L’aventure du digital

Il y a 20 ans, je créais une start-up avec un ami.

La société que nous avons lancée a grandi, grossi, résisté, elle s’est diversifiée jusqu’à permettre l’émergence de deux groupes cotés en bourse, qui emploient au total plus de quatre cents personnes. L’une, HiMedia, est spécialisée dans la publicité digitale ; l’autre, HiPay, dans la technologie financière, la Fintech.

          Voilà presque deux décennies que j’entends dire que le développement d’une entreprise de l’économie numérique est facile : il n’y a pas, répète-t-on à l’envie, d’investissements initiaux lourds, contrairement à l’industrie, voire aux services classiques ; la gestion des ressources humaines est plus simple car les équipes du domaine digital sont jeunes et très qualifiées… En réalité, pour avoir pu vivre et observer plusieurs cycles d’accélération, de retournement et de rupture d’innovation, je peux sans peine m’inscrire en faux contre cette légende dorée. Mon expérience, comme celle de nombre de mes confrères, m’a appris que rien n’est si simple dans l’entrepreneuriat digital.

Tout d’abord, la plupart des métiers du numérique  – c’est valable aussi bien dans la publicité que dans les Fintech – réclament aujourd’hui des investissements considérables dans les technologies, ainsi que dans les infrastructures qui les portent. À l’heure du Big data, les moyens à réunir pour collecter et exploiter les données sont également conséquents. Nous sommes quasiment en train d’entrer dans une phase industrielle de l’Internet : pour exister il faut consentir des investissements élevés, les acteurs en place ont une part de marché mieux installée, l’environnement juridique et réglementaire est non seulement plus précis, mais aussi plus exigeant que dans les années 2000. Dans cette nouvelle ère de l’Internet industriel, les barrières à l’entrée sont plus importantes qu’elles ne l’ont jamais été.

Mais il ne suffit pas de passer le premier barrage : c’est dans la capacité à durer, c’est-à-dire à évoluer, que réside certainement la principale difficulté. Les vagues d‘innovation se succèdent à un rythme effréné et leur portée est amplifiée par des effets de mode, qui incitent à jeter aux orties aujourd’hui ce qui fut porté aux nues hier. Légitimes ou non, ces mouvements rapides constituent une réalité, à laquelle les entreprises ne peuvent pas se soustraire. Peu d’entreprises françaises nées avant 2000 ont affronté sans doute autant de mutations que HiPay et HiMedia. HiPay a connu le développement des micro-paiements, la mise en place d’un cadre réglementaire européen et l’innovation marketing et technologique liée à la vague récente de la Fintech. Hi Media a connu l’éclatement de la bulle Internet, la baisse rapide des prix de l’espace publicitaire, l’arrivée des réseaux sociaux, la naissance des achats publicitaires automatisés et enfin la montée en puissance des logiciels bloquant la publicité.

Chacune de ces étapes a été l’occasion d’une crise, mais aussi d’une reconstruction. À la suite d’années de travail intense, HiPay est aujourd’hui un des champions français des Fintech et voit sa croissance s’accélérer. Après des années difficiles HiMedia s’est repositionné et repart vers de nouveaux succès. 2001, 2008, 2015 : trois cycles et trois phases d’ajustement se sont succédé en quinze ans. En somme, si les acteurs du digital ne doivent pas investir des millions pour construire des usines, il leur faut se réinventer tous les sept ans.

On le voit, l’aventure est loin d’être simple, mais elle demeure, à chaque cycle, comme à tout moment, un défi passionnant.