Les sénateurs veulent rééquilibrer la loi antipiratage

Alors que l'examen du projet de loi "Création et Internet" doit débuter le 29 octobre au Sénat, les amendements déposés par les sages visent à équilibrer davantage ses volets répressifs et incitatifs.

En chargeant Denis Olivennes d'une mission sur le téléchargement illégal en septembre 2007 (lire Denis Olivennes promet un "mini-Grenelle" du piratage, du 06/09/2007), les ministres de la Culture, Christine Albanel, et de l'Economie, Christine Lagarde affichaient clairement leur objectif : "transformer le piratage en un risque inutile aux yeux des internautes". Les deux Christine, alors convaincues que la "seule répression n'apportera pas toutes les réponses" à la baisse des ventes de disques en France, espéraient bien développer en parallèle "l'attractivité de l'offre légale" de la culture en ligne.

Un peu plus d'un an plus tard, que reste-t-il réellement des voeux pieux ministériels, alors que le Sénat doit débuter, mercredi 29 octobre l'examen en urgence du projet de loi "Création et Internet", issu des accords Olivennes ? Les ayants-droit se sont, certes, engagés à proposer sans DRM les titres du catalogue musical (français uniquement), dans un délai d'un an à compter de la mise en œuvre de la riposte graduée. A la même échéance, les ayants droits devront également raccourcir les fenêtres d'exploitation des films pour les proposer plus tôt en VoD. Bref, bien peu au regard des mesures de sanctions menacent les pirates.

Face à un projet de loi décrié comme étant essentiellement répressif, les sénateurs pourraient ramener un peu d'équilibre entre la carotte et le bâton. La commission des Affaires culturelles a en effet déposé une cinquantaine d'amendements, visant non seulement à atténuer les sanctions des pirates, mais également à rendre plus séduisant le téléchargement légal.

Ainsi, l'UMP Michel Thiollière, rapporteur, souhaite au nom de la commission des Affaires culturelles, éviter une coupure de connexion pure et simple, en proposant que l'internaute sanctionné puisse, dans certains cas, disposer d'un accès à Internet à un débit volontairement bridé.

Le sénateur de la Loire propose aussi de disculper les internautes à condition qu'ils acceptent d'activer un logiciel, semblable à un outil de contrôle parental et mis à disposition par les fournisseurs d'accès, empêchant les téléchargements illégaux. Critiquées par l'Association des fournisseurs d'accès (AFA) pour leur inefficacité supposée ou leur complexité technique, ces deux propositions auraient au moins le mérite d'alléger la chape répressive du projet de loi qui pèse sur les pirates, notamment la très contestée riposte graduée.

D'autres propositions de modification du projet de loi sont en revanche passées plus inaperçues. Ainsi, le groupe Union centriste du sénat propose notamment d'inscrire dans la loi le raccourcissement des fenêtres d'exploitation des films à une durée comprise entre trois et neuf mois (contre 6 à 18 actuellement), considérant que "la persistance de délais longs constitue une invitation au piratage".

Le même groupe centriste, afin de "rééquilibrer le texte qui n'aborde que la question de la lutte contre le téléchargement illégal", veut aussi imposer aux professionnels de la musique la suppression de l'ensemble des DRM empêchant une "utilisation normale" des fichiers musicaux. Et ce, dans un délai de six mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi, contre un délai initial d'un an à compter de la mise en œuvre de la riposte graduée.

Face à la crainte de double peine de téléchargement illégal (en l'état actuel du droit, il est possible pour les ayants-droit d'engager à la fois des poursuites pénales et de saisir l'Hadopi pour des mêmes faits), les sénateurs ont aussi leur réponse : ils proposent d'interdire à l'Hadopi de traiter des faits de piratage faisant déjà l'objet de poursuites pénales.

Enfin, les membres de la haute assemblée veulent inscrire dans la loi le droit pour l'internaute de contester, avant la suspension de sa connexion, les accusations de piratage dont il peut faire l'objet. Dans la version actuelle du projet de loi, l'internaute incriminé doit attendre la coupure de sa connexion pour pouvoir prouver qu'il n'est pas responsable. Cet amendement permettrait justement qu'une réclamation soit possible dès l'envoi du premier avertissement prévu dans le dispositif de riposte graduée.

Reste à voir quel sort attendra ces amendements qui tendent à rééquilibrer les aspects répressifs et incitatifs du projet de loi. En cas d'adoption, ces modifications contribueraient un peu plus à "faire en sorte que l'offre légale concurrence le piratage", comme le souhaitait la ministre de l'Economie en septembre 2007.