Airbnb : la ville de Paris en danger ?

Les lois passent, mais la situation n'évolue guère. Malgré les avancées de la loi pour une République numérique - obligation de payer des cotisations sociales au-delà de 23 000 euros de revenu par an, plafond annuel de 120 jours de location...-, les dérives d'Airbnb et consorts perdurent.

Il y aurait ainsi pas moins de 70 000 logements proposés par des particuliers à Paris et en proche banlieue. 20 000 d'entre eux sont non déclarés, donc illégaux. De plus en plus de propriétaires proposent plusieurs logements à des touristes : 5% des propriétaires posséderaient ainsi 20% des appartements entiers à louer à Paris. Une chose est sûre : pour certains, l'esprit « communautaire » ou « convivial » des premiers jours d'Airbnb s'est transformé en véritable business. 

Une menace sur l'économie et l'âme de Paris 

Les conséquences de ce développement anarchique sont réelles. Elles sont bien visibles. Alors que des quartiers comme le Marais ou l'Île Saint-Louis deviennent de vraies « cités dortoirs » de luxe, leurs habitants de toujours sont contraints, par la pression immobilière, de céder des immeubles entiers aux touristes et de déménager en banlieue. 

Le tissu humain, social et économique des résidents ne peut pas être remplacé par des voyageurs de passage. Des habitants qui s'en vont, ce sont des petits commerçants en moins, mais aussi des classes qui ferment. Dans l'arrondissement où je réside, deux classes n'ont pas réouvert cette année au sein de l'école publique, faute d'élèves. Dans certains quartiers tels que l'avenue Montaigne ou la rue du Faubourg Saint-Honoré, les boutiques qui travaillent en symbiose avec les hôtels environnants voient leur chiffre d'affaires reculer de 40%. 

In fine, c'est tout le secteur du tourisme qui traverse une des plus graves crises de son histoire. Dans le Grand Paris, l'année 2016 aura connu une régression de 6% des arrivées hôtelières par rapport à l'année précédente. Les terribles attentats de 2015 ont, bien entendu, joué un rôle dans cette désaffection des touristes pour la capitale française. Mais ils n'expliquent pas tout. La recrudescence des offres de location en ligne compte, selon moi, pour moitié dans les pertes accusées par les hôteliers. 

Les exploitants hôteliers sont des producteurs d'emplois. Mais ils sont de plus en plus nombreux ceux qui, comme moi, n'ont pas été en mesure de recruter ou de remplacer un départ. L'économie est une chaîne : si l'un de ses maillons casse, c'est tout le tissu économique d'une ville, d'une région ou d'un pays qui peut se désagréger. Quand les hôteliers souffrent, les commerces de quartier, les familles environnantes, en paient les conséquences. Et les finances de l'Etat souffrent aussi. Si rien n'est fait pour enrayer cette tendance destructrice, c'est l'âme de Paris qui est en danger.

Le début d'une prise de conscience

En première ligne, les hôteliers français n'ont eu de cesse d'alerter les autorités publiques afin de mieux réguler ce qui s'apparente à une véritable « jungle » de la location en ligne. Plusieurs associations d'exploitants hôteliers, dont l'AhTop, et de l'immobilier, représentant plus de 800 professionnels, ont déposé plainte au parquet de Paris, avec constitution de partie civile. Nous demandons que soient reconnues par la justice la violation de la loi Hoguet (absence de carte professionnelle alors que les plateformes jouent le rôle d'intermédiaire), l'absence d'immatriculation obligatoire, comme pour les agents de voyage, ou encore la méconnaissance des règles applicables aux activités d'assurances. À titre personnel, je souhaite que la ville de Paris suive le chemin de fermeté emprunté par d'autres métropoles, comme San Francisco, qui a limité les locations à 90 jours par an, ou Barcelone, qui a fait fermer plus de 250 meublés loués au cours de l'été dernier. 

À leur tour, les habitants de nos quartiers commencent, eux aussi, à monter au créneau. Ils ne supportent plus les va-et-vient sans fin, les cohabitations bruyantes, ces « nouveaux voisins » qui se comportent, parfois, comme s'ils ne devaient respecter aucune règle. De voisins, ils deviennent gardiens d'immeuble. Et c'est le vivre ensemble qui en prend un coup. 

Longtemps isolés dans notre combat, nous sommes aujourd'hui rejoints par de plus en plus de nos clients. À l'image de cette famille d'Américains, désolée de devoir quitter l'un des hôtels dont j'ai la responsabilité pour rejoindre un appartement voisin, réservé à l'avance sur Airbnb. La cause de leur contrariété ? Ils ne s'attendaient pas – ou plus ! – au niveau de service qu'ils ont trouvé au sein d'un établissement tel que le mien. Ils m'ont demandé s'ils pouvaient passer à l'occasion pendant le reste de leur séjour afin de bénéficier encore des conseils que nous leur avions prodigués pour mieux profiter de la vie parisienne. 

En échangeant avec leurs clients, les hôteliers font prendre conscience aux touristes des impacts négatifs des plateformes de location en ligne. La plupart d'entre eux reconnaissent qu'ils n'avaient pas songé à cet aspect des choses. Et ils s'insurgent avec nous : non, ils ne veulent pas détruire l'âme de Paris. Oui, ils veulent retrouver l'image de Paris qui est chère à leurs yeux, celle de la ville des amoureux, des petits commerçants, des quartiers pleins de vie.

Cette prise de conscience est une bonne nouvelle. Après les hôteliers et les habitants de nos villes, les touristes et amoureux d'une certaine idée de la France prennent la mesure de la situation. Nous, hôteliers, avons bien conscience qu'Airbnb et les autres plateformes seront nécessaires, demain, pour accueillir toujours plus de touristes. Il y a de la place pour nos deux modèles. Mais la concurrence doit se faire à armes égales.