A l'eG8, difficile synthèse entre grands leaders US et entrepreneurs européens

Lors de la 2ème journée de l'eG8, les acteurs du numérique ont recommandé aux gouvernements de ne rien faire pour les réguler et de se contenter de fournir le haut-débit aux citoyens.

"Les chefs d'Etat et de gouvernement doivent prendre au sérieux les questions concernant Internet et leurs décisions doivent être mises en application immédiatement : nous sommes pressés !" C'est par ce voeux qui la commissaire européenne au numérique Neelie Kroes a ouvert la deuxième journée de l'eG8 Forum, qui rassemblait aux Tuileries, à Paris, les grands acteurs du numérique mondial les 24 et 25 mai. L'implication des gouvernements a d'ailleurs fait l'objet de nombreuses remarques des intervenants. Pour une bonne partie, les pouvoirs publics doivent "ne surtout rien faire", en tout cas se borner à permettre à l'ensemble des citoyens de disposer d'un accès haut débit à Internet.
 

"L'Internet du futur n'est pas à l'eG8"

Larry Lessig, professeur à Harvard, a remporté un franc succès en expliquant que Nicolas Sarkozy était passé à côté de la problématique en expliquant que s'il ne veut pas nuire, il n'en demeure pas moins des grandes questions de régulations à traiter. "Copyright, sécurité, monopoles... Nous savons bien quelles sont ces questions, a rétorqué Larry Lessig. Mais nous ne voulons pas des réponses qu'apportent les gouvernements, car elles ont toujours tendance à bénéficier aux acteurs en place." Une mauvaise habitude qui tiendrait même lieu d'"addiction" aux "drogués" que sont les gouvernements. Pour lui, le futur d'Internet n'est ni Facebook, ni Google, ni Twitter... ni Rupert Murdoch. "L'Internet du futur n'est pas à l'eG8, car il ne s'intéresse pas à la régulation." Selon le spécialiste, l'essentiel est de faire en sorte qu'Internet reste une plate-forme ouverte, qui permettra aux start-up et à leurs innovations de grandir et prospérer.
 
Yuri Milner (DST) estime même qu'"avec les possibilités globales qu'offre cette plate-forme, il n'y a plus besoin de beaucoup d'argent pour monter et développer sa société." Le fait de pouvoir toucher n'importe qui, n'importe où, immédiatement et sans coût, change la vision de nombreux secteurs économiques, a d'ailleurs affirmé Stephen Schwarzman (The Blackstone Group). "Cela peut aussi être dangereux, si tout le monde réagit simultanément à une information, et produire le même effet que si tout les passagers d'un bateau se précipitent du même côté. Pensez à l'impact sur les marchés financiers !", prévient-il.

"Entre les pays d'Europe, les barrières sont trop hautes"

Un autre message est revenu à plusieurs reprises dans les échanges de la journée, d'abord relayé par Xavier Niel (Iliad-Free) : "Nous souffrons en Europe de ce marché composé de beaucoup de petits marchés." Aux Etats-Unis ou en Chine, le marché de plusieurs centaines de milliers de consommateurs permet aux enreprises d'atteindre une taille suffisante pour se confronter à des concurrents au niveau mondial. "Alors qu'en Europe, lorsqu'une entreprise veut se lancer dans un nouveau pays, il lui faut tout recommencer à zéro", précise Jacques-Antoine Granjon (Vente Privée). "Très peu d'entre nous sont pan-européens", constate également Brent Hoberman (Mydeco, ex-Lastminute). "Entre les pays d'Europe, les barrières sont trop hautes. Nous nous combattons les uns les autres, alors que nous devrions sans doute plutôt attaquer la Chine et les Etats-Unis, avant que leurs clones nous prennent le marché en Europe."
 
Ces entrepreneurs insistent en particulier sur la nécessité d'harmoniser la fiscalité à l'échelle du continent pour donner aux entreprises européennes les moyens de lutter contre les grands acteurs américains, qui sinon ne feront qu'une bouchée de l'Europe. "Google ne paie quasiment aucune taxe nulle part", s'est ainsi indigné Pierre Kosciusko-Morizet (Priceminister). Un discours qui a trouvé beaucoup d'échos dans l'auditoire, globalement frappé de "l'américanisation" du discours officiel français. "Je ne reconnais pas cette version américaine de Paris, rendez-moi la version française, où ce n'est pas aux leaders économiques que l'on demande quelles dispositions prendre pour leur secteur", s'est même insurgé Larry Lessig.

Zuck en guest star

La guest star de la journée aura tout de même été Mark Zuckerberg, qui a fait salle comble en fin d'après-midi. Selon lui, "la meilleure chose à propos d'Internet, c'est qu'il donne à chacun la possibilité de s'exprimer. Il y a 20 ans, les gens auraient dit qu'ils ne voulaient partager aucune information sur eux." Pour le jeune patron de Facebook, cet équilibre va encore évoluer, à mesure que l'amélioration des services proposés apporteront davantage de valeur aux utilisateurs. "Au final, les gens devraient avoir leur mot à dire y compris auprès des gouvernements".
 
La plénière de clôture de l'événement rassemblait son organisateur Maurice Lévy, patron de Publicis, et le panel des grands patrons chargés de transmettre demain à Deauville, aux chefs d'Etats et de gouvernements, les messages issus des réflexions exprimées au cours de l'eG8. Un exercice sans doute difficile, étant donné l'hétérogénéité des acteurs du numérique. Stéphane Richard (France Télécom) et Eric Schmidt (Google) sont-ils les meilleurs représentants ? Ils ne semblaient en tout cas pas partager bon nombre de conclusions issues des plénières et ateliers qui ont jalonné ces deux jours.