Adam Singolda (Taboola) "Les éditeurs risquent de perdre leur audience avec Facebook Instant Articles"

Le fondateur et CEO du service de recommandation de contenus veut aider les éditeurs à se protéger d'eux-mêmes et notamment de la tentation du tout Facebook. Il nous explique comment.

JDN. Taboola est connu pour ses blocs publicitaires placés en bas des pages des articles des éditeurs partenaires. Aujourd'hui, vous investissez énormément dans d'autres outils que vous offrez à ces partenaires. Vous préparez votre métier de demain ?

Adam Singolda est CEO et fondateur de Taboola. © S. de P. Taboola

Adam Singolda (Taboola). Avant toute chose, je tiens à préciser que notre cœur de métier reste celui de la recommandation des contenus et les widgets publicitaires que nous plaçons en bas des articles de nos partenaires. C'est un énorme marché, de plusieurs milliards de dollars, sur lequel repose tout notre chiffre d'affaires pour un petit moment. En 2016, nous devrions réaliser entre 500 et 600 millions de dollars de CA.

Mais à l'image de ce qu'a fait Google avec Doubleclick, nous voulons aider nos partenaires à mieux monétiser leur audience grâce à des solutions que nous leur offrons. Avec la personnalisation des pages articles, un adserver de native advertising et un outil d'analytics pour les journalistes. C'est aussi un moyen de les fidéliser.

Vous nous parliez il y a un an de votre volonté de les aider à personnaliser la navigation de leurs lecteurs. Avez-vous avancé sur le sujet ?

La solution est déjà déployée chez certains de nos partenaires. Je peux citer Russia Today qui a affiche un encart vidéo en haut à droite de ses articles auprès des internautes que nous avons identifiés comme des fans de contenus vidéos. Résultat : plus 30% de vidéos. Je pense que les médias ont beaucoup à gagner à pousser cette logique à l'heure du tout personnalisé. Un autre exemple : nous nous sommes rendus compte que 80% des lecteurs qui viennent depuis les réseaux sociaux ne vont pas au bout des articles. Les blocs publicitaires situés en bas de page ne sont donc quasiment jamais vus. D'où la possibilité pour nos éditeurs de n'afficher que les trois premiers paragraphes auprès de ces lecteurs et de découvrir le reste en cliquant sur un bouton "Lisez plus". Cela fait ainsi remonter le bloc publicitaire du bas de la page. Les exemples sont légions, comme retirer les boutons sociaux lorsque le lecteur n'a jamais partagé un article.

Combien dépensez-vous pour offrir de tels cadeaux à vos éditeurs ?

Des millions de dollars… Mais l'investissement est nécessaire pour les aider à faire grandir le gâteau que nous nous partageons. Et puis, nous avons les moyens de nos ambitions. Il nous reste près de 100 millions de dollars en banque sur les 125 millions levés début 2015.

100 millions de dollars qui pourraient vous permettre de réaliser des acquisitions. C'était du moins l'objectif affiché il y a un an. Il ne s'est pourtant encore rien passé. Pourquoi ?

Nous réfléchissons toujours, nous discutons… Mais nous n'avons pas encore trouvé la perle rare. Nous ne nous précipiterons pas car nous voulons tomber sur une bonne équipe, capable de nous aider à proposer des solutions de croissance des revenus de nos partenaires.

L'audience que les éditeurs donnent à monétiser à Facebook sur Instant Articles est mécaniquement une audience que vous ne pouvez plus monétiser vous-mêmes. Cela vous inquiète-t-il ?

Je pense que cela devrait surtout inquiéter les éditeurs ! Instant Articles est un magnifique moyen pour les éditeurs de toucher une audience qu'ils ne captaient pas forcément jusque-là. Pour autant, héberger l'ensemble de ses contenus sur Instant Article me semble être un pari un peu hasardeux, pour ne pas dire très risqué. Les éditeurs ne risquent pas de perdre de l'argent, car Facebook leur offrira sans doute toujours de bons CPM, mais ils risquent de perdre leur audience ! Ils vont se diluer dans la plateforme et dans l'esprit des internautes qui auront bien du mal à dire quelle marque a produit quel contenu.

Il n'y a rien de plus dangereux pour un business que de perdre la relation avec ses clients. Et c'est précisément ce qui est en train d'arriver à certains médias. Alors oui, nous tâchons d'aider nos clients à faire le bon choix avec toutes ces solutions de monétisation offertes gratuitement. Pour ne pas qu'ils mettent tous leurs œufs dans le même panier. A fortiori celui d'un autre.

Le basculement des usages vers le mobile semble aujourd'hui favoriser Facebook, en témoigne l'exemple Instant Article, ou l'audience que réalise son application. Et vous ?

Aujourd'hui plus de la moitié de notre chiffre d'affaires provient du mobile. Nos formats "in-feed" collent bien avec les usages tels qu'ils ont été popularisés par Facebook et une équipe data planche continuellement sur des outils de tracking pour améliorer nos capacités de ciblage. Ce n'est pas évident dans un univers où les cookies marchent mal et où il faut réconcilier in-app et internet mobile mais nous nous débrouillons.

On dit souvent que les outils de recommandation de contenus sentent le souffre. Dernier exemple en date, ces arbitrageurs qui polluent vos blocs et ceux de vos concurrents. Où en êtes-vous sur le sujet ?

Nous avons toute une équipe en place pour éviter la publication de contenus qui dérogent à notre éthique. Chaque contenu qui est promu via notre réseau est revu minutieusement par cette équipe pour s'assurer que les enchérisseurs n'ont pas la volonté de tromper le lecteur en leur promettant la lune ou en maquillant leur contenu aux couleurs d'un autre.

Cette équipe n'est bien évidemment pas infaillible et peut parfois être prise au dépourvue. Mais dès qu'un contenu de ce type nous est signalé nous le retirons. Et je peux vous assurer que nous refusons bien plus d'annonceurs que nous en acceptons !

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