Industrie 4.0 : des industriels curieux... mais frileux

Industrie 4.0 : des industriels curieux... mais frileux Les questions sur la mise en place d'une usine intelligente sont encore nombreuses chez les professionnels, qui cherchent à gagner en flexibilité.

Comment une usine connectée permet-elle de réduire les coûts, voire de tirer partie, d'une relocalisation de la production ? Comment mieux agréger les données ? Si l'industrie 4.0 est un sujet récurrent depuis 2015, les clés de la réussite sont encore loin d'être évidentes et les industriels se posent de nombreuses questions sur le concept, à l'image du groupe textile français Chamatex pour la construction de sa nouvelle usine en Ardèche. L'entreprise voulait relocaliser la production de chaussures de sport en érigeant une usine flexible, avec des postes de travail connectés, des capteurs IoT sur ses convoyeurs et différents logiciels pour piloter l'ensemble.

Pour faire profiter aux industriels comme Chamatex de son expertise dans le domaine et répondre à leurs interrogations, Bosch Rexroth a rejoint en mars dernier le consortium Diwii (pour Digital Intelligence Way for Industry Institute), composé de huit partenaires dont l'Ecole des Mines, le Cetim et Siemens. L'objectif de la structure : accompagner les industriels dans leurs projets par un démonstrateur au sein du campus numérique de la Région Auvergne Rhône-Alpes, à Charbonnières-les-bains près de Lyon. Quatre espaces sont présentés sur près de 800 mètres carrés : un atelier flexible automatisé avec des robots et AGV, un atelier lean, un atelier de prototypage pour faire tester la fabrication additive et un espace d'innovation collaborative, le tout piloté par une plateforme de chaîne numérique comprenant un ERP, un PLM, un MES et de la simulation.

Le robot perçu comme plus simple que l'IoT

Inauguré en janvier, le démonstrateur voit les demandes de visites s'intensifier. "Nous avons trois typologies de visiteurs, raconte Bruno Chavagneux, directeur d'exploitation du site pour le compte de l'école des Mines de Saint-Etienne : les grands groupes pionniers dans les technologies qui veulent profiter de la présence de chercheurs pour accélérer leurs projets d'innovation et aller plus loin. Les entreprises qui ont déjà initié des projets mais s'interrogent sur la manière de réduire le temps de mise en œuvre. Et enfin des structures qui veulent découvrir les possibilités et s'intéressent à tout."

Bosch Rexroth a équipé l'atelier flexible avec des convoyeurs, des postes de travail connectés, un robot AGV intelligent ActiveShuttle et une ligne de production connectée en RFID et gateway. © Diwii

La principale préoccupation des industriels, selon les observations de Bruno Chavagneux, concerne la donnée. Quels sont les meilleurs moyens de captation avec l'IoT, comment réussir le couplage de différentes connectivités, par exemple entre le Wifi, LoRa et la 5G, ou encore comment effectuer au mieux l'agrégation des informations ? "Les interrogations tournent autour des meilleures données à analyser, notamment pour accroître l'efficacité énergétique ou optimiser la logistique", indique-t-il. Beaucoup d'industriels le questionnent par ailleurs sur la 5G, pour identifier le bon usage à développer, et sur la robotique. "Les clients considèrent le robot comme un moyen rapide et efficace pour parvenir à des gains sur la production. Ils s'imaginent la robotique comme étant plus simple qu'un système IoT, qui comprend les capteurs, la connectivité, les outils d'analyse, et qui reste au final très nébuleux à leurs yeux."

A ces hésitations sur la marche à suivre s'ajoutent plusieurs freins pour passer à l'acte. Le premier d'entre eux est d'ordre financier. Savoir si une solution offre un ROI rapide est essentiel aux yeux des industriels. La facilité d'interconnexion entre les solutions représente quant à elle une deuxième problématique. D'autant que la cybersécurité doit être garantie entre les systèmes pour éviter le vol de données, "une crainte des industriels", rappelle Pascal Laurin, directeur industrie 4.0 chez Bosch Rexroth. Autre point d'achoppement, les compétences. "Bien intégrer les technologies nécessite un changement de métier, même s'il n'est pas besoin de savoir coder, il faut se mettre à l'informatique", met en garde Bruno Chavagneux.

"Avec l'industrie 4.0, il ne s'agit pas d'un sprint en s'équipant de trois robots mais d'une course de fond"

Face à toutes ces questionnements, au sein du consortium Diwii, on conseille d'y aller pas à pas. "Les industriels doivent réaliser un autodiagnostic pour identifier les chantiers pilotes à mener pour en tirer de la valeur. Il ne faut surtout pas qu'ils succombent au push-technologique. Beaucoup se laissent tenter sur les salons sans se demander si la brique technologique répond réellement à leurs besoins", souligne Bruno Chavagneux. L'étape suivante selon lui est de dresser un cahier des charges et une feuille de route en débutant par un petit projet. "Il vaut mieux avancer petit à petit et monter en compétence plutôt que de vouloir faire un grand pas avec une technologie non maîtrisée, confirme Pascal Laurin. Avec l'industrie 4.0, il ne s'agit pas d'un sprint en s'équipant de trois robots mais d'une course de fond."

Le consortium va équiper une salle supplémentaire sur le campus avec des solutions liées à l'efficacité énergétique. Au total, différents équipements d'une valeur de quatre millions d'euros seront installés sur le site. "Nous en avons encore pour un an et demi de déploiement", indique Bruno Chavagneux. En accompagnant les industriels pour répondre à leurs interrogations, former leurs salariés ou les aider dans la mise en place de POC, Diwii s'est fixé pour objectif de réaliser 500 000 euros de prestations par an. Et Pascal Laurin de conclure : "Il y a encore beaucoup à faire, on n'en est pas au plein régime des possibilités des technologies. On ne parle en France d'industrie 4.0 que depuis 2015, c'est récent et le champ des possibles est encore énorme pour accroître l'efficience, l'agilité ou encore la personnalisation de la production."