Pourquoi l'IA est à la fois menaçante et bénéfique pour l'humanité

Faut-il s’inquiéter de la montée en puissance de l’IA ? L’homme est-il condamné à se voir dépasser ? Passage en revue des questions sur l'IA et des réponses du dernier ouvrage de Laurent Alexandre : "La guerre des intelligences".

La révolution de l’intelligence artificielle est-elle déjà en marche ?
Oui, la révolution a déjà commencé.  L’intelligence artificielle a déjà une histoire ponctuée d'événements spectaculaires. En 1997, l’ordinateur Deep Blue bat le champion du monde d’échec. En 2011, un ordinateur IBM gagne l’équivalent anglais de « Questions pour un champion » face à ses compétiteurs humains. En 2015, une filiale de Google écrase le champion européen de go, un jeu réputé plus difficile que les échecs. En 2017, l'ordinateur le plus puissant du monde effectue 93 millions de milliards d'opérations par seconde quand il n’était en mesure que d’en faire une en 1938.
Non, la révolution, la vraie, celle qui bouleversera notre vie quotidienne en faisant exploser nos capacités neuronales, est encore à venir. Nous disposons d’encore un peu de temps. Disons, 2030. Pourquoi cette date précisément ? Mystère…

L’intelligence artificielle pourra-t-elle dépasser l’intelligence humaine ?

Oui, l’intelligence n’est qu’une quantité d’opérations traitées. Autrement dit de puissance de calcul. Or le cerveau humain présente la faiblesse d’apprendre lentement, nos capacités intellectuelles sont limitées et l’intelligence accumulée est réduite à zéro au moment du décès. Autant de restrictions qu’ignore le silicium. Qui plus est, à terme, l’intelligence artificielle saura non seulement se corriger mais aussi se reprogrammer et assurer les moyens de son autonomie.
Non, l’intelligence humaine conservera toujours l’atout que lui confère notre humanité. Quand l’ordinateur est contraint de passer en revue toutes les solutions, l’esprit humain, lui, fait appel à l’intuition, recourt à des raccourcis, par le biais des émotions. Même si certains chercheurs n’excluent pas une intelligence artificielle dotée de sentiments, les affects restent pour l’instant la part singulière de notre intelligence et de notre force.

L'intelligence artificielle menace-t-elle tous les métiers ?

Oui, tous les métiers, même les professions intellectuelles, seront fragilisés à terme et c’est bien ce qui est inquiétant. A la différence des révolutions techniques précédentes, l’intelligence artificielle ne menace pas seulement les tâches les plus répétitives, les moins qualifiées mais aussi des métiers ayant nécessité de longues années études. L’avis d’un ordinateur ayant mémorisé des millions sinon des milliards d’information sera rapidement plus performant qu’un cerveau humain pour poser le bon diagnostic et préconiser les bons remèdes. A la limite, ce seront les métiers manuels seront moins touchés du fait du coût élevé des robots.
Non, l’intelligence artificielle continuera d'avantager les métiers intellectuels. Cela ne nous changera pas beaucoup. L’économie de la connaissance avantage déjà les métiers fondés sur la manipulation et l’exploitation des données. De la même façon, le développement de l’intelligence artificielle donnera une prime aux innovateurs, aux manageurs et aux scientifiques. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les artistes n’ont aucun souci à se faire qu’il s’agisse des musiciens, des écrivains ou des acteurs. De façon plus attendue, les grands chefs continueront d’avoir autant de succès. En revanche, les comptables et les chauffeurs routiers ont du mouron à se faire : ils n’auront plus leur place dans la société de 2030.

La formation peut-elle nous sauver ?

Non la formation, quelle qu’elle soit, ne joue qu'un rôle marginal dans le développement de l'intelligence. L’inertie du cerveau humain est terrible. Les deux tiers de nos capacités intellectuelles sont déterminés par notre patrimoine génétique. On nait intelligent plus qu’on le devient. Face au déterminisme biologique, le système éducatif peut réduire les inégalités au début de la vie, et encore faiblement. Après quoi, le patrimoine génétique reprend implacablement ses droits.  
Oui la formation personnalisée révolutionnera l’apprentissage. Demain, les cerveaux pourront se muscler dès le plus jeune âge grâce à des programmes et des exercices personnalisés axés sur "les humanités, l’esprit critique, tout ce qui est multidisciplinaire", dans le prolongement des MOOC accessibles sous la forme de cours vidéo. Sortant d’une ère dominée par l’empirisme et les arguments d’autorité, la formation deviendra "une technologie", "une véritable science fondée sur l’observation objective de la structure du cerveau et de ses modes de réponse". Moyennant quoi, le QI pourrait passer de 100 à 125. Pas mal pour une aptitude censée être déterminée par les gênes…

Choisira-t-on d’agir directement sur le cerveau pour augmenter l’intelligence ?

Non, les Français sont réticents à toute manipulation des gênes. Autant ils acceptent le principe de corriger les anomalies génétiques responsables de maladies, autant ils s’effraient à la perspective d’optimiser le patrimoine génétique. Soigner la nature ne soulève aucun problème. La modifier parait aussi inacceptable que dangereux. Ainsi, seule une infime minorité d’entre-nous juge positive l’augmentation du QI en agissant sur le fœtus quand près de 40% des Chinois et des Indiens y sont favorables.  
Oui, tout le monde y viendra. Ce n’est qu’une question de temps. Dès lors que cela sera possible, les parents voudront le meilleur pour leurs enfants. De la même façon qu’aujourd’hui 96% des enfants trisomiques dépistés sont éliminés, "il sera en 2100 jugé aussi étrange de laisser de petits enfants naître avec un QI inférieur à 160 qu’aujourd’hui de mettre sciemment au monde un bébé porteur de trisomie ou gravement déficient mental." De la même façon que la trisomie a boosté la recherche génétique, Alzheimer sera une porte d’entrée des technologies de neuroamélioration.

L'égalisation des QI est-elle envisageable ?

Non les progrès concerneront ceux qui ont déjà un QI élevé. Et seuls ceux-ci pourront donc trouver un travail. "A partir du moment où l’IA va gérer des fonctions vitales, nous opérer avec des robots chirurgicaux, gérer le trafic routier, c’est naïf de penser qu’on confiera ces tâches de monitoring à des gens qui ont une formation limitée". Parallèlement, on assistera à l’émergence de "populations qui percevront une sorte de minimum social d’infériorité cognitive". Après tout, précise l’auteur, "des gens augmentés disposant de 180 de QI ne demanderont pas plus mon avis qu'il ne me viendrait à l'idée de donner le droit de vote aux chimpanzés." Sans compter que "ce n’est pas le tout de réussir dans la vie, encore faut-il que vos amis échouent."Oui moyennant un effort financier important, de la part des familles et de l’Etat, chacun pourra espérer être atteindre l’intelligence maximale. Cela deviendra même un des grands enjeux politiques de demain : "on ne sauvera pas la démocratie si nous ne réduisons pas les écarts de QI". "Dès que cela sera possible et accessible, la demande d'amélioration de l'intelligence pour les futurs enfants va exploser".  D’ailleurs, "l’échec ne sera plus une option dans l’école de 2060." Pour peu que l’école existe encore, bien sûr…

La supériorité intellectuelle garantira-t-elle la supériorité économique ?

Oui. C’est d'ailleurs un point sur lequel l’auteur ne se contredit pas. C’est dire s’il en est convaincu :  l’intelligence est la clé de la réussite économique comme de la réussite individuelle. La preuve, tandis que le QI augmente dans les pays d’Asie, il régresse pour la première fois dans certains pays européens. D’ailleurs, affirme l’auteur, "75% des différences économiques entre les pays s’expliquent par les différences de QI moyen". Un chiffre curieusement précis dont le docteur Alexandre ne donne pas la source. Mais après tout, le lecteur n’est plus à une approximation près...