Extraits : "Menace sur nos libertés", le manuel d'insurrection de Julian Assange Vers un contrôle des idées sur Internet ?

"Si on remonte au début des années 1990, quand le mouvement cypherpunk a pris de l'ampleur en réaction à l'interdiction de la cryptographie par les États, beaucoup ont pensé qu'Internet, par sa puissance, permettrait des communications libres de toute censure, par opposition aux grands médias. Mais les cypherpunks savaient depuis le début que, de fait, ce pouvoir s'accompagnerait de celui de surveiller toutes les communications qui se produisaient. Aujourd'hui, la question est : plus de communication ou plus de surveillance ?

"La surveillance est en train de devenir totale"

Plus de communication veut dire plus de liberté vis-à-vis des gens qui cherchent à contrôler les idées et à fabriquer du consensus, plus de surveillance veut dire précisément l'inverse. La surveillance est nettement plus perceptible aujourd'hui qu'à l'époque où elle était l'apanage des Américains, des Britanniques, des Russes et de quelques autres États, comme la Suisse et la France.

Elle est aujourd'hui pratiquée par tout le monde, et par à peu près tous les États, à cause de la commercialisation des techniques de surveillance de masse. Et elle est en train de devenir totale, parce que tout le monde met sur Internet ses opinions politiques, ses échanges familiaux et amicaux. On n'assiste donc pas simplement à une surveillance accrue des communications qui existaient, mais à une explosion des communications à surveiller.

"Chacun a confié le cœur même de son existence à Internet"

Des communications qui ont augmenté en volume mais aussi en variété, en devenant de plus en plus intimes. Toutes ces nouvelles communications, hier circonscrites à la sphère privée, sont aujourd'hui massivement interceptées. Une bataille est en cours entre d'une part la puissance que confèrent ces informations recueillies par des initiés, ces États fantômes de l'information qui sont en train de se développer, interchangeables, multipliant les liens entre eux et avec le secteur privé, et d'autre part la prolifération d'espaces partagés où Internet est un outil qui permet aux hommes de se parler. Je voudrais réfléchir à la façon dont nous présentons nos idées.

Le grand problème que je rencontre, en tant qu'individu baignant dans la surveillance étatique et qui sait à quel point l'industrie de la sécurité transnationale s'est développée depuis vingt ans, c'est que tout cela m'est trop familier, et cela m'empêche de voir le problème du point de vue du citoyen ordinaire. Or, le monde que nous connaissons [...] est à présent devenu celui de tous, parce que chacun a confié le cœur même de son existence à Internet. Il faut d'une façon ou d'une autre que nous communiquions ce que nous savons tant que cela reste possible".