Transparence et rémunération du conseil médias : pourquoi la France n’y arrive pas

Depuis plus de vingt ans et malgré l’instauration d’une loi (Sapin) censée réguler le marché de l’achat d’espaces publicitaires, les acteurs du secteur cherchent encore et toujours la recette de la "juste" rémunération des intermédiaires.

31 mars 1993 : la loi « relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique », entre en vigueur. Se retrouvent dans le viseur du Ministre de l’Economie et des Finances Michel Sapin, entre autres cibles : les centrales d’achats d’espaces médias, « soupçonnées » d’opacité dans les transactions financières avec les régies et supports publicitaires.

17 juillet 2015, dans les colonnes du JDN, Jean-Philippe Bertaux (DG de KR Media) défend une « nouvelle » politique de rémunération : « nous nous orientons vers un modèle plus vertueux au temps passé (…). Un moyen également de lever, côté client, toute suspicion de type « il m’a vendu ça car il gagne plus d’argent dessus ».

22 ans plus tard, les « centrales » sont donc devenues « agences conseil médias », leurs équipes se sont développées, les outils et les approches innovantes aussi.

Les investissements des agences (staff, digital, data, …) portent leurs fruits, au bénéfice de leurs clients.

Alors, pourquoi faut-il encore « sortir les rames » pour justifier son temps passé, sa valeur ajoutée et, en un mot, sa rémunération ?

Je te soupçonne, tu me soupçonnes, nous nous soupçonnons, …

Petit rappel : été 1992, soutenue par l’Union des Annonceurs, la Loi Sapin en gestation agite le microcosme publicitaire. Un premier rapport remis par le Conseil de la Concurrence au Ministère, fait rapidement comprendre aux agences que le système de rémunération fondé sur la surcommission vit ses dernières heures et relèvera bientôt du délit. Dire que les centrales sont frileuses s’apparente à un euphémisme, mais la loi sera une bonne nouvelle pour les annonceurs et restera également bien accueillie par les supports, qui vont en outre se voir confortés dans leur relation directe avec les annonceurs.

En 2003, soit dix ans après la mise en place de la loi, Stratégies dresse un bilan en demi-teinte. Les annonceurs sont plutôt satisfaits, même si certains (et non des moindres, comme L’Oréal), « soupçonnent » les agences de « junioriser » leurs équipes pour maintenir leurs marges. Evidemment, personne (ou presque) ne va s’insurger contre l’instauration de la transparence, mais les dents grincent du côté des agences, et la fameuse « suspicion » refait surface : « En fait, la loi a rétabli plus de transparence dans les relations financières entre agences et annonceurs, mais en perception, elle a exacerbé la suspicion que pouvaient nourrir les annonceurs envers les agences » (Guy Chauvel - JWT).

Et en réalité, dix ans après ce constat, où en sommes-nous ? En 2013, c’est au tour de Bertrand Beaudichon (Union des Entreprises de Conseil et d’Achat Médias) de reprendre le flambeau, car apparemment, on n’a toujours pas trouvé la panacée : « Il faut revoir totalement notre business model et en parler de manière responsable et transparente avec nos clients, les annonceurs. Notre système de rémunération est encore très largement basé sur les volumes d'investissements » (Le Figaro - 14/02/13).

Et bientôt sur vos écrans : une Loi Sapin pour le numérique …

Une question légitime serait donc : fallait-il une loi pour en arriver là ? Peut-être que non. Surtout si on n’a pas tout réglé avec cette loi, loin s’en faut. Dans un monde candide « pur et parfait », le bon sens et la recherche mutuelle d’une relation commerciale saine et « win-win » devraient suffire.

D’ailleurs, la plupart de nos voisins européens sont bien moins enclins à légiférer que nous. Michel Sapin lui-même l’a récemment reconnu, en 2013, dans la revue Tank : « Pendant des années, j’ai été invité à participer à des colloques internationaux sur le sujet (la transparence) partout dans le monde. Un m’a particulièrement marqué. Il se tenait en Grande-Bretagne, le thème était grosso modo : « Comment peut-on éviter une Loi Sapin ? ». Les Britanniques disaient : ou bien on a recours à une loi, ou bien les professionnels s’auto-administrent … Ils ont choisi la seconde solution et créé des codes de déontologie interne qui ont plutôt bien marché. Si une autre voie est possible dans l’absolu, j’ai le sentiment que nous, pays latins, avons besoin de lois pour réguler les marchés ».

Voilà, tout est dit : quand vous êtes un pays « latin », vous ne savez pas vous discipliner, il vous faut donc une loi ! Et comme de surcroît nous sommes en France, championne des normes en tout genre, des lois (plus ou moins appliquées, mais on ne va pas chipoter), sans parler des décrets en attente de signature, il suffit de bien lire les 23 000 pages annuelles du Journal Officiel pour trouver une solution qui convienne à tout le monde. Enfin, aux Français.

Et pour le numérique, alors ? Rassurons-nous, la « relève législative » se prépare ; en début d’année, un amendement a rajouté ces quelques mots à la loi de 1993 : accolé à « tout achat d'espace publicitaire », on peut lire désormais « sur quelque support que ce soit ». Bon, si on peut (pour une fois) louer la concision, pour le périmètre métier et le champ d’application, ce n’est pas encore vraiment bien précis. Mais s’il persistait encore un doute, off et online sont désormais dans le même bateau.

Une autre vision de la chose, pas vraiment en ligne avec celle de Michel Sapin, serait celle de Georges Pompidou, à l’adresse de Jacques Chirac : « Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! ».

A l’évidence, il n’a été que partiellement entendu …