Stratégie média : les marques plébiscitent plus de transparence

A l’heure de la révolution digitale et de la protection des données personnelles, les grandes marques modifient leur stratégie média pour plus de transparence.

Par Francisco Sanchez, Associé et Abel Burrel Perea, Manager

L’annonce par le géant Procter & Gamble de la réduction de son investissement en publicité digitale de 1,25 milliard de dollars sur 4 ans témoigne du vent de changement qui souffle sur le paysage publicitaire mondial. La transformation de la chaîne de valeur des médias a été amorcée par la multiplication de ses acteurs et l’apparition de dispositifs innovants résultant de l’évolution de l’offre digitale.

Face à la multiplicité d’acteurs, les annonceurs doivent repenser leur stratégie média afin de la rendre plus rationnelle et efficace. A l’heure de la disruption technologique, de l’avènement des nouveaux canaux et formats de diffusion, comment optimiser et mesurer le retour sur investissement des campagnes publicitaires ? Quelles innovations constituent aujourd’hui des leviers à haut potentiel pour les annonceurs ? 

Marc Pritchard, directeur marketing de Procter & Gamble, l’un des plus gros annonceurs du monde, avec un budget publicitaire annuel de 10 milliards de dollars, a dénoncé en 2017 le manque de transparence dans la chaîne de valeur des médias digitaux. C’est en effet au cours de son intervention à l’IAB Annual Leadership Meeting que Marc Pritchard a lancé, non sans virulence : « P&G does not want to waste time and money on a crappy media supply chain 1».

Des propos suivis par la révélation de la mise en place d’un programme visant à revoir à la baisse les investissements du groupe en matière de publicité digitale, qui s’est confirmée par l’annonce, début 2018, d’une coupure des dépenses de 1,25 milliard de dollars sur 4 ans. Pour l’heure, ce sont 200 millions de dollars qui ont déjà été économisés par le groupe. Autre nouveauté au tableau; la création d’une agence d’un nouveau genre, autonome et rassemblant des spécialistes travaillant déjà pour lui par le passé. Un pied de nez aux 6000 agences traditionnelles par lesquelles le groupe passait jusqu’ici, puisqu’il ne collabore dorénavant plus qu’avec la moitié d’entre elles. Dans une interview accordée au Figaro en mai, Mark Pritchard a d’ailleurs réaffirmé, plus convaincu que jamais « qu’une grande partie de la publicité digitale [était] investie en pure perte 2».

Parallèlement, le principal concurrent de Procter & Gamble, Unilever, a annoncé en février dernier son alliance avec IBM dans le but de créer une solution blockchain qui permettrait de garantir davantage de transparence quant à l’achat média.

Au regard de la complexité des algorithmes digitaux et afin de mieux contrôler l’efficacité et la performance de leurs publicités, les annonceurs se tournent vers la mise en place de projets structurants pour rationaliser leurs investissements, à l’instar de Procter & Gamble qui a repris le pilotage de l’achat média et de son adversaire Unilever dont le nouveau partenariat repose sur une technologie de rupture réinventant le rapport de confiance. Une tendance qui ne devrait pas tarder à s’élargir à l’ensemble des grands annonceurs.

Décortiquer la chaîne de valeur pour mieux comprendre le rôle et la nécessité des nouveaux acteurs qui la composent 

La priorité des annonceurs est aujourd’hui de pénétrer la chaîne de valeur des médias digitaux afin d’avoir une meilleure compréhension de son système et du rôle de ses acteurs pour mieux l’exploiter ; Unilever est, parmi les géants, le premier des géants à s’être lancé dans cet ambitieux projet.

Traditionnellement, la transparence des processus était garantie par une organisation tripartite, simple et classique, entre l’annonceur, l’agence et le média. Depuis la révolution numérique, le marché a été investi par de nouveaux acteurs, intermédiaires et sources de mesure dont il serait difficile de se passer… mais qui ont rendu le décryptage de la chaîne de valeur autrement plus complexe.

D’autre part, en réponse aux nouveaux canaux de distribution, l’apparition de multiples agences spécialisées dans le digital a, elle aussi, profondément impacté les coûts à la hausse

Les bannières web qui adaptent leur message publicitaire à chaque internaute en temps réel relèvent de la publicité dite programmatique. Cette dernière est sujette à débat pour les annonceurs, qui dénoncent un manque d’approche qualitative de la part de ces nouveaux formats, outils et prestataires  En toile de fond, le sujet de la fraude au clic publicitaire sur Internet. Selon certaines études, près de la moitié du trafic sur Internet serait générée par des fermes de robots et non par des humains. Par exemple, un spot publicitaire écourté volontairement après quelques secondes par l’internaute comptabilise malgré tout une vue, ou, le recours à des robots pour accroître les clics et visites permet de générer un trafic complètement factice, pourtant vendu aux annonceurs. Ces procédés discutables ont proliféré et contribué à la méfiance des marques envers ces nouveaux acteurs… et des consommateurs envers les marques. C’est la raison pour laquelle les métriques erronées sont au cœur des discussions et incitent les annonceurs à se détourner peu à peu des réseaux sociaux pour promouvoir leurs offres.

Pour décoder la chaîne de valeur, identifier ses acteurs de premier, deuxième et troisième rangs, constitue donc une priorité. Cela permettrait de tout mettre à plat, de parvenir à une vision détaillée de la chaîne pour ainsi réévaluer les investissements nécessaires et limiter les abus, en particulier grâce à une analyse des écarts entre service facturé et service rendu. Le directeur général de l’Union des annonceurs, Jean-Luc Chetrit, dénombre « la présence de 25 intermédiaires en moyenne intervenant tout au long de la chaîne 3». De quoi brouiller les pistes… 

Quel ROI à l’heure du big data et du customer centric  ?

Afin de conserver et de développer leurs parts de marché, les entreprises se doivent désormais de mettre les bouchées doubles sur le big data pour piloter leur stratégie média puisque la collecte, l’analyse et le croisement des données provenant de la chaîne de valeur, mais aussi du sell-in (du producteur au distributeur) et du sell-out (du distributeur au consommateur), finiront par permettre la mise en place d’un solide processus d’estimation et optimisation du retour sur investissement.

La guerre au clic, au nombre de vues, est aujourd’hui terminée. Place à l’engagement ! Il est aujourd’hui indispensable de mener une réflexion sur la stratégie média, qui dorénavant devra davantage être axée sur la brand experience pour parvenir à un engagement plus interactif et affectif avec le consommateur, à l’instar des campagnes publicitaires Heineken autour du football. En outre, les annonceurs sont vivement invités à adopter une démarche toujours plus customer centric, qui s’attache à identifier les meilleurs clients par le biais de segments restreints pour une meilleure rentabilité ; la qualité prévalant sur la quantité et la notion de communauté étant devenue incontournable. 

Des outils à fort potentiel dont il faut maîtriser la puissance

Alors qu’elle a été déclinée sur tout l’écosystème digital, l’approche customer centric couplée à la publicité programmatique a conduit à la profusion du nombre de messages publicitaires, dont la fréquence de rotation s’est d’ailleurs accélérée. Il convient donc de recourir à ces dispositifs marketing innovants avec stratégie, intelligence et modération, au risque de nuire à l’image de marque et de lasser voire d’agacer les internautes.

Effectivement, si les investissements des entreprises dans les médias digitaux continuent globalement de croître, les consommateurs tendent quant à eux à saturer face à cette sollicitation continue et parfois intrusive, notamment sur les réseaux sociaux. Mark Zuckerberg a justement annoncé que sa plateforme Facebook inclurait à l’avenir moins d’informations en provenance « des entreprises, des marques et des médias 4». Une goutte de moins dans cette marée publicitaire, en somme. 

  Sources des citations  :

1  Bloomberg.com, “P&G ends its YouTube advertising boycott, but with a catch” (20 avril 2018)

2 Le Figaro, “Publicité : la charge du premier annonceur mondial contre les géants de l'Internet” (28 mai 2018)

3 Les Echos, Annonceurs et agences média signent un « new deal »” (24 avril 2018)

4  Le Figaro, “Facebook revoit son fil d’actualité : moins de marques, plus d’amis" (12 janvier 2018)