Il est temps d’agir pour sauver le magasin physique

Le magasin physique est une espèce menacée, alors que l'écrasante majorité des achats y sont encore réalisés. Pourquoi une telle situation ? Quels sont les leviers pour inverser la tendance et renouer avec les bénéfices des magasins ?

En amoureux du retail, je trouve que nous vivons une époque bien sombre. Chaque semaine nous apporte son lot de fermeture de magasins, ou pire d’enseignes. Et il n’y a pas que la France qui soit touchée ! De l’autre côté de l’atlantique, Crédit Suisse estime ainsi que plus de 8600 boutiques vont fermer cette année : Macy’s, Kohl’s, Nordstrom ou JCPenney ont tous annoncé des fermetures de points de vente et des réductions de personnels, avec pour certains un ré-investissements sur l'activité e-commerce. Plus près de nous, de nombreuses enseignes comme Surcouf en France, Woolworths au Royaume-Uni ou Karstadt en Allemagne appartiennent au passé. Comment l'expliquer alors que 90% des achats sont encore réalisés en magasin ? 

L’e-commerce, source de tous les maux ?
On a parfois tendance à désigner l’e-commerce comme seul coupable de la crise de la distribution, mais il s’agit là d’une vision trop simpliste de la situation. Tout d’abord, la plupart des enseignes qui ont pignon sur rue ont désormais une activité e-commerce, mais force est de constater que cette dernière  peine à faire repasser dans le vert le résultat de bon nombre de distributeurs. De la même manière, certains croient voir dans les difficultés des distributeurs un phénomène conjoncturel cantonné à un secteur d’activité en particulier. Mais les difficultés du commerce de détail touchent tous les secteurs : habillement, équipement de la maison, bricolage, loisirs…La baisse de la fréquentation touristique en France, en particulier après les attentats de 2016, a eu un impact significatif sur le secteur touristique mais aussi sur le secteur marchand, notamment à cause de la désertion des populations à haut pouvoir d’achat. Par ailleurs, l’explosion des prix de l’immobilier et des loyers des surfaces commerciales dans certains quartiers très centraux achève de mettre en péril une rentabilité précaire.

Change or die
L’omnicanal n’est plus une option pour les distributeurs mais une nécessité, imposée par les nouvelles habitudes d’achats des consommateurs. Si vous ne voulez pas délivrer une expérience qui correspond aux désirs actuels de vos clients, vos concurrents se feront un plaisir de le faire à votre place et de vous voir mettre la clé sous la porte. En France, offrir au client la capacité de s’assurer de la présence d’un produit en boutique avant de se déplacer est devenu la norme. Les consommateurs ne veulent plus se déplacer pour ne pas trouver le produit qu’ils recherchent. Et si tel est le cas, le réflexe numéro un du consommateur sera alors de dégainer son smartphone en rayon pour trouver le produit ailleurs, ou le commander directement. Ajouter des écrans aux quatre coins d’un magasin n’inversera pas cette tendance car nous avons déjà tous un écran dans la poche. En revanche, si vos vendeurs sont à même de fournir une solution satisfaisante au client, la donne peut changer radicalement.

L’expérience client reine
Don Peppers et Martha Rogers ont théorisé depuis plus de vingt ans maintenant l’importance fondamentale de l’expérience client dans la réussite des entreprises, mais trop peu d’entreprises Françaises ont pris cette préoccupation au sérieux. C’est d'ailleurs ce que confirme l’étude Customer Experience Index de Forrester Research dévoilée fin 2016 et qui pointe du doigt que les entreprises Françaises ont régressé en matière d’expérience client. Celle-ci ne se limite pas au simple service client en cas de réclamation mais implique tous les collaborateurs de la marque, en point de vente comme au siège. Si Amazon est la marque la plus plébiscitée par les Français pour son expérience e-commerce, ce n’est pas qu’une question d’offre mais d’expérience globale : le site vous signale si vous êtes sur le point de commander deux fois le même produit, propose une livraison ultra-rapide dans les grandes villes pour certains produits, offre un service client rapide et fiable… Autant de recettes qui font la réussite d’Amazon.
Le vendeur : clé de la survie du magasin

Dans un monde fait de rapports déshumanisés et d’algorithmes, la relation interpersonnelle entre le vendeur et le client reprend de l’importance. Si les expérimentations d’équipements de magasins avec de nouveaux écrans ont montré des résultats parfois intéressants, les consommateurs s’en détournent une fois passé l’effet de mode. Le capital le plus important d’un réseau de distribution réside dans les femmes et les hommes qui constituent ce réseau. Plutôt que de complexifier le travail des vendeurs, il est temps de leur simplifier la vie. Les marques doivent utiliser le trafic réalisé sur le site internet pour générer des visites sur le point de vente, en permettant par exemple de réserver les produits en ligne ou de se faire livrer les produits de la marque en magasin.Les enseignes doivent également permettre aux vendeurs de passer plus de temps en rayon avec les clients, en leur donnant des outils qui permettent d’améliorer les taux de transformation. Afficher le catalogue de la marque, consulter l’ensemble des stocks, commander le produit ou encaisser une transaction directement dans une interface vendeur-friendly et intuitive est un véritable avantage compétitif.

Enfin, les distributeurs doivent permettre aux vendeurs de se focaliser sur leur métier en simplifiant toutes les opérations de logistique et de gestion (inventaire, stock, gestion des réservations…), et en leur faisant passer le moins de temps possible derrière une caisse ou un ordinateur. Après avoir accompagné la digitalisation de plus de 25.000 boutiques dans 13 pays, j’ai bon espoir de voir le magasin acquérir une seconde jeunesse et opérer une cure de jouvence par une refonte nécessaire de l’expérience client. Mais je sais aussi malheureusement que trop de marques ne prennent pas au sérieux cette menace à sa juste mesure, et nous risquons encore de voir trop de magasins fermer. Comme le disait Andrew Grove, co-fondateur d’Intel : “seuls les paranoïaques survivent”.