Plateformisation des médias : Annonceurs, foncez !

Instant Article, Snapchat Discover, LinkedIn Pulse... Chaque jour plus forte, la plateformisation de l’information se transforme en passage obligatoire pour les médias comme pour le brand content.

Plateformisation des médias : des promesses et des craintes


Mi-avril, Facebook a lancé un gros pavé dans la mare des médias en permettant à tous les éditeurs, quels qu’ils soient, d'user d'Instant Article. Le principe : permettre aux producteurs de contenus de les héberger directement sur le réseau social. De simple promoteur d'articles, Facebook s'est ainsi transformé en éditeur et permet aujourd’hui aux lecteurs d'accéder aux contenus instantanément, sans quitter la plateforme bleue. Une expérience toute nouvelle pour les utilisateurs, qui voient leur lecture optimisée, et le temps de chargement des articles considérablement diminué. 


Côté médias, l’intérêt est a priori évident : alors que les audiences de leurs sites souffrent, Facebook ne cesse de briller et comptabilise désormais 1,59 milliards d’inscrits dans le monde*. Pourquoi alors se servir du réseau social comme d’un simple canal lorsque les internautes, largement plus nombreux sur Facebook, peuvent être catchés directement sur la plateforme ? D’après le réseau social, l’utilisation d’Instant Article pourrait apporter 20% de clics en plus, mais aussi et surtout permettre aux éditeurs de profiter de l’avènement du mobile (dont l’utilisation dépasse aujourd’hui celle de l’ordinateur) en diminuant notamment de 70% les abandons de page généralement dus au temps de chargement. 


Côté monétisation, a priori rien d’alarmant puisque Facebook laisse toute liberté aux éditeurs de vendre eux-mêmes leur publicité dans les contenus soumis à IA. Ceux qui veulent peuvent néanmoins confier cette tâche au RS via le réseau Facebook Audience Network, auquel cas ils devront s’affranchir de 30% des revenus. La promesse est belle, les avantages nombreux, mais tout cela est-il sans risque ? Pas sûr.



Une crainte dépasse les autres : celle de voir les internautes délaisser les sites premiers au profit de Facebook. En les habituant à consulter les articles directement sur la plateforme, les médias ne risquent-ils pas de perdre le point de contact qu’ils entretenaient jusqu’alors avec leurs lecteurs ? Le danger est là, et appuyé par l’impossibilité actuelle pour les organismes de certification de prendre en compte les audiences accumulées ailleurs que sur leurs sites. 

En outre, en confiant leurs contenus aux plateformes pour en tirer les avantages promis, le risque est bel et bien réel de voir se nouer une relation de dépendance, dangereuse sur le long terme. Nombreuses, ces craintes ne s’appliquent néanmoins pas de la même façon à tous les médias. On a en effet beaucoup de mal à imaginer que les sites d’information livrant du contenu journalistique de qualité tels que LeFigaro ou Le Monde puissent perdre leur valeur ajoutée éditoriale et leur audience directe avec l’utilisation d’Instant Article. 


Des analyses fouillées, des angles originaux, des articles qualitatifs et recherchés au point de pousser les lecteurs à payer pour accéder au contenu premium, d’ici vient le respect et la bonne réputation de ces pontes de l’information. Ainsi, plus que de plomber cette belle image, la plateformisation de leurs articles pourrait au contraire leur être utile pour mettre en avant la qualité de leurs contenus tout en développant un nouveau modèle publicitaire. Plus difficile sera la tâche pour les médias d’entertainment où le volume est roi, lesquels pourraient se laisser aller à la facilité dans la course à l’audience. A la merci des RS, ils pourraient en effet à la longue n’avoir d’autre choix que de se plier à leur bon vouloir, et ce sans réelle possibilité de retour en arrière.


Enfin, et c’est principalement ce qui nous concerne aujourd’hui, la perte des annonceurs est elle aussi en marche. Fidèles aux OPS distillées ça et là sur ces sites aujourd’hui supports de messages publicitaires, les marques pourraient elles aussi profiter de la plateformisation des contenus pour prendre leur envol et se mettre en avant en toute autonomie. Alors que la soumission pend au nez des médias, c’est ainsi un morceau d’indépendance qui pourrait bien tomber dans l’estomac des annonceurs.


      Plateformisation du brand content : autonomie et visibilité pour les marques


Sans bouleverser totalement l’écosystème qui existe dans les médias, le phénomène de plateformisation des contenus pourrait bien changer des habitudes qui ont perdu en efficacité. L’exemple des OPS, qui se construisent aujourd’hui autour de volumes d’audience très difficiles à atteindre, est symptomatique de la nécessité pour les annonceurs de compléter leur stratégie. Natif ou non, le contenu peine à jouer totalement son rôle tant il est dépendant des grands noms du web et de leurs chartes. Si Facebook Instant Article s’est récemment ouvert au brand content en autorisant la publication de contenus issus d’un partenariat entre une marque et un média (avec la condition que l’utilisateur puisse identifier qu’il s’agit là de native advertising), les annonceurs auraient tout intérêt à doubler cette belle attention en publiant eux-mêmes leur contenu sur les plateformes.


Première avancée capitale, la fin de la dépendance marques/médias multiplierait largement la possibilité pour elles d’atteindre leurs cibles en masse. Aussi, plus que de proposer aux consommateurs de simples liens renvoyant vers leurs landing pages, les annonceurs pourront satisfaire l’intelligence et la curiosité des lecteurs et leur proposer des call-to-action plus pertinents et attractifs. Ainsi, alors que les médias d’information craignent de voir s’éloigner leur lectorat en le poussant à rester sur les réseaux sociaux, les marques peuvent quant à elles espérer profiter de ce nouveau système pour obtenir l’effet inverse : se rapprocher du consommateur en lui parlant directement, sans passer le « kiosque » que représentent pour elles les médias, mais aussi en créant du contenu pour lui, adapté à ses besoins, et directement mis à sa disposition. Cette nouvelle façon de communiquer, elles l’ont en partie déjà adoptée en profitant du format publicitaire Canvas lancé par Facebook en février. 

Grâce à cette fonctionnalité, les annonceurs plongent l’utilisateur du RS dans un ensemble de contenus en plein écran sur mobile, fait de textes, d’images et de vidéos**. Esthétique, ludique, attractive, cette forme innovante de publicité interactive parvient aisément à retenir l’attention des consommateurs, dont les données des profils peuvent être utilisées pour des mises en avant ciblées. Une première étape pour les annonceurs, qui ont néanmoins aujourd’hui tout intérêt à éditorialiser encore un peu plus leurs contenus.

 

     De la nécessité d’éditorialiser les contenus de marque : devenez brand publisher !


Nécessaire car évident : pourquoi payer pour faire de la pub alors qu’on pourrait limiter les frais en fabriquant et en éditant son contenu soi-même ? Si l’on est aujourd’hui certain que le brand content est la clé d’une communication de marque réussie, FIA, Discover et les autres poussent les annonceurs et les agences à voir encore plus loin. Il leur faudra en effet, à l’instar des « vrais » médias d’information, s’ouvrir aux ficelles d’un Native Advertising poussé. Plus question ici de s’appuyer sur les réservoirs à audience du web pour faire passer leurs contenus. 


Tout le challenge s’appuie sur l’occasion et bientôt l’obligation pour les marques de se transformer elles-mêmes en médias où héberger leur content. Redbull l’a bien compris en créant sa propre plateforme de vidéos, redbull.tv, principalement liée au sponsoring sportif mené par l’annonceur. Le projet prend la forme d’une véritable chaîne de télévision, dont Red Bull se sert pour diffuser ses valeurs, entretenir son image, mais aussi et surtout attirer les consommateurs sans leur imposer un quelconque contenu pauvre directement lié au produit. 

Groupama a récemment pris le même chemin en créant, à l’initiative de Mensquare Agency, son propre magazine print Groupama Team France, entièrement dédié à la voile à laquelle la marque consacre une grande partie de ses activités de sponsoring. Le succès du magazine, porté massivement avec Le Figaro, impose la création de nouveaux numéros, lesquels pourraient trouver un écho sur le web via la création d’un véritable site d’information dédié au sujet. Parfaitement conscient de cette nécessité de devenir un média, Groupama s’est présenté comme tel en poussant son projet jusqu’à la mise en place d’une campagne d’affichage sur kiosques (cf. photos supra). Ici, la stratégie éditoriale est complète. Ainsi, la marque s’est affranchie des médias pour en devenir un à part entière, comme l’impulse désormais la possibilité pour les annonceurs de publier leurs contenus sur les plateformes.


Plein de promesses, ce nouveau système est néanmoins aujourd’hui étroitement lié aux réseaux sociaux, qui ont, comme les marques elles-mêmes, une identité bien à eux. Reste un point commun évident chez tous ces RS : l’entertainment. Une voie vers laquelle doivent ainsi se diriger les marques, appelées à interpeller le consommateur en l’intéressant et le divertissant plutôt qu’en l’agressant. Un créneau qui peut inquiéter les médias cherchant aujourd’hui leurs audiences dans le buzz, lesquels pourraient vite s’enfermer et se perdre dans leur course aux chiffres au détriment de la qualité. Pour les autres, la plateformisation utilisée avec l’anticipation de devenir brand publisher pourrait bien se transformer en alliée pour catcher leurs lecteurs et s’adapter aux évolutions web.


*Source : Facebook 2015
**Exemples ici