Homo Zappiens : l'Internet nous rend-il idiots ?

Internet en 2049 : maîtres ou esclaves du numérique ? Le JDN publie chaque jour en avant-première un extrait du livre de Benoît Sillard et vous propose de partager votre vision de l'Internet en 2049.

Les digital natives sont parfois qualifiés d'Homo zappiens : la génération qui zappe sans rien n'approfondir. En juin 2008, l'observateur influent Nicolas Carr a publié un article très commenté, « Google nous rend-il idiot ? » Et il tend à répondre par l'affirmative :
« Pour moi, comme pour d'autres, le Net est devenu un média universel, le tuyau d'où proviennent la plupart des informations qui passent par mes yeux et mes oreilles. Les avantages sont nombreux d'avoir un accès immédiat à un magasin d'information d'une telle richesse, et ces avantages ont été largement décrits et applaudis comme il se doit. [...] Mais cette aubaine a un prix. [...] Les médias ne sont pas uniquement un canal passif d'information. Ils fournissent les bases de la réflexion, mais ils modèlent également le processus de la pensée. Et il semble que le Net érode ma capacité de concentration et de réflexion. Mon esprit attend désormais les informations de la façon dont le Net les distribue : comme un flux de particules s'écoulant rapidement. Auparavant, j'étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski. »

Quels sont donc les maux qui nous guettent ? Dans le numéro spécial de la revue Books consacré au sujet (février 2010), Olivier Postel-Vinay résume un des enjeux dans son éditorial : « Le vrai débat porte [...] sur le point de savoir si la culture du Net est en passe de balayer la vieille culture humaniste, fondée sur le respect de la profondeur, sur la préférence pour la réflexion solitaire, au profit d'une culture privilégiant la vitesse et le fragmentaire, mais aussi la réflexion collective. »

Nous aurions donc une génération numérique incapable de se concentrer, de fixer son attention sur un texte ou un problème difficile, de reconnaître les valeurs des anciennes humanités, de s'immerger dans une réflexion autonome. À ces maux supposés s'ajoute le « culte de l'amateur » fustigé dans un long essai par l'essayiste Andrew Keen (au nom du culte de l'expert comme le remarque malicieusement Francis Pisani) : non seulement l'internaute zappe d'une information à l'autre, mais il se contenterait d'informations de médiocre qualité, n'émanant plus des autorités reconnues du savoir.

Au soupçon de nihilisme s'ajoute l'accusation d'amateurisme et au final de relativisme : tout vaut tout, un blog sera aussi fiable que le site d'un grand quotidien, une encyclopédie collaborative sera plus fréquentée qu'une encyclopédie traditionnelle rédigée par un comité de rédaction spécialisé. Dans la même veine, Albert du Roy titre son essai (2007) La Mort de l'information et annonce : « Trop d'infos tue l'info. » Le mythe de la transparence engendre selon lui l'opacité, et celui de l'abondance provoque la confusion. Ce que l'on reproche à Internet n'est en réalité pas tellement nouveau. Comme l'observe Vaughan Bell, psychologue de l'université d'Antioquia à Medellin (Colombie), « les résultats de plusieurs années de recherches suggèrent que la surconsommation de télévision semble avoir un effet négatif sur notre santé et notre capacité de concentration. On n'entend presque jamais parler de ces études là parce que la télé c'est un peu ringard, que nos peurs ont besoin de se fixer sur des technologies bien plus récentes, et que de toute façon, même si on a la preuve que quelque chose est sans danger, ça ne sera jamais aussi vendeur que les gros titres racoleurs des médias » (Slate 2010).

Ainsi, toute nouvelle technologie focalise les craintes. Le phénomène n'est pas nouveau : Socrate mettait en garde contre l'invention de l'écriture destinée à ruiner la mémoire humaine ; Conrad Gessner a publié un livre entier au XVIe siècle pour démontrer que l'imprimerie allait nous submerger d'informations et nous placer dans une situation « déroutante et néfaste » ; deux siècles plus tard, Malesherbes vitupérait contre l'invention des journaux et la manie inutile à ses yeux de se plonger dans les nouvelles du jour ; l'alphabétisation et la scolarité ont soulevé des craintes au XIXe siècle sur l'épuisement du système nerveux trop fragile et trop complexe des enfants ; la radio a été vue comme une menace pour les collégiens et lycéens plus attirés par le haut-parleur que par les devoirs ; et l'historienne des médias Ellen Wartella a montré dans ses travaux que « ses détracteurs étaient inquiets de la façon dont la télévision pourrait mettre en péril la radio, la conversation, la lecture, et le modèle familial de l'époque, et aboutir à une vulgarisation accrue de la culture américaine ». Autant dire que la menace sur l'intelligence, la culture et la réflexion pèse depuis des millénaires !

Conclusion de Vaughan Bell :

« L'homme craint le trop-plein d'informations depuis toujours, et chaque génération essaie d'imaginer les conséquences que pourrait avoir la technologie sur nos esprits et nos cerveaux. D'un point de vue historique, ce qui est frappant, ce n'est pas l'évolution de ces préoccupations sociales, mais au contraire leurs similitudes d'un siècle à l'autre, au point où lorsque ce discours refait inéluctablement surface, seule sa forme a changé, mais le fond est resté le même. »

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