Jean-Philippe Bertaux (KR Media) "Il faut abandonner le système de rémunération à la commission pour un modèle au temps passé"

L'agence média KR Media fête ses 10 ans. Son président analyse les mutations de son secteur et livre ses convictions sur l'avenir du métier.

JDN. Qu'a changé la démocratisation du digital dans le métier de l'agence média ?

Jean-Philippe Bertaux, KR Media © S. de P. KR Media

Jean-Philippe Bertaux. Le digital est désormais intégré à tous les niveaux : conseil, achats multi-écrans, achats publishing. Cette intégration doit se faire en vonction de la typologie de chaque client avec une offre pour les pure players digitaux, une offre pour les marques dont l’écosystème est digital centric et une offre pour ceux pour qui le digital est un complément à un écosystème plurimédia. Notre approche doit également dépendre de la personnalité de l'annonceur et de sa maturité sur le sujet.

Le digital ne doit pas faire l'objet d'une approche "à part". Et le raisonnement vaut aussi pour le mobile, qui croît désormais fortement dans les usages. Ce sont autant de tendances qui doivent être insufflées dans tous les pores de l'agence, avec une approche digitale intégrée qui nous oblige à revoir les modes de fonctionnements de nos équipes. Les spécialistes de la "presse papier" deviennent orientés "publishers", ceux de la télévision basculent sur quelque chose de plus large autour de la "vidéo et la catch-up"...

 

Pas trop dur de faire accepter de tels changements à vos collaborateurs ?

Tous les collaborateurs issus de la "vieille économie" ont fait preuve d'un véritable engouement pour ce virage numérique. C'est particulièrement vrai pour notre département "TV" et un peu plus compliqué pour le département "presse", mais on y vient. D'autant que la Digital Academy lancée à l'échelle du groupe est un véritable booster. Elle accompagne toutes les agences du groupe dans leur transformation numérique. 

 

Que pensez-vous de la "vague" programmatique ? 

Nous appréhendons l'achat programmatique en étroite collaboration avec la filiale spécialisée du groupe, Group M Connect. Nous ne cédons pas aux effets de mode, ce qui explique que "visuellement" l'agence peut sembler toujours avoir un peu de retard. Mais lorsque nous sommes convaincus des bienfaits d'une pratique, nous y allons franchement. De sorte que nous avons connu une évolution très forte des investissements programmatiques au cours de l'année écoulée. Le ratio est ainsi passé, en douze mois, de moins de 10% du budget display à 30%

 

Ne risquez-vous pas de perdre en marge de manoeuvre en déléguant aux trading desks tout ce pan du display ?

La question n'est pas d'avoir peur de quelque chose d'inévitable... et de surcroît bénéfique pour nos clients. Je rappelle que Group M Connect est au service de l'ensemble des agences du groupe. Tout ça pour dire que, si cette tendance ne m'inquiète pas d'un point de vue économique, il me parait évident que le modèle économique de l'agence doit faire l'objet d'une réflexion.

Nous sommes tous d'accord pour dire que le numérique a fragilisé notre modèle. Le numérique est un territoire beaucoup plus coûteux à investir d'un point de vue humain que le marché de la TV ou de la radio, du fait de la multiplicité des supports et des volumétries moins importantes. On passe parfois autant de temps à gérer une opération digitale de quelques centaines de milliers d'euros qu'une campagne TV de près de 5 millions d'euros. 

 

Vers quel modèle tendre dans ce cas ?

Je pense que les agences vont irrémédiablement muter dans leur mode de rémunération et abandonner le système de la commission sur budget investi. Nous nous orientons vers un modèle plus vertueux au temps passé, à l'image de ce que pratiquent les sociétés de conseil. Un moyen également de lever, côté client, toute suspicion de type "il m'a vendu ça car il gagne plus d'argent dessus". Car plus que jamais les agences sont obligées de revaloriser leur métier, pour justifier les attentes de clients qui veulent en avoir pour leur argent. 

 

10 ans après sa création et une croissance continue, KR Media, première agence du GroupM, dirigée depuis 2013 par Jean-Philippe Bertaux, est la 5ème agence française avec une part de marché de 7% (Recma). Elle compte 190 collaborateurs et gère près de 80 clients parmi lesquels LVMH, Bouygues Telecom, Fiat Chrysler Automobiles, Savencia, Orangina Suntory France, Air France, IKEA, BNP Paribas Personal Finance ou encore COVEA.