Le marché de l'e-commerce en Afrique et ses acteurs

L'e-commerce explose en Afrique. Il s'agit d'un e-commerce différent de celui que l'on connait en Europe avec ses spécificités. En entrant par l'axe des acteurs clés, on découvre une vraie richesse du secteur.

    

L’e-commerce se développe en Afrique alors même que le retail est encore en plein développement. En effet, la naissance de la classe moyenne sur le continent est un phénomène récent mais en croissance. 200 millions d’adultes en 2010 pouvaient être considérés comme appartenant à la classe moyenne[1], soit 20 % de la population, alors qu’en 2040, 495 millions[2] d’adultes devraient y appartenir, soit 26 % de la population.

Avec l’avènement de cette classe moyenne, le secteur du retail est en train de se structurer. Ainsi, entre 2009 et 2014, les ventes retail physiques au Nigeria ont connu une croissance annuelle (CAGR) de 13,7 %[3]. Cette croissance annuelle à deux chiffres pendant cinq ans montre que l’e-commerce arrive dans un marché bien différent de celui qu’il a connu à son arrivée, dans les pays de l’OCDE, où le marché du retail était déjà mature et structuré.

Les supermarchés/hypermarchés ne sont pas encore les lieux les plus fréquentés pour les courses alimentaires hebdomadaires : la classe moyenne a tendance à plutôt fréquenter des petits commerces (62 %) ou des marchés (47 %), tandis que les supermarchés/hypermarchés ne sont fréquentés que par moins d’un tiers de la classe moyenne (29 %). Les habitudes de consommation sont encore orientées sur un commerce de proximité, ce qui peut s’expliquer par la consommation d’aliments frais achetés à la semaine ou la connaissance des commerçants locaux. 86 %[4] des sondés déclarent aller dans un supermarché au moins une fois par mois. Les supermarchés sont fréquentés moins souvent que les épiceries locales à cause de leur localisation moins centrale, du temps nécessaire pour y faire ses achats et de l’impression (parfois erronée) que les prix y sont plus élevés. Les consommateurs de la classe moyenne choisissent leur lieu d’achat notamment selon la propreté et la sécurité, qui ressortent comme les critères les plus importants[5].

Dans un marché où la place du commerce structuré reste à prendre, les plateformes d’e-commerce ont potentiellement les atouts nécessaires pour s’imposer face au retail traditionnel.

L’e-commerce en comparaison avec le retail se positionne très bien vis-à-vis de ces critères : la propreté et la sécurité restent des qualités de l'e-commerce (avec une perception qui peut néanmoins varier pour la sécurité). De plus, les trois défauts principaux des supermarchés physiques (éloignement, temps et prix) deviennent pour les sites d’e-commerce de réels atouts par rapport au retail.

Même si l’e-commerce est actuellement très en vue dans la presse, il reste cependant largement minoritaire vis-à-vis du retail avec des parts de marché n’excédant pas 3 % en 2013. L’e-commerce est en très forte croissance dans tous les pays cités ci-dessous[6]. En 2025, il pourrait représenter 10 %[7] des ventes au détail dans les plus grandes économies du continent, ce qui représenterait 75 milliards de dollars[8] de ventes en ligne et de revenus publicitaires associés.

Différents types d’acteurs se positionnent sur ce marché en structuration

 

Différents types d’acteurs influent ou contribuent dans l’environnement de l’e-commerce : les retailers classiques, les marques, les opérateurs télécoms et les pure players de l’e-commerce, pour citer les principaux. Chacun de ces acteurs réussit à créer de la valeur via l’e-commerce.

Les retailers

Des retailers classiques du secteur formel comme Carrefour ou Spar sont déjà présents sur le continent, notamment via des supermarchés/hypermarchés en propre ou via des partenariats locaux. Néanmoins, cette présence reste encore faible et les investissements pour construire de nouveaux centres commerciaux sont élevés tout en comportant des risques de non-aboutissement forts. Sans changer leur stratégie principale, les retailers utilisent l’e-commerce pour diversifier leurs canaux de distribution. Leur logique est de donner accès aux marchés africains à des marques fortes partenaires (La Redoute, Etam, Devred dans le cas de CFAO, par exemple).

Les marques

L’Afrique est un relais majeur pour la croissance des marques, le marché du retail étant encore peu structuré et principalement dominé par le marché traditionnel qui multiplie les intermédiaires. Certaines marques ont vu dans l’e-commerce une façon plus aisée de pénétrer tout ou une partie du marché africain en s’affranchissant de nombreux intermédiaires. Par ailleurs, l’e-commerce permet aux marques d’avoir un canal direct avec leurs consommateurs. Cette dernière tendance s’inscrit au-delà du seul continent africain.

L’exemple de Jumia permet de comprendre la solution de « shop in shop ». Afin de capter le flux de visiteurs sur le site et afin de proposer toujours plus de produits sur sa plateforme, Jumia offre des solutions de « shop in shop », notamment en Égypte. Cette solution permet à des marques comme L’Oréal ou Adidas d’avoir une page dédiée sur le site Jumia Égypte. Cette page est différenciée d’un point de vue design des autres pages de la plateforme. Les marques ont donc plus de visibilité dans le pays, et en contrepartie Jumia assure également des visites et des ventes associées à ces fréquentations sur les pages des marques respectives. L’utilisateur garde ses habitudes, en se rendant sur le site de Jumia, et bénéficie d’une meilleure expérience puisque de nombreuses marques sont disponibles sur la même plateforme.

Les opérateurs télécoms

En Afrique, l’accès à Internet se fait principalement via mobile. Les opérateurs offrent par ailleurs des solutions de paiement mobile s’adressant aux populations non bancarisées dans la grande majorité des pays africains. Les opérateurs télécoms sont donc naturellement des acteurs centraux de l’écosystème e-commerce. Certains opérateurs ont logiquement investi dans ces plateformes, à l’image de MTN, Millicon et Orange ayant investi dans Jumia/Africa Internet Group, ou encore Orange dans Afrimarket.

Des synergies fortes existent entre les opérateurs et les plateformes d’e-commerce. Ces dernières utilisent l’image de marque des opérateurs pour générer de la confiance auprès des utilisateurs. Des accords sont également trouvés pour offrir des accès gratuits sur les plateformes d’e-commerce via le non-décompte des data utilisées pour naviguer sur les plateformes. Pour les opérateurs, au-delà d’être des facilitateurs, ils espèrent des retombées positives sur leur cœur de marché, à savoir le volume de données consommées, et sur les flux d’argent transitant par leur solution de paiement en ligne. En effet, les plateformes d’e-commerce se classent dans le top des sites les plus visités et sont donc un important générateur de trafic Internet.

Les opérateurs télécoms sont par ailleurs des acteurs forts dans l’écosystème digital de nombreux pays africains et opèrent déjà des sites d’e-commerce pour la distribution de leurs produits et services. Certains opérateurs font donc le choix de se positionner plus fortement et directement sur les activités d’e-commerce.

Les pure players

Les pure players sont des acteurs ayant une présence exclusivement en ligne. Ce sont fréquemment les acteurs les plus actifs et les plus innovants dans le secteur de l’e-commerce. À la différence des retailers, ils ont l’avantage de pouvoir toucher une large audience sans avoir besoin d’investir dans des magasins physiques. Néanmoins ils doivent faire face à d’autres freins tels que la logistique, la confiance des utilisateurs ou encore le paiement.

Au sein de ces pure players, les marketplaces occupent une place importante.  À la manière de eBay, ils proposent des plateformes qui permettent à des vendeurs et des acheteurs de s’interconnecter. Contrairement aux acteurs, les marketplaces ne sont pas propriétaires des produits et des stocks. Leur business model est celui d’un apporteur d’affaires avec des revenus essentiellement basés sur la commission prélevée sur chaque vente. La largeur de gamme de produits et le niveau de contrôle de la qualité des produits peuvent fortement varier en fonction du positionnement de la place de marché.

Les pure players s’appuient sur plusieurs éléments pour se différencier du commerce physique. Ils proposent un grand choix de produits importés qui sont relativement difficiles à trouver à proximité et offrent la possibilité d’acheter à tout moment avec une livraison rapide en quelques jours.

Jumia possède par exemple un stock de produits en entrepôt et a su s’adapter au business model local, en proposant différents moyens de paiement : paiement en carte bancaire, en mobile banking, ou encore en assurant un paiement à la livraison via le « clic & collect », permettant ainsi de payer en espèces à la réception du produit.

Cdiscount assurait une présence au Sénégal, au Cameroun et en Côte d’Ivoire jusqu’en juillet 2016. La plateforme a choisi de se retirer des marchés sénégalais et camerounais. Le positionnement de Cdiscount, un peu plus haut de gamme que Jumia, n’a peut-être pas su attirer suffisamment de clientèle ; alors que Jumia est très généraliste, de la mode à l’assurance en passant par l’automobile, Cdiscount ne se positionnait pas dans la catégorie « mode » mais souhaitait ouvrir une catégorie « alimentation » absente sur Jumia.

D’autres acteurs ciblent des business model différents à la manière d’Afrimarket qui s’appuie sur un réseau de commerçants déjà existant et qui permet l’achat en ligne et la livraison de produits présents dans ses magasins partenaires (la cible visée étant la diaspora).

Africashop a encore choisi un modèle différent en acheminant ses produits depuis la France par bateau ou avion après le paiement de la commande. Les délais de livraison sont plus longs : quinze jours par avion et quarante jours par bateau en moyenne, mais en contrepartie le catalogue est plus riche puisqu’il n’y a plus de problématique de stock à gérer.

Les acteurs internationaux de l’e-commerce ont adopté plusieurs stratégies vis-à-vis de l’Afrique. Certains comme Amazon ont opté pour une stratégie plutôt passive. Amazon permet depuis 2015 la livraison de certains articles dans quatre pays africains : l’Égypte, le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud. La plateforme s’occupe du dédouanement et permet de payer la commande avec sa devise locale. Néanmoins, les frais de douane et d’envoi sont élevés et la plateforme ne permet pas de paiement alternatif pour les acheteurs non bancarisés. Cdiscount a été plus agressif et s’est lancé en Afrique dans plusieurs pays. Néanmoins, face au manque de profitabilité, Cdiscount s’est retiré à l’été 2016 du Sénégal et du Cameroun tout en gardant ses activités en Côte d’Ivoire.

L’e-commerce en Afrique a de fortes spécificités, ce qui en fait une zone difficile à atteindre pour les acteurs d’e-commerce internationaux déjà ancrés dans leur business model occidental.

 

Jean-Michel Huet, associé BearingPoint, Olivier Darondel, manager, Sarah Calvados et Simon Dabadie, consultants


[1] Source : La classe moyenne est définie par un revenu entre 2 et 20 dollars par personne et par jour, CFAO/BearingPoint/IPSOS, « Les classes moyennes en Afrique », 2015.

[2] Source : CFAO/BearingPoint/IPSOS, « Les classes moyennes en Afrique », 2015.

[3] Source : Euromonitor, Internet Retailing Nigeria, 2015.

[4] Source : CFAO/BearingPoint/IPSOS, « Les classes moyennes en Afrique », 2015.

[5] Source : CFAO/BearingPoint/IPSOS, « Les classes moyennes en Afrique », 2015.

[6] Source : Deloitte, « African Power of Retailing », 2015.

[7] Source : McKinsey, « Lions Go Digital: The Internet’s Transformative Potential in Africa », 2013.

[8] Source : McKinsey, « Lions Go Digital: The Internet’s Transformative Potential in Africa », 2013.