Data is vintage : la donnée c’est dépassé !

Si vous pensez encore que la numérisation de nos vies représente la prochaine vague de fond, changez d’optique omniprésente depuis des décennies. Nous nous ne faisons que l’alimenter plus massivement et fréquemment. La véritable prochaine vague, avant-gardiste et archaïque, c’est le sensoriel.

Si vous pensez encore que la numérisation de nos vies représente la prochaine vague de fond, changez d’optique. La donnée informatique est omniprésente depuis près d’un demi-siècle. Nous ne faisons que l’alimenter plus massivement, plus fréquemment, à travers plus de canaux. Focalisées sur une logique de déduction, entreprises et services publics entendent nous déchiffrer à coups d’algorithmes prédictifs. Bien sûr, le numérique est porteur d’une capacité d’analyse sans précèdent.
Mais aussi d’un risque : que les décideurs publics et privés s’en remettent à cette seule logique du pilotage automatique.
C’est en cela que la donnée comme outil de management est dépassée si elle n’est pas reconnectée à notre puissance d’intuition, de sensation, de conviction. La véritable prochaine vague sera sensorielle. De notre naissance à notre mort, cette interface toujours à jour baigne nos actions, nos pensées, nos croyances, nos relations.

Un cauchemar programmé…

Or, le cauchemar imposé par notre monde consiste à nous couper systématiquement de notre puissance sensorielle. En ville, au travail, nous subissons des milieux hostiles : aux processus automatisés et à la pression productiviste, s’ajoutent des ateliers et des bureaux aux lumières crues, des nuisances sonores, des matériaux standardisés et aseptisés, l’absence de végétal et de lumière naturelle, des architectures anguleuses. Les conséquences sont connues : une aggravation des risques psychosociaux. Sommes-nous pour autant condamnés à subir ce déni d’humanité ? Non.

… que l’on peut stopper

Par le sensoriel, nous pouvons nous reconnecter à soi et aux autres, au lieu et au moment. Créer des climats émotionnels et relationnels apaisants, bienveillants, stimulants. C’est pour cela que Renault explore les émotions lors de la découverte de ses nouveaux modèles mais aussi dans leur utilisation quotidienne. Qu’Alstom Transport étudie la perception olfactive, sonore et lumineuse des utilisateurs du RER, afin de transformer le voyage subi en voyage choisi.
Qu’un hôpital francilien sensorialise des espaces dans ses blocs opératoires et son service de médecine ambulatoire, pour améliorer le climat ambiant et diminuer le stress. Qu’une agence de communication parisienne travaille sa cohésion d’équipe et sa performance collective à travers des ateliers olfactifs…

L’apport des neurosciences

Ces pratiques novatrices iront crescendo, portées par la conviction d’entrepreneurs et de managers et par l’éclairage des neurosciences. Les travaux sur les aires du cerveau démontrent que le sensoriel est non seulement une interface indispensable entre soi, les autres et le monde, mais aussi un puissant instrument de connaissance et de prise de décision.
Durant son intervention au congrès Sensory, David Sander, chercheur à l’université de Genève, affirme que « l’émotion facilite la connaissance par les processus de perception, d’attention, de mémorisation et de décision qu’elle enclenche ». Pour Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche au CNRS, « la résonance émotionnelle permet de partager entre humains ». L’émotion sensorielle agit donc comme un stimulant et un facilitateur de la connaissance, de la relation, de l’innovation, de l’action.

Qui a soif de statistiques ?

Cette façon d’être et d’agir, fondée sur l’alliance du logique et du sensible, des entrepreneurs pionniers l’appliquent depuis des années, à l’image de Nicholas Woodman. Après deux faillites, celui-ci a fondé GoPro pour partager ses moments d’« adrénaline ». Où a-t-il puisé cette impulsion ? Dans ses tripes ! Pas dans une statistique ou un plan d’affaires. Aujourd’hui, son capital personnel avoisine le milliard de dollars. Et alors ? Qui peut raisonnablement croire que ce fut la source de sa volonté de vivre et de créer ?
Comme l’écrit Kevin Roberts, ancien PDG de Saatchi & Saatchi, dans Les marques de l’amour : « Tant que les gens auront des aspirations, des objectifs et des rêves, ils seront avides de mystère. Avez-vous déjà vu quelqu’un ayant soif… de statistiques ? ».
Aujourd’hui, nous avons tous le pouvoir de contribuer à cette révolution du sens par les sens, en revenant à la valeur essentielle : être humain. D’intégrer toutes nos dimensions, intelligibles et sensorielles, dans les lieux de travail, les espaces publics, dans la relation entre salariés, avec les clients, les usagers. Oui, nous pouvons et devons refonder cette société à visages humains.