Piratage : Bruxelles adopte l'amendement anti-riposte graduée

La Commission européenne a adopté l'amendement 138 du "paquet télécoms", malgré la demande française de rejet de ce texte. Une décision gênante alors que le Sénat doit débuter l'examen du projet de loi Création et Internet.

Bruxelles n'a finalement pas donné suite à la demande de Nicolas Sarkozy de supprimer l'amendement 138 du "paquet télécoms". Selon le site "Europolitique.info", la Commission européenne a adopté mardi 21 octobre cet amendement, contesté par l'exécutif français, qui prévoit "qu'aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire".

Rédigé à l'origine par les eurodéputés Guy Bono et Daniel Cohn-Bendit, l'amendement 138 avait été adopté le 24 septembre dernier, à une large majorité du parlement européen (88 % des voix). Depuis, Paris s'est employé tour à tour à minimiser la portée de ce texte et à en demander le retrait du "paquet télécoms". Nicolas Sarkozy lui-même avait, au début du mois d'octobre, écrit au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, pour lui demander de rejeter cet article. En vain.

Si la France s'est appliquée à obtenir le retrait de ce texte, c'est parce qu'il va à l'encontre du projet de loi Création et Internet, censé renforcer la lutte contre le piratage sur Internet. Dans sa missive au président de la Commission, le président de la République estimait qu'un tel amendement "tend à exclure la possibilité pour les Etats membres d'appliquer une stratégie intelligente de dissuasion du piratage".

Concrètement, l'amendement 138 interdit de fait à la France de contourner l'autorité judiciaire pour procéder à la coupure de connexion Internet d'un pirate présumé dans le cadre du dispositif de riposte graduée. Or le projet de loi Création et Internet prévoit justement la mise en place d'une Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur l'Internet (Hadopi), habilitée, sur simple décision administrative (sans passer par un juge) à couper les connexions des internautes récalcitrants.

En obligeant le recours à un juge pour suspendre un abonnement, l'amendement 138 ralentit donc considérablement les procédures de sanctions prévues par la France, et donc l'efficacité du dispositif phare du projet de loi. Un obstacle dont le gouvernement se serait certainement passé, puisque l'examen du projet de loi Création et Internet doit débuter le 29 octobre au Sénat.

Lundi 20 octobre, la ministre de la Culture, Christine Albanel, en charge du projet de loi, s'est cependant une nouvelle fois employée à minimiser la portée de l'amendement 138, à l'occasion de la journée des auteurs SACD. Selon elle, l'amendement ne s'oppose pas à la riposte graduée puisque ce texte interdit toute restriction aux "libertés fondamentales" sans passer au préalable par un juge. Or disposer d'une connexion à Internet à domicile ne constitue justement pas une "liberté fondamentale", estime la locataire de la rue de Valois. CQFD.

La tentative ratée de la France de faire supprimer l'amendement européen vient cependant nuancer quelque peu la rhétorique de Christine Albanel. S'il persiste à demander le retrait de ce texte, le gouvernement français doit désormais convaincre une majorité qualifiée d'Etats membres de l'Union européenne avant la seconde lecture du "paquet télécoms" prévue pour le début de l'année 2009. Pas sûr que les voisins de la France se laissent convaincre.