La déclaration de naissance par mobile multimédia : un exemple de projet innovant mené tambour battant

Avoir les données personnelles clés d'un citoyen, dès sa naissance, est fondamental pour un Etat. En Afrique, réussir à capter et conserver cette information est un défi. En étant innovant et hors des sentiers battus une telle opération est possible.

L’identité numérique est devenue un enjeu clé sur l’ensemble des continents, plus particulièrement en Afrique. Plusieurs projets de grande ampleur ont été mené depuis quelques années en Afrique notamment autour de la technologie de la biométrie, pour les listes électorales, les cartes d’identité nationales, les cartes d’assurés sociaux, les passeports, etc. L’enjeu de ces projets est en Afrique bien plus significatif que les projets identiques en Europe, car souvent les pays concernés partent de beaucoup plus loin dans la gestion documentaire des identités. Ces projets sont généralement pas seulement technologiques mais impactent l’ensemble des processus publics concernés.
L’une des difficultés de ces projets est souvent leur coût financier rarement supportable par les états sans le financement de bailleurs de fond et donc des durées de projet très longues. Le projet de la déclaration de naissance par mobile multimédia initié et réussi avec succès au Sénégal (avant d’être déployé dans d’autres pays comme la Cote d’Ivoire, le Burkina Faso…) est un exemple passionnant de projet innovant basé sur un modèle et des solutions différencientes. 

La question initiale était la difficulté à recenser les naissances dans certaines zones et villages sénégalais du fait de la distance, l’enclavement des zones concernées, proche de la frontière avec d’autres pays, de la pauvreté, du manque d’infrastructure et de service de l’État. Le recensement des naissances est bien sur le premier acte de l’identité de l’individu et permet d’anticiper les besoins d’accès aux soins, la citoyenneté le moment venu, l’éducation, l’emploi, la protection sociale...
Au niveau des données agrégées, ces informations permettent aux États d’anticiper et de budgétiser les infrastructures comme l’école, les hôpitaux et investissements nécessaire au développement du pays. Lancé en 2011 et entièrement finalisé en 6 mois, le projet s’est déployé sur 43 villages du Sénégal en touchant 70 000 personnes. L’impact a été structurant. En Casamance, du fait de l’éloignement des villages avec les centres d’enrôlement (parfois 100 km pour des populations non motorisées), près des deux-tiers des nouveaux nés ne sont pas déclarés dans les 30 jours légaux. Passé ce délai, faire déclarer un enfant est plus complexe (il faut passer par la justice et représente un coût pour les parents).
Technologiquement, le système n’est pas révolutionnaire. Il s’agit de remettre au chef de village un portable multimédia avec l’application spécifique développée. Il ‘agit d’une interface simple où il peut d’une part s’identifier avec son propre code personnel (les messages sont cryptés ce qui est clé dans le processus d’enregistrement), déclarer la naissance du nouveau-né (une fois que celui-ci à un prénom) et vérifier que la déclaration de naissance a bien été faite. Dans le centre d’enregistrement un fonctionnaire avec la même interface (sécurisée aussi) reçoit l’information et la traite.
L’innovation a été plutôt dans la mise en place du projet et sa réalisation. Quatre facteurs clés de succès ont été particulièrement important pour la réalisation (efficace et rapide) du projet pilote : le partenariat, le hors-processus hiérarchique (amplitude dans l’autonomie de fonctionnement et la prise de risque, engagement vis-à-vis des partenaires, sélection des équipes compétentes hors cadre managériale), la logique du résultat et le modèle économique.
Il s’est d’abord agit de mettre autour de la table les acteurs clés et donc de mettre en place une vraie co-construction.
Quatre acteurs clé ont donc travaillé ensemble :
  • Un équipementier télécom : Nokia en l’occurrence pour les téléphones mobiles multimédia à bas prix (41$),
  • un opérateur télécom : Orange au niveau du groupe et via sa filiale sénégalaise Sonatel pour le pilotage du projet et la déclinaison au niveau local pour le réseau,
  • une ONG : Aide & Action avec le support de l’Unicef pour le co-financement,
  • les acteurs publics locaux : ministères sénégalais (justice, éducation, petite enfance) et collectivités locales avec notamment, pour le pilote, la ville de Kolda et les communautés rurales de Dioulacolon et Guiro Yoro Bocar. 
Le second facteur clé de succès concerne, la dimension hors process. L’innovation a été bottom-up, avec dans ce cas la possibilité de dépasser les processus habituels et donc des prises de décisions plus rapide, un Top management orienté non pas reporting mais uniquement résultat, une latitude dans la prise de risque, une ouverture d’esprit de la part du top management (à la thématique hors champ du core business du groupe, des décisions ultra rapides de la part de la directrice marketing de la Sonatel.
 
Le troisième élément structurant a été, d’inscrire ce projet dans une logique de résultat. Cette logique s’inscrit dans trois dimensions :
  • faire appel aux différents acteurs selon leur apport notamment en termes de compétences et non selon une logique de taille, contribution financière, image. L’appui managérial était par exemple sollicité au moment clé de décision.
  • considérer que le respect des délais dans ce projet est clé au même titre qu’un projet industriel tant dans le cadencement sous pression que dans l’enchainement des phases (pilote, évaluation et feedback terrain, correction, déploiement commercial),
  • cibler dès le départ un succès commercial. Il a toujours été clair que la pérennité passait par un roll out commercial.
En lien avec ce dernier point, le quatrième facteur clé de succès est celui du modèle économique. Pour ce dernier il s’agit tout d’abord d’utiliser une plateforme dont le socle technique est déclinable sur d’autres pays afin d’absorber les coûts de développement informatique. La taille de l’équipe travaillant sur le sujet est aussi un élément du modèle : une petite équipe permettant des décisions rapides et  réactives. Motivé par la thématique et ne ménageant pas son investissement.
Au-delà de ces aspects, le business case est basé sur le volume et non la valeur avec l’objectif commercial, pour l’opérateur, de proposer d’autres solutions Orange (par exemple un projet back 2 school mis en place en Côte d’Ivoire  avec l’UNESCO, Microsoft, Orange Côte d’ivoire  et le ministère de l’Education en 2013, projet Education au Sénégal avec l’UNICEF sur l’absentéisme des élèves, etc.)

Le succès de ce projet, et sa reconnaissance par de nombreux prix internationaux (présentation aux Ministres en charge de l’Etat civil a Durban en 2013, 2 prix Africacom Awards, presse écrites, Web, TV nationale, présentation à l’ONU et au commissaire de l’EU sur les problématiques de flux migratoire), a permis un double développement. L’un horizontal en déployant cette solution dans d’autres pays africains (Cote d’ivoire, Bénin, Burkina Faso, Haïti, Guinée, Botswana…) mais aussi vertical avec le déploiement du même canevas organisationnel  et technique dans 13 autres domaines proches comme éloignés (déclaration de décès, marché de la noix de cajou, information et suivi pour diabétiques, le back to school, projet Education sur l’absentéisme des élèves,  social TV, Diabète en Tunisie, marché su sésame au Sénégal, TPE au Cameroun etc.) et d’élargir la surface de coopération avec de nombreux partenaires à la fois dans l’écho système d’Orange et hors champ ( Fondation Clinton, …).

Au-delà des aspects techniques, la réussite de ces projets « innovants » repose avant tout sur la mise en ligne des compétences professionnelles aux bon endroits (« put the right person at the right place »), de leur utilisation pertinentes et d’un savoir vivre (respect des autres cultures, écoute des populations locales)…et d’un facteur chance non négligeable.

Chronique co-écrite par Jean-Michel Huet, partner, BearingPoint et Paul William Delorme, Business development & partnership director in emerging market, Orange.