Les plateformes sont mortes, vive les médias !

De plus en plus d’internautes et d’Etats leurs demandent des comptes sur le contenu qu’elles hébergent et l’impact qu’ont ces plateformes sur nos sociétés.

Sacha, même s’il le voulait, Mark Zuckerberg ne pourrait pas répondre à vos demandes, car Facebook n’est pas un média ! L’attaque de Sacha Baron Cohen contre Facebook est symptomatique d’une évolution en cours dans le monde des grandes plateformes sociales et de contenus (YouTube, Facebook, Twitter …) : de plus en plus d’internautes et d’Etats leurs demandent des comptes sur le contenu qu’elles hébergent et l’impact qu’ont ces plateformes sur nos sociétés.

Mais si le cri d’alarme est légitime, peut-il être suivi d’effet ? Demander à Facebook de vérifier les faits décrits dans ses publicités, c’est ne pas prendre en compte l’ADN de la plateforme, qui comme les autres tente de se présenter en hébergeur technique qui fait tout pour ne pas avoir à exercer de responsabilité éditoriale, donc devenir un média.
Et même au delà de la question de la volonté de la plateforme, après avoir accueilli pendant des années un volume colossal d’articles, sons, vidéos et photos sans sélection, peuvent-ils encore, s’ils le décidaient, faire le tri ? Rien n’est moins sûr. L’ère de leur pertinence touche donc peut-être à sa fin. 

La logique de plateformes de contenu, à bout de souffle

Les plateformes comme Facebook et YouTube se sont construites comme des supports techniques hébergeant une quantité colossale de contenus auxquels s’ajoutent des fonctions sociales. Ce faisant, elles ont fourni aux créateurs de contenu des outils pour s’exprimer, quelles que soient leurs idées, ce qui a libéré la créativité de millions de personnes sur Internet. Mais derrière ce premier effet positif, la neutralité des plateformes a aussi ouvert la voie à des contenus violents, haineux, relevant d’idéologies extrêmes, trompeurs… qui y ont trouvé une caisse de résonance sans précédent et dont les effets ont commencé à se faire sentir sur nos sociétés. 

Peu à peu donc, les internautes, mais aussi les Etats ont souhaité que les plateformes assument la responsabilité du contenu qu’elles diffusent, ce qui était tout à fait contraire à leur ADN initial. Ainsi sont apparues des chartes de bonne conduite sur les plateformes, mais chacun des critères qu’elles retiennent pour accepter ou non un contenu est sujet à interprétation subjective. Comment définir si un contenu est "vrai" ou "trompeur" ? Où place-t-on la limite pour un contenu violent ? In fine, c’est toujours l’interprétation de la plateforme qui prévaut. Assumer ce choix subjectif revient à définir une ligne éditoriale, ce qui signifie devenir un média, ce que fuient les plateformes ! 

Le vrai problème ? ll est trop tard pour les plateformes actuelles

Pourquoi les plateformes refusent-elles tant de devenir des médias ? Sacha Baron Cohen cite leur modèle économique, qui les oblige à toucher le plus grand monde possible, mais ce n'est pas le vrai sujet. En réalité, des plateformes aussi colossales que Facebook et YouTube peuvent tout à fait trouver d'autres modèles si elles le souhaitent vraiment. Dans la publicité ce sont eux qui font les formats et les prix, ils sont donc à même de les faire évoluer.
Non, le réel problème est leur capacité technique à mettre en oeuvre cette évolution. Les volumes de contenus publiés sur ces plateformes, le nombre d'annonceurs et le nombre de publicités créées chaque jour sont si importants qu'il est juste impossible de maintenir une cohérence éditoriale dans tout cela.

Les IA les plus avancées ne sont encore capables de faire que du bête tri par mot clé et la modération humaine expose les modérateurs à des contenus si déroutants qu'ils sont très nombreux à sortir de cette expérience avec des séquelles psychologiques en plus d'avoir été payé un salaire de misère pour ce travail !

Longue vie aux médias !   

Mais la demande est là : les utilisateurs et les régulateurs demandent de l'éditorial, de la responsabilité. Le discours de simple plateforme n'est plus audible en 2019 et s'apprête probablement à devenir impossible et illégal.

La seule solution pour y parvenir est de se positionner comme un média dès la création, avec une charte claire définissant quels contenus sont acceptés ou non. Le travail d'éditorialisation ne peut  être fait qu'à la génèse d'une plateforme, et même là il est difficile et requiert un ajustement constant.

Après, il est trop tard, et c'est sans doute ce que sont en train de réaliser les grandes plateformes, qui se cachent derrière la liberté d'expression pour masquer le vrai problème : elles n'ont pas la capacité à évoluer dans le sens qu'on leur demande. Peut-être donc, que leur pertinence touche à sa fin.