Les promesses d'Internet ont-elles été tenues ?

Internet, un vaste monde plein de possibilités. Le marché a énormément évolué ces vingt dernières années. Quelles étaient les promesses originales d’Internet et qu’en est-il aujourd’hui ?

« Internet est ce qui se rapproche le plus au monde aujourd’hui d’un marché parfaitement concurrentiel. »
Cette citation du triple lauréat du Prix Pulitzer Thomas Friedman n’a que 14 ans, pourtant sa vision naïve des promesses d’Internet donne à voir combien nous nous sommes éloignés de l’idéal utopique.

Qu’est-ce qui caractérise un marché ‘parfaitement concurrentiel’ ?

  • un nombre illimité d’acheteurs et de vendeurs, sans situation de monopole,
  • aucune barrière à la circulation des marchandises en entrée, ni en sortie,
  • des produits homogènes, identiques et interchangeables,
  • acheteur parfaitement informé sur le produit et les prix pratiqués par chaque vendeur,
  • aucune société ne peut contrôler seule le prix de vente de ses produits sur le marché.

C’est une construction économique théorique, les conditions ne sont jamais réunies pour qu’un marché parfaitement concurrentiel existe. En 2000, Thomas Friedman prétend pourtant qu’Internet pourrait offrir ces conditions.

Quelles étaient les promesses originales d’Internet ?

  1. Un marché de libre-échange avec des règles du jeu équitables.
  2. La fin des commerces traditionnels avec pignon sur rue. Un site de e-commerce suffit.
  3. La fin des efforts d’expansion internationale. Internet marquerait la fin des frontières géographiques et douanières.
  4. La fin des boutiques des beaux quartiers. D’un clic de souris, les internautes peuvent comparer les prix, les produits et la disponibilité des stocks.
  5. Internet pourrait faire tomber les barrières qui empêchaient les nouveaux venus de s’implanter sur le marché.
  6. Fini les conditions de monopole qui font que celui qui gagne rafle tout, la concurrence est désormais illimitée.

C’est une vision des choses plutôt optimiste, vous en conviendrez. Alors que s’est-il vraiment passé ?

  1. Les prix ont chuté, non pas en raison de la concurrence, mais parce que les grandes enseignes ont réussi à diminuer leurs coûts. Amazon par exemple n’a pas de réseau de boutiques à gérer et le coût de leur main d’œuvre est inférieur à ceux des acteurs traditionnels. Ils pratiquent une économie d’échelle pour tous leurs services et leur domination leur permet de négocier des prix favorables auprès de leurs fournisseurs. Les prix sont donc plus avantageux pour les consommateurs, mais ce n’est pas grâce à la concurrence.
  2. Au départ, le marché était ouvert à tous, mais aujourd’hui quasiment tous les marchés de consommation sont dominés par des marques aussi grandes, si ce n’est plus grandes encore que leurs homologues des beaux quartiers.
  3. La combinaison de ces deux facteurs (prix bas et domination du marché) rend difficile la pénétration de nouveaux entrants. Les barrières ne sont pas tombées : la porte des débuts d’Internet, grande ouverte à tous, n’est désormais plus qu’une brèche dans laquelle il faut pouvoir se glisser, avec une excellente maîtrise du marketing, un gros budget et une bonne dose de chance.
  4. Un certain nombre des grands de l’ère pré-Internet ont renforcé leur position en transférant leur domination sur Internet. Les grandes enseignes continuent de régner. Quand les consommateurs se sentent noyés par l’afflux des offres concurrentes et qu’ils ont du mal à choisir, ils se tournent au final vers la solution la moins risquée à leurs yeux : celle dont ils connaissent la qualité des produits, la disponibilité des stocks, la politique d’échange et de retour, la sécurité des paiements, etc.
Autrement dit plus ça change…

Le cas de la domination du marché par Amazon est très instructif. Je dirais qu’il y a quatre raisons à cela.

  1. Ils ont su convaincre un très large public.
  2. Ils ont réussi à réduire leurs coûts de fonctionnement et d’administration par l’automatisation de leurs processus et l’excellence de leur logistique.
  3. Ils ont l’expertise du marketing et les moyens financiers pour arriver en tête des résultats de Google. 
  4. Ils fidélisent par leur gestion de l’expérience client et la cohérence de leur service client positif.

En tant que consommateur, je ne peux pas m’en plaindre. Je sais que je peux acheter quasiment n’importe quoi sur Amazon (en un clic) et que je serai satisfait du prix, de la simplicité et de la fiabilité.
En tant que fournisseur de technologie, c’est un modèle à suivre. Amazon montre aux acteurs du « mid-market » ce à quoi ils doivent aspirer et c’est à nous de leur montrer que ces solutions sont désormais accessibles à tous et dans leur budget.

Quelle évolution peut-on envisager pour les 15-20 années à venir ?

Si certaines avancées, comme les médias sociaux, n’ont pas véritablement changé la donne d’Internet, elles ont le mérite de faire vaciller la toute-puissance de Google. Désormais, une marque qui se démarque par la qualité de son expérience client, peut se faire une réputation internationale virale. Inutile d’investir des sommes faramineuses en marketing pour apparaître en tête des résultats de recherche sur Google.
Autre signe que les choses changent : l’émergence des commerces locaux ultra spécialisés. De petites librairies spécialisées, qui connaissent bien leurs clients et proposent des services de proximité sur mesure, peuvent tout à fait concurrencer Amazon si elles s’en donnent les moyens.
Internet a beaucoup évolué en moins de 20 ans. La seule chose dont on peut être sûr est que les 20 prochaines années nous réservent probablement une nouvelle révolution.

Serons-nous prêts à en saisir les opportunités ?