Patrick Hoffstetter (Renault) "Le digital pèse près de 20% de nos investissements médias"

Social, mobile, RTB... Le directeur de la digital factory de Renault explique la stratégie média du groupe français et ses priorités pour 2013.

JDN. Quelle est la place du digital dans la stratégie média d'un annonceur tel que Renault ?

patrick hoffstetter 275
Patrick Hoffstetter, directeur de la digital factory. © Renault

Patrick Hoffstetter. Le digital doit nous permettre, à l'instar de tout canal de communication, de servir deux objectifs : l'image de la marque et le soutien aux ventes. C'est sur ce deuxième volet qu'il prend, par ailleurs, tout son sens dans la mesure où le suivi de la performance est beaucoup plus fin et facile sur Internet. L'enjeu est de réussir à faire converger les informations ad-centric, site-centric et customer-centric, de manière à pouvoir adapter la diffusion de nos publicités à notre cible et alimenter nos programmes d'e-CRM.

Plus concrètement, le digital s'inscrit depuis plus d'un an dans un séquençage de nos communications, le plus souvent en amont des communications sur les médias traditionnels. Le lancement de la Renault Twizy, qui s'adressait à une population d'early adopters et qui requerrait beaucoup de pédagogie, s'y prêtait particulièrement bien. Plutôt que de nous contenter d'attendre son lancement commercial, nous avons préféré mettre en place tout un écosystème digital permettant de préparer le terrain, distiller des informations en avant-première aux plus intéressés et éduquer le plus grand nombre. Ce sont plusieurs milliers d'internautes qui ont souscrit à notre programme pour devenir ambassadeurs 2.0 du produit.

Quel est le rôle de cette Digital Factory que vous pilotez ?

La Digital Factory a été lancée il y a un peu plus de 2 ans avec comme mission de donner les grandes lignes de la stratégie digitale, qu'il s'agisse de BtoC ou BtoB, en touchant à des problématiques aussi diverses que le mobile, les réseaux sociaux, la stratégie e-commerce ou l'automobile 2.0. On peut la comparer à une véritable Arche de Noé. Elle héberge des profils allant du communicant au spécialiste des systèmes d'information. Nous sommes une cinquantaine de personnes au siège, sachant qu'un ou deux collaborateurs permettent de décliner tout ça, dans chaque pays.

Quels sont vos objectifs ?

Nous voulons montrer l'importance stratégique d'un secteur qui a longtemps été négligé par les acteurs traditionnels. le but est de faire comprendre, à terme, tous les enjeux que recouvre le digital dans notre activité : la vente de voitures. Nous nous fixons des objectifs qui englobent tout le tunnel d'achat, en amont, avec du trafic et de l'image, comme en aval, avec de la génération de leads. En tous points de vue, les résultats sont plus que satisfaisants avec près de 150 millions de VU sur les différents sites Web et 6 millions de fans Facebook, qui nous mettent, pour reprendre une expression du secteur automobile, en pôle position face à la concurrence. Même constat pour la performance avec des demandes de rendez-vous pour du test and drive notamment

Quel regard portez-vous sur une année publicitaire 2012 généralement considérée comme mauvaise ?

Le marché de la publicité a été morose dans sa globalité. C'est moins vrai pour le digital qui tient sa place dans le mix media. Chez Renault, nous avons dû légèrement réduire la voilure par rapport à nos estimations de fin 2011. Le digital pèse aujourd'hui près de 20% de nos investissements. On suit de près les évolutions qui affectent cet écosystème et à l'instar du marché, nous ne manquons pas de noter la mutation du display traditionnel, avec le succès du retargeting et l'essor annoncé des ad-exchanges.
Nous savons que le real-time-bidding va peser de plus en plus dans le budget média des annonceurs. Même si cela reste encore léger, nos premiers tests en la matière ont été très concluants, avec un ROI qui peut être amélioré de 20% sur certaines campagnes. Nous restons toutefois pragmatiques et y allons pas à pas.

Au-delà du RTB, quelles tendances identifiez-vous ?

2012 a consacré trois autres leviers de communication : le brand content, le mobile et le social. Le virage vers les contenus de marque a été particulièrement fort de notre côté car il s'accompagnait du lancement de notre premier modèle électrique, la Twizy, avec l'occasion de promouvoir un produit très disruptif de manière plus originale. D'où le dispositif que nous avons mis en place autour de notre égérie David Guetta, avec un titre et un morceau pensés pour la marque, des contenus donnés en avant-première à la communauté... (lire l'article, Renault voit les choses en grand pour le lancement de la Twizy, du 03/07/2012). Tout l'enjeu pour un secteur où le délai entre la première manifestation d'une intention d'achat et le passage à l'acte s'étend sur plusieurs mois est de réussir à capter la cible le plus en amont possible. Une problématique à laquelle le brand content répond particulièrement bien, en contribuant à améliorer les taux de mémorisation et notre présence à l'esprit du consommateur. C'est d'autant plus important que le Web a intensifié la concurrence. Il y a de ça quelques années, un consommateur qui voulait acheter un nouveau modèle avait 4 marques en tête. Aujourd'hui ce serait plutôt 6. D'où la nécessité d'apparaître au plus haut dans ce portefeuille de réflexion.

Et le mobile ? Ne reste-t-il pas anecdotique ?

Le mobile est devenu un média à part entière, ne serait-ce que de par son fort taux de pénétration. L'évolution des usages fait que la consommation de datas et de contenus ne cesse de croître. La question aujourd'hui est de savoir quel rôle on veut donner au mobile dans sa stratégie de communication. La géolocalisation peut permettre de lancer une véritable dynamique de drive-to-store en incitant les utilisateurs à venir voir les concessionnaires qui sont localisés près d'eux. L'usage in-store, avec la tablette ou le smartphone qui se transforment en brochures des temps modernes révolutionne quant à lui la vente physique. Les défis à relever sont à la mesure de ces opportunités, avec notamment la nécessité de cibler la bonne personne au bon moment. C'est là que le Big Data, que l'on évoque si souvent, revêt toute son importance pour nous permettre d'adapter le message au comportement de navigation du mobinaute.

Qui dit média différent dit contenu différent. L'ergonomie de l'écran mobile et les perspectives d'interactivité qu'il offre font qu'il ne faut pas se contenter de répliquer des modèles éprouvés sur le Web. Lorsque l'on a bien intégré tous ces paramètres, les résultats sont vite au rendez-vous. Nous avons notamment mis en place des programmes de SMS mettant en avant des offres promotionnelles de concessionnaire qui ont des retours très positifs.

Vous évoquez Facebook. Quelle est votre stratégie sur le réseau social ?

Nous considérons Facebook comme un média de l'amont, un média sur lequel nous déclinons notre stratégie de marque en proposant du contenu intéressant. Nos lancements commerciaux les plus importants constituent des occasions toutes indiquées pour prendre la parole et engager la conversation avec la communauté, en la séquençant, comme nous avons pu le faire pour Zoé ou Twizy. Les taux d'engagements que nous obtenons sont très satisfaisants. Notre utilisation s'arrête pour l'instant à ça. En matière d'achat média, nous faisons certes quelques petits tests mais j'estime qu'à ce jour Facebook est plus le réseau du earned media que celui du paid. Nous réfléchissons encore à trouver la bonne façon d'utiliser les réseaux sociaux plus "bas" dans le tunnel d'achat.

C'est une de vos priorités pour 2013 ?

Parmi d'autres. Je pense que l'enjeu le plus important est de réussir à développer des synergies entre les réseaux sociaux et nos programmes CRM. Cela va demander de nombreux efforts organisationnels pour impliquer les call-centers et le yield management mais cela me semble être un passage obligé. Au cœur de tout ça, l'exploitation de la donnée va être un de nos principaux chantiers, avec comme clef de voûte la naissance d'une data management platform (DMP) qui nous permettra de faire converger les données en provenance de nos sites, de nos publicités et des réseaux sociaux. Tout cela en vue de proposer le meilleur contenu possible, qu'il s'agisse de rebondir sur un lancement commercial ou un évènement dont nous sommes partenaires, comme le festival de Cannes.

Patrick Hoffstetter, diplômé d'HEC, a débuté dans le consulting puis exercé cinq ans chez Rail Europe Group, à New York. De retour en Europe, il a successivement occupé les postes de directeur du développement chez Eurostar et de directeur de la stratégie internationale à la SNCF. En 2000, il rejoint SFR en tant que directeur marketing et devient cinq ans plus tard directeur des produits et services de Yahoo! France. En 2007, il crée sa propre structure de conseil et business angel, NewMedia360. Nommé en 2008 directeur général France de Lastminute.com, puis parallèlement directeur général Royaume-Uni et Irlande, il a été deux années durant codirecteur général européen, avant de rejoindre Renault.