Jeff Clavier (SoftTech VC) "Plus de la moitié de nos investissements se fera dans le mobile"

Le capital-risqueur français le plus célèbre de la Silicon Valley explique le fonctionnement de son fonds et compare les modèles américains et européens de l'amorçage.

JDN. Un mot pour présenter votre société de gestion d'investissement d'amorçage SoftTech VC et votre troisième fonds, SoftTech VC III ?

Jeff Clavier. SoftTech VC est un fonds que j'ai créé en 2004 dans la Silicon Valley, spécialisé dans l'amorçage et orienté B to C. Au total, en près de 7 ans et demi, le fond a réalisé 112 investissements, dont seulement deux en Europe et le reste aux Etats-Unis. Nous avons réalisé près de 24 investissements avec le premier fonds, qui était alors constitué de mon capital personnel. Entre 2007 et 2010, nous avons réalisé près de 65 deals avec le deuxième fonds qui était doté de 15 millions de dollars. Le fonds III dispose de 50 millions de dollars et 23 investissements ont déjà été réalisé. La durée de vie de ce fonds s'étendra de début 2011 à fin 2013.

Comment choisissez-vous les start-up que vous financez ?

Nous cherchons "a smart-ass team with a kick-ass product in a big ass market". Cette expression résume bien les trois composantes que l'on va regarder : l'équipe, le produit et le marché. Nous mettons un accent important sur l'équipe, très importante au démarrage d'un projet. Dans l'équipe nous allons rechercher trois compétences : au moins un ou deux profils techniques maîtrisant parfaitement leurs domaines, ainsi qu'un profil qui comprend bien la distribution et enfin un profil de designer. Cette dernière compétence est également capitale car, considérant que nous sommes spécialisés en services B to C, l'expérience utilisateur doit être hors du commun pour que le service fonctionne. C'est par exemple ce que je ressens lors que j'utilise Instagram. Même si elle ne gagne pas encore d'argent, j'aurais adoré investir dans cette application qui est passé de 0 à 10 000 utilisateurs en un an, grâce notamment à une expérience utilisateur exceptionnelle. A noter que nous privilégions les porteurs de projet qui ont une véritable passion pour ce qu'ils font et n'ont pas simplement trouvé une idée.

Comment un entrepreneur peut-il entrer en contact avec SoftTech VC ?

Nous fonctionnons beaucoup par recommandation. Même si rien n'empêche un entrepreneur de nous envoyer un email, l'adresse étant disponible publiquement sur notre site web, nous n'avons jamais fait un seul deal en 7 ans par ce biais. Ce que je recommanderais à un entrepreneur qui ne nous connaitrait pas directement, c'est d'utiliser le réseau LinkedIn afin de voir de quelle manière il est connecté à nous. Il pourra ainsi demander une introduction à la relation qui nous connait.

Avez-vous des secteurs d'investissement privilégiés pour ce troisième fonds ?

Plus de la moitié de nos investissements se fera dans le mobile. C'est en effet un des domaines qui grossit le plus vite en termes de volume d'utilisateurs, avec plus de 700 millions de smartphones dans le monde. Surtout, le développement sur mobile offre la possibilité de créer de nouvelles expériences utilisateurs et de nouvelles interactions par rapport à ce qui existe déjà sur le web.

Un mot sur votre processus de sélection ?

Nous recevons environ entre 200 et 300 projets par mois. Après un premier tri, nous choisissons de recevoir entre 30 et 40 entrepreneurs par mois, pour ensuite commencer à travailler sur une dizaine de dossiers. Nous passons du temps sur environ cinq deals, pour finalement en financer entre zéro et deux par mois. A la fin de l'année, nous tablons sur une vingtaine de deals pour une moyenne de 400 000 dollars par deal. Nous prenons en échange entre 5 et 10% du capital de la société.

Pensez-vous l'Europe capable de créer une Silicon Valley à l'européenne ?

Si vous essayez de recréer la Silicon Valley en Europe, cela ne fonctionnera pas, car même aux Etats-Unis la Silicon Valley est un endroit unique qui s'est construit en plus de 40 ans. Néanmoins l'Europe peut s'inspirer de la Silicon Valley pour développer son propre écosystème. Ce qui se passe à Berlin est d'ailleurs vraiment intéressant. Le premier point important serait à mes yeux de créer une véritable communauté d'entrepreneurs, comme c'est le cas aux Etats-Unis. Il serait ensuite important de développer une culture du soutien, l'entraide étant tout à fait naturelle dans la Silicon Valley où tout le monde s'aide sans attendre quelque chose en retour. Enfin le troisième point à améliorer serait l'accès au financement pour les entrepreneurs. Même si quelques fonds d'amorçage se sont développés en France et en Europe, il n'y en a pas encore assez et trop peu sont gérés par des entrepreneurs. 

Beaucoup évoquent une raréfaction des capitaux en France, est-ce le cas aux Etats-Unis aussi ?

Le capital risque américain a ses propres problèmes mais je ne vois pas de raréfaction de capitaux pour l'instant. Une société avec de bons résultats pourra toujours lever des fonds facilement. Néanmoins, il faut noter que certains VCs sont devenus plus exigeants et commencent à faire de l'écrémage. D'ailleurs, si l'on regarde bien, le taux de retour sur investissement de l'industrie du capital risque sur 10 ans est négatif, ce qui veut dire que, d'un point de vue global, on a plus perdu d'argent qu'on en a gagné.

A votre avis, y a-t-il une bulle 2.0 ?

Même si certaines valorisations s'envolent, créant ainsi quelques hypertensions, je ne vois pas de bulle pour le moment. A mes yeux la définition d'une bulle est que, si elle explose, elle renversera un secteur dans son ensemble. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Jeff Clavier, ingénieur français initialement spécialisé dans l'informatique distribuée, cofonde Effix Systems en 1989 alors qu'il est encore étudiant. Il revend la start-up à Reuters en 1993 et évolue au sein du groupe. Il s'installe dans la Silicon Valley en 2000 pour prendre la tête de Reuters VC Capital. En 2004 il quitte le groupe et crée SoftTech VC. En 2007 il lance le fonds SoftTech VC II, spécialisé dans le Web 2.0. Le fonds SoftTech VC III, lancé début 2011, est principalement axé sur le mobile.