Affaire Boutin : météo nauséabonde et autres conséquences stratégiques pour les marques sur Facebook

« L’affaire Boutin » générée par le déluge d’émoticons sur sa page Facebook constitue un point de vigilance pour les marques et peut-être un sujet d’étude pour le réseau Facebook lui-même…


Par son compte Twitter, Christine Boutin est devenue spécialiste du déclenchement de controverses. Elle a cependant franchi un nouveau palier cette semaine en devenant la « victime » d’une polémique très particulière. Après ses commentaires controversés sur la loi pour le Mariage pour tous, son tweet de mardi 14 mai sur la mastectomie d’Angelina Jolie, qui serait une tentative d’humour, assez maladroite, a déclenché la fureur de certains internautes.


Le smiley, l’expression ultime

Le fait marquant est que les twittos (utilisateurs du réseau social Twitter) ont vite abandonné la bataille de mots et migré sur Facebook. Ils y ont fait pleuvoir dans les commentaires un déluge de smileys en format de « petits popos » sur la page de la Présidente du Parti Démocrate Chrétien. Le message était clair : pour eux, les propos de Madame Boutin, c’est de la m**** !

Ces petites icônes, obtenues en tapant « :poop: », forment un effet de masse, frappant quiconque consulte la page. Le mouvement, débuté à mi-journée le mercredi 15 mai, a vite pris de plus de plus d’ampleur, la charge humoristique poussant la viralité : dans la soirée, son dernier statut comptait ainsi plus de 10 000 commentaires crottés. Certains internautes ont même remonté l’historique de la page jusqu’à novembre 2011 !


Pour nous, agence de communication Social Media, c’était sans-doute la Première Guerre des Smileys de l’histoire des réseaux sociaux ! Si l’on s’amuse d’abord de voir des milliers de petits popos, l’incident soulève en effet des questions sérieuses  pour les marques et personnes publiques.

Tout d’abord, nous rencontrons là une forme d’expression « originale » : ce ne sont plus des commentaires, voire des mots lapidaires et incisifs qui constituent les discussions, mais des icônes.
On le sait, une image vaut mille mots. Des milliers de petits popos signifient et marquent donc plus que des centaines de commentaires textuels.

Cette forme d’expression follement transgressive pour ces commentateurs fonde son succès sur divers piliers : l’effet de masse (ou flood) provoquant en effet visuel indéniable, la viralité provoquée par l’effet moutonnier, le lol, et le sentiment confus que l’on s’engage ouvertement (puisque sur Facebook les internautes agissent généralement sous leur véritable identité). Ajoutez à ce lynchage en règle une kyrielle de mots subtils sur Twitter (#cacaboutin), vous aurez le cocktail parfait pour faire le buzz.

Pas d’Ercéfuryl sur Facebook ?

Alors que peut faire une marque ou une personnalité face à un tel déluge d’émoticons ?
Aucune action « mécanique » car ils ne sont pas pris en compte par les filtres sémantiques très souvent employés par les community managers pour modérer automatiquement les dérapages. C’est à nos yeux une vraie faille de sécurité de Facebook pour les marques. Une action « humaine » est difficilement envisageable car très chronophage, les commentaires devant être effacés un par un. De plus, la censure, ennemi juré d’Internet et des réseaux sociaux, risquerait surtout d’attiser le mouvement. Effacer les posts « pollués » signerait la mort de la page portant atteinte au message de la marque et aux investissements en community management. Et parce qu’on ne peut pas empêcher la publication de commentaires sur une page Facebook, la seule option restante, celle choisie par le community manager de Christine Boutin, est de mettre la page hors-ligne en attendant (et espérant !) que le bad-buzz se calme.

Madame Boutin aurait pu, certes, fournir des explications rapidement. Mais cela n’aurait sûrement pas calmé les internautes, stimulés par le comique de leur action. Seule la présence d’une communauté de soutien, fortement engagée et rapidement mobilisable, aurait pu efficacement contrebalancer cette attaque. Une entreprise telle que Free pourrait ainsi être moins vulnérable à ce type d’attaque.

Et les marques : toutes concernées ?

Une telle crise peut arriver à tout le monde. En 2010, Nestlé avait subi les attaques de Greenpeace sur les réseaux sociaux pour son utilisation de l’huile de palme : le buzz de vidéos et images sanguinolentes avait vite forcé la marque à réagir. Ce type de « cyber bashing » monte d’un cran avec les émoticons. Sans besoin de réfléchir et avec un relatif anonymat dû à la multitude, un internaute peut en quelques clics attaquer une marque ou une personne publique. Les répliques et variantes de « l’affaire Boutin » ne sont donc pas à exclure. On peut ainsi imaginer voir fleurir une nuée d’icônes en forme de requins sur la page d’une banque.

Cette affaire Boutin appelle-t-elle une réaction de Facebook ?

Au fond, le réseau Facebook lui-même est selon nous concerné par cette affaire. Les réseaux sociaux dont il est le chef de file basent leurs activités sur les échanges entre internautes et les conversations en ligne. Outre le fait que nous là un degré zéro du débat, nous avons surtout un paradoxe : cette page qui est dans… la mélasse illustre un réseau social où l’échange est exclu, où le débat est banni. Indépendamment du fond de son discours, Christine Boutin voit les contenus de sa page momentanément (durablement ? définitivement ?) affectés. Les efforts et les investissements consentis par son équipe sont réduits à néant. La communauté et les échanges la nourrissant doit s’évaporer à vue d’œil. Il pourrait ainsi s’agir plus que d’un bad buzz, un killing buzz.

Et si cette mésaventure arrivait à Ford, IBM, Coca-Cola ou Samsung ? Comment Facebook conserverait-il alors la faveur de leurs investissements publicitaires ?

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