déjà aujourd'hui et encore plus demain, une part importante des livres sera vendue sur internet, et une part importante de la lecture se fera sur des liseuses. Au lieu de le regretter et d’essayer par des lois de freiner cette évolution, il vaudrait mieux aider les libraires à s’y préparer. Vite.