Alexandre Lebrun (Facebook) "Le fonctionnement de notre assistant grand public M est 100% automatique"

Alexandre Lebrun est le père de M, l'assistant intelligent de Facebook. Ce spécialiste de l'IA, qui dirige la branche ingénierie du laboratoire de recherche fondamentale de Facebook à Paris, explique au JDN comment le groupe développe son concierge virtuel.

JDN. Facebook a lancé M Suggestions cette année aux Etats-Unis, un assistant intelligent tapuscrit intégré à Messenger dont vous êtes en partie le père spirituel. Le fonctionnement de cette IA est-il 100% automatique ?

Alexandre Lebrun dirige la branche ingénierie du laboratoire de recherche de Facebook à Paris. © Facebook

Alexandre Lebrun. Absolument. M Suggestions, qui est activé si l'utilisateur de souhaite, analyse automatiquement les conversations Messenger. Il est aujourd'hui doté d'une dizaine de fonctions. Lorsqu'il en a repéré le besoin au sein d'une discussion Messenger, il peut proposer à ses participants de leur donner la météo, de commander un taxi… Cet assistant est utilisé par des millions de personnes.

Facebook teste depuis août 2015 la version bêta d'un assistant baptisé M tout court, capable de répondre à n'importe quelle demande de son utilisateur. Cette version sera-t-elle déployée à grande échelle dans les prochains mois ?

Non. Ce "super M" est un projet de recherche fondamentale, il est impossible de prévoir une date de sortie. Depuis 20 ans, tous les assistants sont scriptés. Les développeurs écrivent les dialogues à l'avance et le code d'exécution de la tâche effectuée par l'IA. Nous construisons un outil capable de comprendre une discussion comme un humain et de répondre à une demande complexe, comme "organise moi une semaine de vacances" ou "je veux louer un perroquet".

Aujourd'hui, le test est toujours en cours. Nous analysons les requêtes de nos utilisateurs avec une IA, mais elle est assistée par des humains. Ces M trainers travaillent à notre siège de Menlo Park. Ils prennent le relais lorsque le logiciel ne parvient pas à répondre à une demande. Nous avons identifié des sollicitations fréquentes de nos utilisateurs, faciles à exécuter pour une IA. Nous les avons automatisées. Ce sont ces fonctions que l'assistant grand public lancé en 2017 accomplit sans intervention humaine. A chaque fois qu'une nouvelle tâche récurrente est automatisée, nous l'ajoutons à M Suggestions.

Comment les M trainers collaborent-ils avec votre IA ?

"Nous aimerions un jour lier notre assistant avec les bots les plus utilisés par les internautes, comme celui de leur opérateur télécom"

Ils l'ignorent. Nous ne leur demandons pas de codifier leurs actions pour aider M à les comprendre. Pour répondre à une demande de location de perroquet, pour poursuivre avec cet exemple (rire), ils passent par un moteur de recherche, puis le site de l'animalerie X, remplissent un formulaire… Ils utilisent un navigateur spécialisé qui enregistre toutes les étapes, les clics et les touches tapées sur le clavier. L'IA observe de l'extérieur les actions du trainer.

Elle est capable d'effectuer des analogies. Si un utilisateur lui demande de louer un autre animal, elle ne sera pas capable de réaliser la tâche dans son ensemble, mais elle saura que le site de l'animalerie X est une bonne référence aux USA. Elle proposera directement au M trainer de s'y rendre pour lui faire gagner du temps. L'assistant n'est pas totalement autonome mais il permet déjà d'augmenter la productivité des M trainers.

Combien de personnes travaillent sur les deux versions de M chez Facebook ?

La fusée est découpée en trois étages. Nous effectuons avec les 35 chercheurs qui travaillent chez Facebook AI research (Fair, NDLR) à Paris des travaux de recherche fondamentale liés à l'IA, en particulier sur le traitement du langage naturel. C'est de la recherche très académique. Nous publions nos résultats en open source. Nous ne travaillons pas directement sur M, mais nos recherches permettent au final à l'assistant de progresser. Nous ne pourrions pas attirer les meilleurs chercheurs du monde en leur disant "vous allez être aux ordres d'une équipe produit".

Lorsque l'équipe produit Messenger, qui gère directement les deux versions de M, repère chez nous un développement qui l'intéresse pour M ou M Suggestions, le département Applied Machine Learning s'en empare. Ils construisent une infrastructure pour rendre le service utilisable sur des milliers de machines. L'équipe Messenger prend ensuite le relais pour déployer la technologie auprès de l'utilisateur final. Facebook ne communique pas sur le nombre de personnes qui travaillent dans ces deux services.

Utilisez-vous les données publiques de vos utilisateurs pour aider les deux versions de M à être plus pertinentes ?

 

Non. Nous sommes très à cheval sur le respect de la vie privée de nos utilisateurs. Lorsque vous rencontrez quelqu'un pour la première fois, vous ne lui donnez pas votre numéro de téléphone. Vous discutez avec lui et si vous êtes en confiance, au bout d'une semaine peut-être, vous le lui confiez. Nous voulons faire de même avec M, collecter les informations sur les internautes de façon graduelle, avec leur plein accord.

Avant de créer Wit.ai, qui a été rachetée en 2015 par Facebook, vous avez fondé une entreprise spécialisée dans la conception d'assistants intelligents destinés aux entreprises baptisée Virtuoz. M sera-t-il un jour relié aux chatbots de certaines entreprises, moyennant finance ?

M n'est pas une plateforme aujourd'hui, mais nous pourrions tout à fait imaginer qu'il le devienne. Nous aimerions un jour lier notre assistant avec les bots les plus utilisés par les internautes, comme celui de leur opérateur télécom.

Cela implique que votre bot communique automatiquement avec d'autres bots. N'avez-vous pas peur que cela pose des problèmes techniques ?

Il est plus facile de mettre en lien deux chatbots que des systèmes informatiques traditionnels, car ils dialoguent comme des humains. C'est un mode de communication universel, contrairement à celui des logiciels. Attention, nous sommes dans la prospective, M et M Suggestions ne communiqueront pas avec des bots tiers demain !

Si l'IA avec laquelle M parle comprend de travers ce que lui dit le bot, cela complique le process. Comment votre assistant pourrait-il gérer ce type de situation ?

Il faudrait que M ne mette les internautes en contact qu'avec des chatbots de bonne qualité, afin de ne pas générer de mauvaise expérience utilisateur. M devra aussi prévenir l'utilisateur lorsque le bot tiers veut utiliser des données personnelles dont il dispose. Il dira par exemple : "Léa veut utiliser ton numéro de téléphone. Est-ce que tu es d'accord pour que je le lui communique ?"

M Suggestions parle aujourd'hui deux langues. Quand apprendra-t-il le français ?

Ce n'est pas au programme. Facebook se concentre sur l'amélioration de ses versions anglaise et espagnole.

Techniquement, comment lui apprenez-vous une nouvelle langue ?

Nous commençons par traduire des conversations à partir d'une langue qu'il comprend, pour lancer la machine. Nous l'entraînons ensuite directement dans le nouvel idiome. On ne peut pas échapper à des exercices en conditions réelles, car les utilisateurs de formulent pas leurs demandes de la même façon d'une langue à l'autre et que leurs requêtes ne sont pas les mêmes d'une géographie à l'autre.

Selon des rumeurs insistantes, Facebook sortira en 2018 un haut-parleur connecté équipé d'une IA vocale. Le groupe travaille-t-il actuellement sur une version orale de M ?

Cette rumeur n'a pas été commentée par Facebook. L'écrit correspond pour l'instant très bien aux besoins de nos clients, des entreprises dont les contenus sont souvent consultés dans les open space des bureaux. Nous nous concentrons donc aujourd'hui sur cette IA tapuscrite et ne communiquons pas sur le développement d'une IA vocale.