Patrick Robin (Avolta Partners) "Mes échecs m'ont appris à être plus méfiant et plus agile"

A l'occasion du Failcon France, qui se tient ce 17 avril à Bercy, le serial-entrepreneur revient sur ses échecs et sur les enseignements qu'il en a tirés.

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Patrick Robin a créé une quinzaine de sociétés. © S. de P. Avolta Partners

JDN. Quel a été votre premier échec ?

Patrick Robin. J'ai lancé dans les années 1980 une maison d'édition, Love Me Tender, spécialisée dans le livre d'art et de photos. Cet échec m'a permis de tirer des leçons qui m'ont énormément servi ensuite. Pendant 7 ans, ça a été un beau succès. Nous avons apporté un sang nouveau dans l'édition, nous étions le premier exportateur de livres photos vers le Japon. Nous avions une approche innovante, et surtout nous étions quasiment des artisans d'art : chaque livre était un projet artistique. Nous distribuions nous-même l'ouvrage dans plus de 1 000 librairies d'art du monde entier.

Au bout de quelques années, Hachette a commencé à nous faire la cour pour que nous leur confiions la distribution de nos livres. Ils avaient investi dans un gros centre de distribution et devaient l'amortir. J'ai fini par dire oui, malheureusement : cela a dénaturé ce qui faisait notre succès. Avec le recul, je me rends compte qu'on y a perdu notre âme. Nous n'étions pas structurés pour diffuser en masse et la qualité des ouvrages a baissé. Alors que la boîte marchait très bien, elle est passée dans le rouge en deux ans. J'ai finalement été obligé de déposer le bilan. Mon erreur stratégique a été de m'acoquiner avec un grand groupe. Depuis, je suis très méfiant. Je me suis promis de ne plus jamais céder aux sirènes des grands comptes. Ils n'ont pas les mêmes préoccupations d'urgence ou de finances qu'une petite entreprise et il peut être très dangereux de les fréquenter. Je conseille aux start-up d'avoir le courage de les repousser. Même quand la grosse entreprise ne devient qu'une cliente, ça peut être le début de la fin : elle représente une grosse part du chiffre d'affaires et elle le sait. C'est un moyen de pression.

Etre méfiant vis-à-vis des grands groupes vous a-t-il servi par la suite ?

"Jamais de concessions pour les grands comptes"

Oui, avec Imaginet par exemple. Quand je l'ai créé, c'était l'une des toutes premières web agencies. Nous comptions Volkswagen parmi nos clients. Nous éditions tous les sites Web du groupe. Je me souviens ne jamais avoir fait de concession pour ce client. J'ai sorti le responsable du digital de l'époque à plusieurs reprises de mes bureaux parce qu'il avait manqué de respect à mes équipes, par exemple. C'est toujours payant de défendre ses équipes face au client et finalement, ça s'est toujours bien passé. La preuve, Imaginet a été revendu en 1998 pour 120 millions de francs.

Vos échecs vous ont-ils aidé à devenir plus flexible ?

"J'étais trop entêté"

En 2000, j'ai fondé La Formule Web, l'une des toutes premières sociétés permettant de créer son site Web en quelques clics, pour une centaine d'euros, avec un modèle Saas. Ça a été un flop total. Je l'explique avant tout par mon entêtement. Je pensais que c'était une super idée qui devait absolument marcher, mais je refusais de voir qu'il y avait un vrai problème de time-to-market. Mon public cible, les PME et TPE, n'était pas assez mature. Les clients étaient prêts à payer plus cher une agence pour avoir des conseils sur la création du site. Je n'ai pas voulu voir cette attente qui me remontait du marché via mes commerciaux. Je suis tombé dans le piège tout en connaissant son existence. Finalement, je me suis rendu compte que ça ne décollait pas, j'ai arrêté et fermé.

"Une bonne idée, c'est comme un coup de foudre : ça obsède et ça rend aveugle"

Selon moi, il y a deux types de créateurs d'entreprises : d'une part les créatifs et d'autre part les "copieurs", pas dans un sens négatif mais parce qu'ils reprennent des idées déjà existantes. Malheureusement, je fais partie des entrepreneurs créatifs, ceux qui ont des bonnes idées. Le problème, c'est que c'est épuisant. Une bonne idée est souvent disruptive, innovante. Non seulement il faut lancer une boîte, mais il faut aussi évangéliser. Quand vous êtes un faiseur, vous pouvez vous concentrer sur l'exécution. Une bonne idée, c'est comme un coup de foudre : on ne pense plus qu'à ça, ça nous obsède et quand les copains la critiquent, on ne veut pas le voir. On n'entend pas les remarques objectives de son entourage. Mon conseil aux entrepreneurs : quand vous pensez que vous tenez une super idée, soyez deux fois plus vigilants pour la valider.

Quel a été votre meilleur pivot ?

"Je n'avais pas compris le marché"

24h00. La société que j'ai créée en 2006 a dû pivoter trois ou quatre fois, au moins, mais le premier pivot a été le plus important. Au début, j'ai monté 24h00 comme un site de ventes privées, dont l'objectif était de devenir numéro 2 du marché. A l'époque, Vente-privee.com dominait et une trentaine de petits acteurs gravitaient autour de lui. J'ai mis les moyens qu'il fallait. J'ai convaincu Meetic, Auféminin et Priceminister de mettre leurs ressources marketing au service de la société. C'était une machine de guerre. Le site a très bien démarré, mais au bout de huit ou neuf mois, j'ai réalisé que je m'étais complètement trompé et que j'avais très mal analysé le métier.

Certes, il faut être capable de générer du trafic, des abonnés, des clients. Ça, je sais très bien le faire. Mais mon métier de communiquant  n'était pas suffisant. J'avais sous-estimé celui d'acheteur. Jacques-Antoine Granjon a raison quand il dit que ses clients, ce sont les marques, pas les abonnés. Surtout, Internet n'est que l'un des canaux dont les business de déstockage doivent se soucier. Il faut donc être multicanal et avoir une batterie de personnes qui font le tri et aiguillent les stocks vers ces différents canaux. Il faut aussi pouvoir gérer les 15% de retours. Je n'avais pas bien compris le marché avant de me lancer. J'ai vite pivoté.

C'est très important, dans le digital : il ne faut pas s'entêter. Le bon côté, c'est que je savais comment récolter des clients et que 24h00 était devenu un formidable aspirateur de données. On a vite constitué une base assez détaillée de trois à quatre millions d'adresses, plutôt féminines, et on s'est transformé en agence emailing/e-marketing. Depuis, j'ai revendu quasiment toutes les activités. Aujourd'hui, il ne reste que Bookset, solution SaaS de boutique en ligne multicanal.

Quel sera votre prochain business ?

J'ai cofondé Avolta Partners, une banque d'affaires, avec Philippe Rodriguez. Elle me permet de continuer à refaire le monde avec des entrepreneurs, de les accompagner et de les aider à lever des fonds. Mon prochain business, je ne sais pas encore ce que ce sera... Sûrement une super idée qui va m'aveugler !

Après un bac B passé en candidat libre, Patrick Robin devient éditeur de presse magazine et de livres d'art dans les années 1980 (Editions Love Me Tender, Photo Revue), puis fonde plus d'une quinzaine d'entreprises et investit comme business angel dans plus de 25 start-up. Il crée les magazines CD-Média et Internet-Reporter et la web agency Imaginet en 1994, la régie publicitaire Regie On Line en 1995, l'annuaire de sites e-commerce La Web-Marchand en 1996, l'agence 24h00 en 2006... En 2010, 24h00 rachète Bookset, devenue depuis une solution SaaS de création de boutiques en ligne multicanales. En 2014, Patrick Robin rejoint Philippe Rodriguez à la tête de la banque d'affaires Avolta Partners.