Rachat de SFR par Numericable : pourquoi ce mariage sous conditions devrait satisfaire tous les acteurs du marché

La patience vient à bout de tout, Patrick Drahi ne dira pas le contraire. Le PDG de Numericable a en effet appris le 27 octobre que l’Autorité de la concurrence avait (enfin) donné son aval pour que le câblo-opérateur puisse mener à bien son rachat de SFR, cela après plusieurs mois d’attente.

Si la fusion était vivement critiquée en début d’année par la concurrence, il semblerait qu’elle prenne aujourd’hui des allures de nouvelle providentielle pour l’ensemble du secteur français des télécoms.

Une acquisition stratégique ralentie

L’ « examen approfondi » décidé fin juillet par l’Autorité de la concurrence concernant le rachat de SFR par Numericable aura donc duré exactement 88 jours. Cette phase 2 était alors censée dissiper les « doutes sérieux d’entraves à la concurrence » qui entouraient cette acquisition au moment de la victoire de Numericable et qui nourrissaient les critiques des autres professionnels du secteur des télécoms. Résultat : après presque trois mois à interroger les acteurs du marché mais également les hautes instances de régulation, tels l’Arcep ou le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel,  le gendarme de la concurrence a enfin pu délivrer son feu vert.
Le « Go » de l’Autorité porte cependant la marque du conditionnel puisque l’institution a posé les conditions nécessaires pour ouvrir cette opération le plus possible et en faire in fine une bonne nouvelle pour tous les acteurs du marché. Il n’y aura donc pas de mariage sans contrat prénuptial pour protéger non pas les deux protagonistes mais l’ensemble de l’écosystème  des télécommunications en France. Observé, décortiqué, le processus d’acquisition est à la hauteur des enjeux : bâtir un ensemble destiné à devenir le numéro 2 des télécoms en France. De quoi affoler les professionnels et rappeler à leurs mauvais souvenirs l’arrivée de Free sur le marché du mobile il y a deux ans.
Ce sont donc « cinq remèdes » aux vertus apaisantes qui ont été prescrits par l’Autorité de la concurrence. Cinq conditions que Numericable doit s’engager à respecter pour espérer boucler cette opération avant la fin de l’année. Des mesures qui encouragent Altice, maison mère de Numericable, à partager et à lâcher du lest pour s’envoler vers les sommets. Sur le papier, tout est donc fait pour que la fusion des deux acteurs perturbe le moins possible l’industrie nationale.

Des solutions concurrentielles qui prévoient l’ouverture du réseau câblé de Numericable

Premier champ d’action sur lequel Numericable est sommé d’intervenir, le segment réservé aux professionnels, dans lequel le câblo-opérateur s’illustre grâce à sa filiale Completel. L’Autorité de la concurrence a ainsi demandé à Numericable de procéder à la cession du réseau DSL de Completel à un repreneur qui devra être « capable d’animer la concurrence » sur les marchés de gros et de détails pour les entreprises.
Si le territoire métropolitain est le terrain privilégié où se joue le gros des répercussions de l’union Numericable - SFR, le rayonnement de cette superfusion touche jusqu’aux DOM-TOM. L’Autorité exige en effet que la société de Patrick Drahi vende Outremer Telecom pour une raison très simple : l’opération va concentrer les  activités de téléphonie mobile de Numericable et de SFR dans l’océan Indien et donner au nouvel ensemble une part de marché trop importante, de l’ordre de 66 % à la Réunion et plus de 90 % à Mayotte. Une hégémonie difficilement recevable pour les opérateurs locaux.

Autre point d’écueil relevé,
les 20 % que Vivendi continuera de posséder dans le futur numéro 2 des télécoms français. Afin d’éviter tout télescopage entre les activités télévisuelles des deux groupes (Vivendi est propriétaire de Canal+), ces derniers doivent s’engager à ne partager aucune information dite « stratégique » sur le sujet.
Enfin, l’une des initiatives majeures qui vont marquer cette opération est l’obligation pour Numericable d’ouvrir son réseau câblé très haut débit à la concurrence. Pour ce faire, plusieurs options sont envisagées : les MVNO qui ne possèdent pas de box auront la possibilité d’accéder au réseau via une marque blanche quand les opérateurs tels Free, Bouygues Telecom ou Orange pourront bénéficier de l’offre « bitstream » et faire usage du câble de Numericable mais en utilisant cette fois leurs propres boxes et interfaces. Une durée d’engagement a été fixée à cinq ans, délai qui permettra aux concurrents de développer leurs propres installations.

L’équilibre entre les opérateurs préservé

Une fois ces directives dévoilées et communiquées au principal intéressé, on pourrait alors se demander si l’Autorité a visé juste et su contenter des concurrents inquiets, prêts à rugir dès qu’on leur donne l’occasion. Force est de constater que le travail des sages de la rue de l’Échelle est parvenu à apporter satisfaction  aux acteurs du secteur, qui s’accordent majoritairement pour saluer ces avancées. « L’Autorité de la concurrence a fourni un travail remarquable, avec une bonne maîtrise des enjeux du secteur, sur un dossier très technique et plus complexe qu’il ne pouvait y paraître », estime Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom.
En voulant racheter SFR, Numericable a coiffé aux poteaux les plus grands du secteur et s’est attiré les foudres de toute l’industrie. Hier critiqué par une concurrence craintive, le câblo-opérateur est aujourd’hui en passe de transformer l’essai et faire de cette opération un nid d’opportunités pour l’ensemble des acteurs du marché. Qu’il s’agisse de céder des actifs ou de veiller à respecter une ligne de conduite profitable à tout le monde, le super géant du fixe et du mobile en devenir, chapeauté par l’Autorité de la concurrence,  sait qu’il possède désormais chacune des clés pour mener à bien son opération.