Les modalités de l’obligation de compte rendu à l’annonceur de l’exécution des ordres de publicité en matière digitale

Le décret n°2017-159 du 9 février 2017 relatif aux prestations de publicité digitale pris en application de l’article 23 de la loi Sapin du 29 janvier 1993 a (enfin) été publié au Journal Officiel du 11 février 2017.

On en sait désormais plus sur les modalités d’application de l’obligation de rendre compte à l’annonceur de l’exécution des prestations de publicité digitale réalisées sur tous supports connectés à internet (e.g. ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles etc.).

Rappelons au préalable que cette obligation de reddition des comptes prévue à l’article 23 de la loi Sapin incombe : 

(i) aux vendeurs d’espaces publicitaires agissant en tant que support (e.g. ceux qui disposent d’espaces sur lesquels les publicités peuvent être éditées) ou en tant que régie (e.g. ceux qui vendent des espaces publicitaires en lien et dans l’intérêt des supports "propriétaires" des espaces ainsi commercialisés[1]) ;

(ii) mais aussi, le cas échéant, à leurs mandataires, tels que les agences, ou encore les SSP (Supply Side Platforms) qui vendent pour le compte de leurs clients des espaces publicitaires sur des places de marché en ligne (e.g. les plateformes d’ "Ad-exchange") en particulier via un système d’enchères en temps réel fondé sur le profil de la cible visée par la publicité et l’optimisation de la performance du message publicitaire (e.g. le "real-time bidding" ou "RTB"). Néanmoins, cette obligation est limitée, pour ces intermédiaires, au cas où il y a une modification apportée à la diffusion prévue (al. 2 et 3 art. 23 L. Sapin)[2]. A contrario, à défaut de modification des conditions de diffusion du message publicitaire, ces intermédiaires ne sont pas tenus à une telle obligation de rendre compte[3].

Comme le prévoit la loi Macron[4], les modalités de mise en œuvre de cette obligation ont été précisées par décret. Après de longs mois de discussions, et la publication d’un premier projet de décret début 2016, le décret n°2017-159 en date du 9 février 2017 a finalement été publié au Journal Officiel le 11 février dernier.

Celui-ci prévoit d’abord que le compte rendu communiqué à l’annonceur dans le mois suivant la diffusion du message publicitaire (al. 1 art.23 L. Sapin) doit contenir (art. 2 D. n°2017-159) :

-       La date et les emplacements de diffusion des annonces ;

-       Le prix global de la campagne ; 

-       Le prix unitaire des espaces publicitaires facturés par site ou catégorie de site (regroupés en fonction de leur nature ou de leurs contenus éditoriaux) ;

S’agissant en particulier des campagnes réalisées sur les plateformes d’Ad-exchange sur lesquelles opèrent les SSP (et leurs homologues du côté "acheteur" d’espaces publicitaires, les DSP "Demand-Side Platforms"), l’obligation d’information de l’annonceur est renforcée. En effet, le compte rendu qui lui est dû doit contenir à tout le moins les informations suivantes :

· Les informations permettant de s’assurer de l’exécution effective des prestations et de leurs caractéristiques :

-       L’univers de diffusion publicitaire (e.g. les sites ou ensemble de sites sur lesquels la publicité a été diffusée) ;

-       Le contenu des messages publicitaires diffusés ;

-       Les formats publicitaires utilisés ;

-       Le résultats obtenus en fonction du/des indicateur(s) de performance retenu(s) lors de l’achat de prestations – par exemple dans l’ordre d’insertion publicitaire (e.g. le nombre d’impressions, de pages vues, de clics, d’actions de la cible de la publicité, etc.) ;

-       Le montant global facturé pour la campagne et, le cas échéant, tout autre élément convenu avec l’annonceur relatif au prix des espaces.

· Les informations permettant de s’assurer de la qualité technique des prestations :

-       Les outils technologiques, les compétences techniques ainsi que les prestataires techniques qui ont participé à la réalisation des prestations ;

-       L’identification des acteurs de conseil, distincts des prestataires de technologie numérique, impliqués dans la réalisation des prestations ;

-       Les résultats obtenus par rapport aux objectifs qualitatifs définis par l’annonceur ou son mandataire avant le lancement de la campagne (e.g. le ciblage, l’optimisation ou l’efficacité).

· Les informations sur les moyens mis en oeuvre pour protéger l’image de la marque de l’annonceur

-       Les mesures mises en oeuvre (y compris les outils technologiques de contrôle) pour éviter la diffusion de messages publicitaires sur des supports illicites ou dans des univers de diffusion signalés par l’annonceur comme étant préjudiciables à l’image de sa marque et à sa réputation.

·      Le cas échéant, les conditions de mise en œuvre des engagements souscrits dans le cadre de charte de bonnes pratiques

Le décret précise également que l’annonceur peut avoir accès aux outils de compte rendu mis à la disposition du mandataire.

Enfin, il est prévu que ces dispositions ne s’appliquent pas aux vendeurs d’espaces publicitaires établis dans un autre Etat Membre de l’Union européenne ou partie à l’EEE, à condition que ceux-ci soient soumis à des obligations équivalentes en matière de compte rendu en vertu de leur propre droit national.

L’entrée en vigueur du décret est fixée au 1er janvier 2018 (art. 5 D. n°2017-159).

Néanmoins, comme le souligne la doctrine, la loi ne prévoit pas de sanction à cette obligation de reddition des comptes[5], en sorte que l’on peut  s’interroger sur l’efficacité de ces dispositions.

En outre, en pratique, elles s’annoncent difficiles à mettre en œuvre, compte tenu de la multiplicité des intervenants (qui peuvent être au nombre de 5, voire 6 : vendeur d’espace, régie, SSP, DSP, agence, annonceur) et du fonctionnement du RTB : comment faire en sorte, dans un tel contexte, que le vendeur d’espace ait, pour chaque publicité diffusée, connaissance des objectifs qualitatifs et des indicateurs de performance définis, à l’autre bout de la chaîne, par l’annonceur ou son agence média ? C’est pourtant notamment à l’aune de ces informations qu’il doit rendre compte. Sans parler du reste…

Vincent VARET et Camille BERTIN, Avocats au Barreau de Paris


[1] Les vendeurs d’espaces publicitaires agissant en qualité de régie au sens de l’alinéa 1 de l’article 23 de la loi Sapin sont définis ainsi dans le rapport "Loi Sapin et publicité sur internet" par G. LALLEMENT, J. SERRIS et D. VARENNE, Juillet 2013.

[2] Dans l’hypothèse d’une modification des conditions de diffusion du message publicitaire, le vendeur d’espace doit avertir l’intermédiaire qui doit informer à son tour l’annonceur des changements réalisés (al. 2 art. 23 L. Sapin). 

[3] CA Paris, 5e ch., 6 nov. 1997 : Gaz. Pal. 17-19 mai 1998. Néanmoins, le mandataire est tenu d’une obligation générale de rendre compte de sa gestion à son mandat, en vertu de l’article 1993 du code civil.

[4] La loi Macron prévoit expressément que dans le secteur de la publicité digitale, les modalités d’application des obligations de compte rendu prévues à l’article 23 de la loi Sapin sont précisées par décret en Conseil d’Etat.

[5] V. en ce sens : Jean-Jacques BIOLAY, "Contrats de publicité : achat d’espace publicitaire", JCL Fasc. 4030 Contrats-Distribution, LexisNexis, 2013.