Crosscanal :" Retailers, bougez-vous !"

Au cours de ces quinze dernières années, les marques et enseignes de distribution ont massivement investi dans l’e-commerce pour ne pas céder trop de terrain aux pure players. Comprenant que leur réseau physique est un réel atout, les retailers misent aujourd’hui sur le click-and-collect et la digitalisation des points de vente. Sont-ils pour autant vraiment devenus crosscanal ? Du point de vue du client, la réponse est encore trop souvent non…

Quand l’expérience client contredit le discours

S’adressant à une même marque, le client de 2015 s’attend légitimement à être connu et reconnu dans tous les points de vente de cette marque, exactement comme il l’est sur son site e-commerce. Mais force est de constater que nombre de marques  – plutôt haut de gamme, du reste – sont loin de répondre à cette attente dans leurs points de vente alors que c’est, d’évidence, un déterminant fort de l’expérience client et un facteur

Un exemple concret : vous êtes depuis des années client de The Kooples. Vos achats sur le site de la marque font qu’elle connaît votre taille, la fréquence de vos achats, l’historique de vos commandes. En ligne, elle est donc en mesure de vous proposer des articles correspondant à vos goûts et donc susceptibles de vous tenter. En revanche, quand vous entrez pour la première fois dans un magasin The Kooples, vous êtes un parfait inconnu ! La connaissance que la marque a engrangée sur vous au fil du temps par le biais de son site e-commerce, n’est pas partagée avec les points de vente. Pire, chaque magasin a sa propre base de données clients : si vous changez de magasin, vous êtes de nouveau un inconnu ! En tant que client, vous êtes crosscanal. La marque, elle ne l’est pas.

Autre point montrant que le crosscanal n’est que de façade : en tant que fidèle de la marque, vous êtes invité aux « ventes privés » en ligne de The Kooples. En vue de Noël, votre femme vous commande une veste et un manteau (-30%). La veste arrive, mais pas le manteau. Aucune explication sur le fait qu’il n’y ait que la veste. Pire encore : elle appelle le service client qui lui apprend que, au moment de la vente, le produit n’était plus en stock sur le site. Elle décide d’acheter le manteau en boutique en entendant bien bénéficier des 30% de remise : eh bien non ! Ce n’est pas possible ! Non seulement le site met en avant des articles qui ne sont plus en stock mais les promotions du site ne sont pas valables dans les boutiques où votre produit est disponible. Cette histoire, qu’on m’a rapportée, remonte à trois ans (et je veux croire que The Kooples a rectifié le tir depuis) mais elle illustre parfaitement ce que les clients d’aujourd’hui n’ont plus envie de supporter.

Pas de vrai crosscanal sans alignement online-offline

Comment, en 2015, une marque peut-elle ne pas réaliser pas que l’absence de cohérence entre sa politique online et offline est incompréhensible pour ses clients ? Il y a des raisons structurelles et historiques à cette absence de cohérence ? Sans doute. Mais si vous êtes une marque, vos clients se moquent éperdument de savoir que vos points de ventes sont des franchises ou des commerces indépendants, qu’ils gèrent leurs propres stocks, leurs propres promotions ou encore que votre site e-commerce est une business unit séparée ! Ce n’est pas leur problème. Comment peuvent-ils imaginer que ces entités rassemblées sous une même marque puissent être cloisonnées, voire concurrentes ? J’ignore si c’est toujours le cas mais, il y a quelques années, un vendeur de la Fnac m’a déclaré que l’ordinateur que je souhaitais acheter était en rupture de stock dans le magasin où je me trouvais mais qu’il était disponible sur fnac.fr, sauf qu’il ne pouvait pas me le commander. Résultat : 1/j’ai acheté cet ordinateur sur amazon.fr en exactement 5 clics ; 2/j’ai été livré en 48h ; 3/ je n’ai pas repris la carte Fnac… Et si la Fnac a changé de politique depuis – ce que je crois savoir – je ne suis plus qu’un client très occasionnel après avoir été un client très fidèle…

Pas de vrai crosscanal sans centralisation des données clients

Si on part du principe que pour le client la marque est « une et indivisible », la centralisation des données clients et leur partage entre tous les canaux de distribution deviennent des impératifs. S’il y a pu y avoir des freins technologiques à cette centralisation, ils n’existent plus. Les CRM de nouvelle génération les ont éliminés. Ce qui persiste, c’est une mauvaise compréhension des enjeux. J’ai été par exemple très étonné d’entendre la responsable Retail d’un joaillier dire que son réseau de 18 boutiques était trop petit pour ça, que ce n’était pas une priorité pour la direction ! Il me semble au contraire – et plus encore dans le retail de luxe – que c’est indispensable si l’on veut offrir une expérience et un service de qualité à ses clients !

Certaine marques l’ont très bien compris. Chez Weston, par exemple, la base de données est globale et partagée : si vous êtes déjà client, n’importe quelle boutique Weston dans le monde connaît votre pointure et sait quels modèles vous possédez déjà. Idem chez Princess Tam Tam : toute cliente « favorite » ayant la carte de fidélité sait que toutes les boutiques de France ont ses mensurations.

Pas de vrai crosscanal sans service client unique

Dans le retail, de luxe ou pas, tout ce qui simplifie la vie du client contribue à l’enchanter et à lever les freins éventuels à l’achat, que ce soit en ligne ou dans un point de vente. Je pense que les enseignes et les marques sont en train d’en prendre conscience. Elles réalisent en outre que ce n’est pas uniquement en emplissant leurs points de vente d’écrans et de gadgets digitaux qu’elles parviendront à se différencier.

D’innombrables enquêtes confirment que ce qui fait et fera durablement la différence, c’est la qualité du service client et son unicité. Vous ne pouvez plus dire à un client qui a acheté en ligne et qui pose une question dans un de vos magasins que vous ne pouvez rien pour lui, qu’il faut qu’il appelle le service client du site ! Vous ne pouvez pas non plus l’empêcher de poser cette question sur votre page Facebook ou sur Twitter. Et vous n’avez pas le choix : vous devez lui répondre – si possible rapidement, de façon pertinente et personnalisée. Quelle que soit l’organisation réelle de votre service client (centralisée, décentralisée, en partie ou totalement externalisée), cela doit être transparent pour vos clients, pour tous les canaux mis à leur disposition pour vous contacter.

Là encore, le secret de la réussite est la centralisation et le partage de la connaissance client, que celle-ci soit recueillie et utilisée par les conseillers clients, le site web ou le personnel des points de vente. Le seul outil qui soit véritablement fait pour capitaliser sur cette connaissance client, ce n’est ni un logiciel de gestion des interactions clients, ni un ERP, ni une application de point de vente. C’est un CRM. Et si vous trouvez ça moins glamour que des écrans géants où passe en boucle le défilé de votre dernière collection, gardez ceci en tête : pour 92% des Français, une qualité de service client décevante est une raison de changer de fournisseur et pour 88% de ne pas acheter ou racheter.*

* Viséo Conseil & BVA, Observatoire des services clients 2014. Enquête réalisée par Internet, du vendredi 29 août au mardi 2 septembre 2014 auprès d’un échantillon de 1 019 personnes, représentatif de la population française de 18 ans et plus, utilisateurs ou non d’un service client.