Rendons au citoyen la valeur de ses données de compteurs connectés

Alors que les compteurs Linky font régulièrement l’actualité, il convient de se demander pourquoi le citoyen, légalement propriétaire de ses données de consommation d’eau, électricité et gaz (les utilities) ne peut pas gérer lui-même le partage de ces données avec les tiers de son choix.

Aujourd’hui, les objets connectés les plus répandus en France sont les compteurs connectés installés par Enedis (gestionnaire unique de l’approvisionnement de l’électricité) avec 35 millions de compteurs Linky d’ici 2021, et par le délégataire de service (privé ou public) de la collectivité pour les compteurs d’eau et de gaz. En tant que citoyen, nous ne sommes jamais consultés pour savoir quelle marque de compteur nous souhaitons installer, et c’est plutôt normal car ces compteurs dépendent des propriétaires du réseau…

Or les données issues de ces compteurs nous appartiennent, et c’est là où tout se complique ! Hormis pour choisir notre fournisseur d’énergie (EDF, Engie, Direct Energie, Eni…), nous n’avons pas la liberté de partager nos données compteurs avec des tiers de confiance de notre choix. Pour le secteur de l’eau, nous n’avons même aucun choix car le gestionnaire assure lui-même la facturation au prix défini avec la collectivité.

Pourtant, le citoyen pourrait tirer de multiples bénéfices de ses données. Un potentiel qui réside dans la combinaison des données de différents acteurs des objets connectés et services digitaux. Par exemple, mettre en parallèle les données des compteurs Linky avec des prises connectées (de Legrand par exemple) permettrait de détecter les points noirs de consommation d’un ménage et analyser la pertinence économique et environnementale de changer tel ou tel électroménager. Il serait aussi possible de détecter instantanément des fuites d’eau en couplant les données des compteurs d’eau avec les équipements qui consomment de l’eau (électroménagers, robinets, chasses d’eau, douches connectés).

L'IoT pour atteindre l'excellence opérationnelle

Il y a dix ans, le niveau d’avancement technologique ne permettait pas de proposer aux citoyens le partage instantané, standardisé et sécurisé des données. Et il convient de rester indulgents : les acteurs du secteur de l’eau ont dû construire eux-mêmes les réseaux de communications nécessaires pour remonter les données de ces nouveaux compteurs télé-relevés. Sauf que dans le monde de la technologie, dix ans représentent une éternité ! Alors que les acteurs français des utilities se concentraient sur la maîtrise interne de la donnée, un écosystème très riche se structurait ; se spécialisant sur chacune des « étapes » de la chaine de valeur de l’économie des objets et services.

La problématique de l’échange de données entre ces nombreux entrants est un point crucial car ces derniers sont interdépendants de l’accès à la data. C’est ce qu’on appelle "l’API Economy". Derrière ce terme barbare – Application Protocol Interface - se cache en réalité une manière normalisée d’échanger les données entre différents partis de façon instantanée, viable, sécurisée, et traçable. Et c’est bien le consommateur qui va choisir à qui il fait confiance pour bénéficier en retour d’un service innovant et/ou moins cher.

Ce retard technologique n’est pas inéluctable pour les utilities, du moment qu’ils acceptent de se recentrer sur leur cœur de métier et s’assurent d’être au niveau technologique attendu par les nouveaux acteurs. Acteurs qu’ils ne doivent pas voir comme des concurrents venant "profiter de leurs données" mais plutôt comme une opportunité de démontrer tout l’intérêt de déployer des capteurs leur permettant d’atteindre l’excellence de leur métier.

Reste un levier essentiel à activer pour réellement débloquer les choses : la réglementation. Les autorités ont basé toute confiance dans les gestionnaires historiques des utilities pour mettre en place les Smart Grid (réseaux intelligents). Après tout, ce sont eux les spécialistes de la gestion des réseaux ! Oui, mais ils ne sont pas spécialistes de la connectivité et surtout des nouveaux modèles d'affaires basés sur la donnée et sur le service client. D’ailleurs, l’objectif premier de ces compteurs réside dans les gains opérationnels escomptés pour les gestionnaires des réseaux.

Vers une responsabilisation des citoyens

Le législateur doit comprendre que sa politique axée sur la collecte minimale de la donnée, tout à fait compréhensible il y a dix ans, est maintenant un frein à l’innovation. Les avancées technologiques actuelles permettent de repenser la gestion du partage de la donnée tout en garantissant à la fois la protection du citoyen et le bon fonctionnement des utilities.

La donnée doit être mise à disposition du citoyen, en temps réel directement par la marque de l’objet connecté, sans intermédiaire. Libre à lui ensuite de partager ses données avec les tiers de son choix. Nul doute que des acteurs privés, tels que les assurances, pourraient être intéressés pour financer l’équipement des foyers - à l’image des contrats sur-mesure proposés aujourd’hui aux bons conducteurs et qui se basent sur les données de conduite volontairement transmises par l’usager.

La généralisation des objets connectés au cœur des domiciles encouragerait la mise en place de comportements plus responsables en termes de consommation énergétique : ne pas laisser le chauffage allumé en journée en cas d’absence, gérer ses volets roulants pour limiter l’utilisation de la climatisation ; diminuer la consommation d’eau notamment en période de sécheresse… Des bonnes pratiques qui pourraient aisément être complétées par la mise en place d’avantages clients basés sur un système de bonus-malus (prix réduits en heure creuse etc.) évolutif et sur-mesure.

Et plus largement, si nous voulons voir un jour émerger de réelles villes connectées, gérées de façon efficace et citoyenne, il serait temps d’inclure activement leur maillon principal : les administrés ! Il devient essentiel de les laisser prendre les rênes de leurs propres données et de libérer les énergies et initiatives citoyennes.