Frédéric della Faille (Frontback) "Un selfie intéresse plus ses amis que ce que l'on imagine"

Avec plus d'un million d'utilisateurs, Frontback surfe sur la mode des selfies. Son fondateur, Frédéric della Faille, présente son projet et évoque quelques règles à suivre pour les jeunes entrepreneurs.

Comment est venue l'idée de Frontback ?

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Frédéric della Faille est le fondateur de Frontback © S. de P. Frontback

L'aventure a commencé il y a deux ans lorsque nous avons fondé CheckThis, une plateforme de publication de contenus éphémères. Je savais qu'Instagram n'est pas la solution ultime de partage d'images et je cherchais à l'époque une manière de montrer à nos utilisateurs comment deux photos superposées pouvaient rendre mieux qu'une seule image. Résidant à l'époque à New-York, j'ai décidé de publier une photo sur cette même plateforme en utilisant les appareils photos avant et arrière de mon téléphone. Ce post, intitulé "Frontback", a suscité énormément de réactions de la part de mes proches.

Ce cliché leur a permis de voir que je me portais bien tout en leur permettant de visualiser mon appartement new-yorkais. En reprenant mon idée, mes amis se sont alors mis à créer eux-mêmes des photos similaires et à les publier sur CheckThis. La plateforme, qui n'avait pourtant pas été développée à cet effet, a reçu pratiquement 300 photos de ce type en seulement 2 jours. Le signal était fort. Nous avons donc pris la décision de pivoter et, en seulement un mois, nous avions terminé le développement de l'application Frontback. Elle a aujourd'hui largement dépassé le million de téléchargements sur iOS. Basée à San-Francisco, l'entreprise compte 9 employés.

Comment expliquez-vous le succès de Frontback, notamment aux US ? Quelle a été votre stratégie d'acquisition d'utilisateurs à vos débuts ?

Frontback permet à vos amis de vous voir tout en visualisant le contexte dans lequel a été prise votre photo. C'est une belle manière de partager un moment avec vos amis qui peuvent ainsi se mettre plus facilement à votre place. Personne n'avait encore réellement bâti une application sociale en utilisant les deux appareils photos de votre téléphone. Concernant notre stratégie d'acquisition, nous n'avons jamais rien dépensé en marketing.  La première vague de téléchargements a été purement organique. Le concept de Frontback a ensuite rapidement suscité l'intérêt des médias avant d'être utilisé par des célébrités, parmi lesquelles l'acteur Ashton Kutcher.

Frontback est disponible sur Android depuis mi-avril seulement. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

"Frontback permet de partager le contexte dans lequel a été pris votre photo"

Ce délai s'explique par le nombre important de terminaux et donc de tailles d'écrans différentes qui existent sous Android. Nous souhaitions proposer une expérience de consultation de photos en plein écran de qualité, ce qui a donc nécessité un temps de développement plus important. Pour l'anecdote, nous avons d'ailleurs annoncé la sortie de l'application à la presse 4 jours après sa disponibilité sur le Play Store. Ce qui nous a permis d'observer discrètement l'accueil de l'application par nos premiers utilisateurs Android et de corriger les premiers bugs.

Quels sont les pays où Frontback compte le plus d'utilisateurs ? Observez-vous des différences d'utilisation selon les pays ?

Oui. Au Japon par exemple. Frontback est considérée comme une application créative, voire de story-telling. L'application est en effet devenue très populaire après qu'un blogueur japonais ait montré sur son blog comment il était possible d'utiliser l'application de manière créative en créant deux "Fronts" ou deux "Backs". Concrètement, lorsque vous allez au restaurant, Frontback va vous permettre de montrer, sur une même image, à la fois votre boisson et votre repas. Ou, autre exemple, vous pouvez choisir de prendre en photo la porte d'entrée d'un restaurant ainsi que l'intérieur.  En clair, contrairement à une photo que l'on va partager avec ses amis uniquement pour son esthétisme, ce concept des deux photos superposées va permettre  d'aller plus loin en racontant une histoire. Outre les US et le Japon, l'application est également très populaire au Brésil, en Corée ou encore en Chine.

Quel est le modèle de revenus de Frontback ?

L'application est complètement gratuite. Nous restons pour l'instant concentrés sur notre croissance et sur l'acquisition d'utilisateurs. Nous continuons encore à améliorer notre produit et avons la chance d'être soutenus par nos investisseurs. La monétisation du service est quelque chose d'important à nos yeux mais ce n'est pas encore le bon moment pour l'envisager.

Selon vous, le "Selfie" est-il une simple mode ? Comment expliquez-vous un tel engouement pour ce type de clichés ?

"Aux US, on vous prend au sérieux lorsque vous dîtes vouloir changer le monde"

Les Selfies ont toujours existé. Je pense simplement que le fait de donner un nom à ce type de clichés les a rendu à la mode. Il faut souligner que Frontback n'est pas une application de publication de Selfie puisque, dans la majorité des cas, seule une des deux photos est un Selfie. Je ne pense pas qu'il y ait du narcissisme dans le fait de se prendre soi-même en photo. Au contraire, je pense que ce type de photo intéresse nos amis bien plus que l'on ne l'imagine. Et c'est d'autant plus vrai lorsque cette photo est associée à une deuxième image.

Par exemple, le fait de prendre votre repas en photo va peut-être intéresser vos proches mais je pense ce qui les intéressera davantage c'est de vous voir, vous, et de savoir que vous vous portez bien. Raison pour laquelle ce type d'image génère bien souvent davantage d'émotions et de réactions de la part de votre audience.

D'origine Belge, vous avez dès le début souhaité développer l'application à l'international en déménageant aux US, pourquoi ce choix ? Quel regard portez-vous sur l'écosystème Européen ?

Mon idée n'était pas de fuir l'Europe mais plutôt de me rapprocher des Etats-Unis. En l'espace de 8 mois, nous avons compté autant de téléchargement qu'il y a d'habitants à Bruxelles, ville dont je suis originaire. Etre aux Etats-Unis permet également de se créer un réseau et de se rapprocher de personnes expérimentées qui nous aident et nous conseillent au quotidien. Il y a aussi le fait qu'aux Etats-Unis on vous prend au sérieux lorsque vous dites que vous voulez changer le monde. En Europe, vous pouvez passer pour un fou si vous dîtes vouloir bâtir une plateforme pour des millions d'utilisateurs. A San Francisco, je suis entouré d'entrepreneurs qui ambitionnent de créer quelque chose de grand.

Certaines rumeurs affirment que Twitter aurait tenté de vous racheter...

Nous avons pour habitude de ne pas commenter les rumeurs. Twitter est un partenaire avec qui nous entretenons de bonnes relations.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes entrepreneurs ?

"Au Japon, Frontback est utilisé comme une application de story-telling"

Je pense que lorsque l'on se lance dans le développement d'une plateforme orientée vers le consommateur, il est surtout important de cibler dès le début un petit groupe de personnes pour bâtir rapidement une communauté. Cela va vous permettre d'améliorer et de développer votre produit en collaboration avec vos utilisateurs. Notre modèle dans ce domaine reste Twitter. A l'origine, les Hashtags n'existaient pas et le réseau ne permettait pas de mentionner un utilisateur. Pour autant, Twitter a su se mettre à l'écoute de ses utilisateurs et a fait évoluer sa plateforme en observant sa communauté.

Il est également important de rapidement prendre en compte les questions liées à la traduction du service dès lors que l'on vise une audience internationale. Même si cette traduction n'est pas parfaite au départ, cela va néanmoins montrer une certaine forme de respect vis-à-vis de vos utilisateurs et donc automatiquement créer davantage de proximité. Mon dernier conseil à destination des entrepreneurs est de se lancer le plus rapidement possible et ne pas perdre trop de temps dans des campagnes de communication qui se révèlent, au début, souvent inutiles. Acquérir des utilisateurs doit être la chose la plus importante.

Quelles sont justement vos relations avec votre communauté d'utilisateurs ?

Nous avons la chance d'avoir une communauté très fidèle. Par exemple, il ne se passe pas un jour sans qu'un utilisateur ne reproduise notre logo en utilisant différents objets ou couleurs.  Nos utilisateurs les plus fidèles nous connaissent d'ailleurs en personne. Une de nos utilisatrices a par exemple posté un dessin représentant toute notre équipe à San-Francisco. Je me suis moi-même fait des amis dans notre communauté, avec qui il m'arrive régulièrement de prendre un café pour échanger et recevoir des feedbacks. Nos bureaux sont d'ailleurs complètement ouverts aux membres de notre communauté qui viennent parfois nous dire bonjour lorsqu'ils sont de passage à San Francisco. Il arrive même que certains restent pour dormir...

Vous avez récemment levé de l'argent. A quoi vont servir ces fonds et quels sont vos objectifs pour la suite ?

Nous allons continuer à améliorer le produit et nous envisageons également de recruter. Nous pensons que l'amélioration du produit doit passer avant le marketing. Acquérir des utilisateurs ne sert à rien si vous n'arrivez pas à les retenir. La viralité compte également pour beaucoup dans le succès d'un service. Mais pour inciter vos utilisateurs à parler de votre produit, là aussi, encore faut-il qu'il soit excellent...

C'est en 2011 que Frédéric della Faille fonde Checkthis, une plateforme de publication de contenus éphémères qui remportera SeedCamp à Londres. L'entreprise deviendra par la suite Frontback, une application de partage de photos. Auparavant, il dirigeait sa propre agence marketing en Belgique. Il réside aujourd'hui à San Francisco.