La fibre optique est-elle un service public ?
Le schéma de déploiement et d'accès à la fibre défini par l'Arcep en 2010 tend à être remis en question. Les entreprises attendent un réseau qui n’est pas fait pour elles. Point sur le déploiement des réseaux de fibre et pouvoirs publics
Aujourd'hui, le constat est clair : tout le monde veut avoir accès à la
fibre optique, particuliers comme entreprises. Pour les entreprises
au-delà d’une certaine taille, nous pensons que c’est une question de
survie.
En revanche, la question de savoir qui va déployer la fibre pour les entreprises est de plus en plus brouillée.
Un petit retour en arrière s'impose. En 2010, l'Arcep (l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes) définit un modèle de « fibre mutualisée. » Pour ne pas faire exploser les coûts de déploiement de la fibre pour plus de 18 millions de foyers, les opérateurs ont l'obligation de mutualiser la partie terminale, celle qui va d'un point de raccordement public jusqu'à l'usager. Un opérateur unique gère cette ultime partie du réseau, mais doit en ouvrir l'accès à d'autres fournisseurs qui en font la demande.
Concrètement, le territoire français est découpé en zones en fonction de la densité de population et d'activités présentes. Dans les zones les plus habitées, les opérateurs commerciaux se positionnent comme des opérateurs d'immeubles. Même si leur offre doit obligatoirement proposer de fibrer tout un pâté de maisons ou tout un secteur, il y a suffisamment d'usagers pour que l'investissement soit rentable. Dans les zones moins peuplées, le déploiement de la fibre relève davantage d'un service pris en charge par les collectivités.
Dans les deux cas, cette fibre
mutualisée est conçue pour les particuliers. On y mélange les clients,
les usages. Il est difficile d'assurer une garantie de temps de
rétablissement adéquate. Les entreprises, elles, ont des besoins
différents. La qualité de service, l'absence de coupure, un débit
suffisant, sont devenus des prérequis pour leurs activités. A côté de la
fibre mutualisée, une autre architecture s'est donc mise en place pour
répondre à ces besoins : les réseaux de boucles locales dédiées. Ils
sont proposés par des opérateurs qui disposent de leur propre réseau,
tels que l’opérateur historique ou certains opérateurs alternatifs comme
CELESTE.
Le problème est que même dans les zones suffisamment
denses où des offres concurrentielles existent pour proposer des boucles
dédiées, certaines entreprises attendent un déploiement de la fibre
mutualisée. Lorsque celle-ci n'est pas encore mise en place, elles
demandent parfois aux collectivités d'investir en ce sens... un peu
comme si le raccordement à la fibre équivalait à un service public. Les
collectivités elles-mêmes prêtent une oreille attentive à ces doléances.
« La fibre doit être publique, afin de garantir le développement
numérique des territoires», entend-on.
Cette position nous semble
problématique à plusieurs niveaux. Pour commencer, que penser du fait
que le contribuable paierait pour le raccordement d'une entreprise à la
fibre si des offres sont déjà disponibles ? De plus, souvent les
collectivités ne disposent pas du budget requis. Au final, les travaux
ne commencent pas, tout le monde s'impatiente... alors même que les
entreprises, répétons-le, peuvent déjà utiliser les services des
opérateurs de boucles dédiées dans ces zones. Et enfin, comme nous le
disions précédemment, la fibre mutualisée ne propose pas les mêmes
garanties de service qu'une boucle dédiée. Pour résumer, beaucoup
d'attentes pour un résultat décevant.
De notre point de vue,
seules les boucles locales optiques dédiées peuvent répondre aux besoins
des entreprises. Il est nécessaire que les opérateurs soient incités à
les déployer et à investir afin de couvrir la plupart des territoires.
Les réseaux d’initiative publique ont une logique essentielle dans les
zones rurales où les opérateurs n’ont pas la volonté de déployer une
offre en propre. Les collectivités ne doivent pas se considérer en
concurrence avec les opérateurs privés, mais elles doivent faciliter
leurs investissements afin que les entreprises aient un maximum d’offres
concurrentielles.