L'association One Laptop Per Child, de l'utopie à la réalité

L'association One Laptop Per Child, de l'utopie à la réalité Neuf ans après la création du projet "un portable par enfant" (One Laptop Per Child) par des membres du Media Lab, le bilan est mitigé.

C'est une rumeur qui a mis en émoi toute une communauté. Le 11 mars 2014, le blog non-officiel OLPC News annonçait, avant d'être démenti quelques heures plus tard, que le projet OLPC (One Laptop Per Child / Un portable par enfant) était mort et enterré. L'association vise à démocratiser l'accès à des ordinateurs dans les pays en voie de développement, pour l'éducation des enfants. L'annonce de la fin du projet OLPC, aussi spectaculaire et fausse fut-elle, paraissait pourtant crédible. Car cette belle idée, qui visait à donner un accès à la connaissance à plus de deux milliards d'enfants démunis, semble pour partie s'être perdue en chemin.

Né en 2005, à une époque où les netbooks, les smartphones et autres tablettes numériques ne faisaient pas encore la loi sur le marché, le projet OLPC a été mis en production en 2007 et s'est traduit depuis dans le monde entier par la distribution de plus de 2,5 millions de "X/O". Cet ordinateur ludique, vert et blanc, est une petite machine ingénieuse dont la quatrième génération a été présentée l'an dernier au CES de Las Vegas.

Ordinateur à 188 dollars

Dès le départ, la Fondation OLPC, financée notamment par Google, AMD, IBM, Nortel, et Red Hat, reçoit le soutien du programme des Nations Unies pour le développement (UNDP) et anticipe des commandes massives de X/O de la part des Etats pour maintenir des coûts de production assez bas. Le X/O est fabriqué par le Taïwanais Quanta Computer. Il coûte au départ (même si le prix variera avec le temps) 187 dollars, plus 1 dollar prélevé par la Fondation OLPC.

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Le X/O coûte moins de 200 dollars. © S. de P. OLPC

En octobre 2007, l'Uruguay est l'un des premiers pays à répondre à l'appel, à hauteur de 100 000 machines. Ce petit pays de 3,4 millions d'habitants devient vite l'un des laboratoires de cette utopie éducative. Le président de la République reprend l'idée à son compte. On distribue le petit ordinateur vert et blanc dans les écoles et les coopératives de village, on forme, on s'adapte aux contraintes du projet en créant des centres de maintenance locaux ou en confiant à des associations rurales la gestion des connexions Internet... Un timbre à l'effigie du X/O est même édité. Dans la foulée, d'autres pays passeront commande comme le Pérou, le Rwanda ou l'Argentine.

L'opération se heurte à la réalité du terrain

Pour sensibiliser le public, la Fondation OLPC lance en 2007 l'initiative "Give One, Get One", qui permet à un particulier d'acheter deux X/O, l'un pour lui, l'autre pour équiper une école à l'autre bout du monde. L'opération est un succès. 83 500 personnes signent.

Mais sur le terrain, l'opération connaît aussi des ratés. Au Rwanda, par exemple, Kigali passe commande en 2009 de 120 000 X/O avant de s'apercevoir que dans les écoles, situées parfois dans des zones reculées, il n'y a pas d'électricité pour les faire fonctionner. Souvent, faute d'instructions techniques et pédagogiques suffisantes, les pays sont livrés à eux-mêmes, tant au niveau du déploiement des X/O que des stratégies de formation des enseignants et d'appropriation des machines par les élèves.

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La formation des professeurs s'est parfois révélée insuffisante sur le terrain. © S. de P. OLPC

De l'open-source à Windows XP ?

D'un point de vue technologique, le projet OLPC est placé dès le départ sous le signe de l'open-source. Le X/O repose sur un OS GNU/Linux basé sur une distribution Fedora. Tout cela contribue logiquement à séduire la communauté du logiciel libre. Mais dès 2008, Nicholas Negroponte, président de la Fondation OLPC, pragmatique, évoque la possibilité d'un X/O tournant sous Windows XP, le système d'exploitation propriétaire de Microsoft.

A partir de 2008, l'organisation et la conduite du projet vont s'articuler autour de trois pôles : la Fondation basée à Cambridge, près de Boston, qui s'occupe de la conception des prochaines générations de X/O, une association basée à Miami chargée des partenariats et enfin une spin-off, SugarLabs, qui va prendre en charge le développement de Sugar, la plate-forme d'apprentissage présente sur les X/O.

Parallèlement, une véritable communauté indépendante de bénévoles voit le jour et assure un peu partout dans le monde le suivi des projets OLPC sur le terrain. En 2008, la crise économique mondiale frappe de plein fouet le projet. Le budget passe de 12 à 5 millions de dollars. Et l'heure est aux réductions d'effectifs. 2008, c'est aussi l'année où OLPC France voit le jour. Une association très représentative de ce mouvement "grassroot", spontané, d'OLPC qui constitue désormais la partie la plus vivante du projet.

Après des interventions en Haïti et à Madagascar, OLPC France compte aujourd'hui une quarantaine d'adhérents. Ces bénévoles passionnés d'éducation et très versés dans le logiciel libre accompagnent sur le terrain des micro-projets pédagogiques à l'instar de celui développé à l'école primaire Robespierre, à Saint-Denis, où une fois par semaine quatre enseignants utilisent des X/O pour des cours de mathématiques . Ce mouvement travaille de concert avec SugarLabs pour continuer à améliorer les interfaces open-source du X/O. Organisé par OLPC France, la troisième édition des SugarCamp se tiendra d'ailleurs les 12 et 13 avril prochains à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris.

Les bénévoles s'interrogent sur l'avenir d'OLPC

 

La communauté OLPC s'interroge aujourd'hui sur son avenir et sur le sens à donner à son action. Même si la relation de confiance persiste, "la communauté a quelque peu perdu la trace de la Fondation et de l'Association OLPC", souligne Bastien Guerry, l'un des responsables historiques d'OLPC France. "La Fondation est à un carrefour et l'on n'est pas à l'abri que les dirigeants en annoncent la fin dans un an. Mais pour l'instant, ils s'en sortent avec des partenariats et avec le X/O 4 tactile, qui est vraiment joli et dans la lignée classique des X/O", poursuit-il.

Il faut dire que depuis sa création, l'activité de la Fondation OLPC a beaucoup évolué. Auparavant concentrée sur la diffusion de petits X/O dans les pays émergents, OLPC a recentré une grande part de ses activités sur la commercialisation d'une X/O Tablet éducative aux Etats-Unis. Ce nouveau device s'éloigne de l'ADN du projet OLPC, et la plate-forme Sugar n'y est même plus utilisée. Fabriqué en partenariat avec Vivitar, le device fonctionne sous Android (4.2, Jelly Bean). Cette X/O Tablet est notamment distribuée par des enseignes comme Walmart, Target, ToyRus et Amazon.

Ce passage du logiciel libre au propriétaire, l'abandon des programmes de référence du projet OLPC comme Sugar et ces revirements stratégiques ont été mal compris, si ce n'est mal vécus de la part des tenants historiques du rêve OLPC. Une communauté qui pourrait bien à terme s'émanciper de ce qui ressemble fort à une trahison technologique.