Grégory Gazagne (Criteo) "Nous lançons une offre de CRM onboarding pour les commerçants"

Résultats 2016, fin de l'email retargeting, optimisation de Google Shopping... Le patron Emea du spécialiste du marketing à la performance fait le point.

JDN. Vous annoncez un chiffre d'affaires de 1,799 milliard de dollars pour l'année 2016, en hausse de 36% à devise constante. On imagine que c'est un beau motif de satisfaction.

Grégory Gazagne, executive vice-president Emea de Criteo. © S. de P. Criteo

Grégory Gazagne (Criteo). Nous tirons effectivement un bilan extrêmement positif. Trois années après son introduction en bourse, Criteo continue de dépasser les attentes. Notre revenu hors coûts d'acquisition s'est établi à 718 millions de dollars en 2016, grâce à une croissance de 34% alors que nous tablions sur une hausse de 30 à 34% en début d'année. Le modèle de Criteo fonctionne, comme l'atteste la très forte croissance que nous maintenons chaque année.

Nous avons séduit 1 600 nouveaux clients au quatrième trimestre, portant leur nombre total à 14 400. Les clients existants ont investi 20% de plus que l'année dernière, preuve que notre technologie leur donne entièrement satisfaction.

Criteo est le roi du monde des cookies et le basculement des usages vers le mobile, où l'in-app et les identifiants uniques sont rois, ne vous semblait a priori pas favorable…

60% de notre marge brute provient du cross-device

Le cross-device représente pourtant aujourd'hui 60% de notre revenu hors coûts d'acquisition. Il faut dire que nous avions bien anticipé le phénomène que vous évoquez en rachetant Adx tracking, un spécialiste des analytics mobile, il y a plus de trois ans. Nous avons arrêté le produit tel qu'il existait, car il y avait un conflit d'intérêt avec notre activité d'achat : nous ne pouvions pas être juge et partie. Mais il nous a permis de développer l'outil de retargeting in-app et Web mobile qui fait aujourd'hui notre croissance.

Le business in-app est aujourd'hui en très forte croissance. Nos clients ne doutent plus, contrairement à il y a deux ans, de la nécessité de lancer leur propre application. Il faut dire que le taux de conversion et le panier moyen qu'ils y réalisent est aujourd'hui plus élevé que sur desktop !

L'un des gros chantiers de 2017 est le lancement de votre offre de "predictive search" pour Google Shopping…. Qu'en attendez-vous ?

Qu'elle nous ouvre les portes d'un marché qui est énorme. Il faut savoir que Google Shopping représente près de 75% des investissements des retailers en clics payants aux Etats-Unis. Le ratio est de 50% en France. Le marché est énorme et les performances pourtant pas encore au niveau, avec des offres qui se contentent d'automatiser le processus de manière basique, sans aucune intelligence.

Aider les retailers à optimiser leur présence sur Google Shopping

Nous voulons utiliser le machine learning pour optimiser l'enchère en fonction de la cinquantaine de variables proposées par Google (comportement, intention d'achat…). Nous avons acquis pour cela deux sociétés : Adquantic et Datapop, dont la technologie et l'expertise nous ont permis de mettre sur pied cette offre commerciale après 18 mois de recherche et développement.

Vous avez déjà testé le produit aux Etats-Unis, où il a été lancé fin octobre 2016. Quels sont les résultats ?

Nous avons été capables de générer une hausse de 22 à 49% du nombre de conversions. C'est une plateforme 'full-funnel' qui permet aussi bien de faire de l'acquisition de nouveaux clients que de la transformation d'utilisateurs passés par le site.

L'autre actualité, c'est le rachat de HookLogic et sa marketplace qui permet aux marques de promouvoir leurs produits sur des sites e-commerce partenaires. Quel est l'enjeu ?

L'enjeu est de donner les moyens à nos clients e-commerçants de rivaliser avec Amazon, qui réalise plus de 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires et propose déjà ce type de services. Grâce à cette nouvelle offre, les e-commerçants vont doper leur chiffre d'affaires en captant des budgets publicitaires et une commission sur les ventes qu'ils vont générer.

Nous voulons plus globalement leur faire comprendre qu'il est nécessaire de réunir leurs forces et utiliser notre solution pour créer un effet d'échelle. Nos plus gros clients sont des nains comparé à Amazon. Mais en additionnant le chiffre d'affaires que l'ensemble de nos clients réalise, on atteint un volume de près de 500 milliards de dollars.

Criteo va servir de tiers de confiance dans le cadre d'une alliance entre e-commerçants ?

Devenir un tiers de confiance pour les e-commerçants qui s'allient face à Amazon

Certains de nos clients réfléchissent à la création de pool de datas. Sur du cross-device, un e-commerçant nous donne sa base de données e-mail anonymisée, que nous pouvons matcher avec les données d'un autre e-commerçant. Nos plus gros clients ont un taux de pénétration qui atteint péniblement les 5%. Grâce à Criteo, ils font beaucoup plus. Le sujet du partage de données via un tiers de confiance est récurrent aux Etats-Unis. En Europe, on commence tout juste à l'envisager.

C'est dans cette perspective que vous lancez votre offre de CRM onboarding ?

C'est encore à l'état de "test and learn" mais c'est une demande de nos clients "brick and mortar" qui veulent pouvoir comprendre l'impact de leurs campagnes online sur les ventes offline. Ils nous communiquent pour cela leur base de donnée CRM (carte de fidélité…) pour savoir combien de ventes physiques la campagne online leur a permis de générer.

On y gagne car plus on prouve à un commerçant notre capacité à générer des ventes, plus on lui donne de la data pour affiner la compréhension de ses campagnes digitales et plus il a de raisons de travailler avec nous. C'est complètement vertueux.

Où vous situez-vous par rapport à des acteurs déjà existants comme Liveramp ou Temelio qui proposent déjà ce service ?

On ne les voit pas forcément comme des concurrents. Mais je rappellerai qu'on touche près de 1,2 milliard d'utilisateurs uniques chaque mois (hors mobile) et près de 500 millions d'utilisateurs en cross-device... Cela nous permet d'avoir un taux de match largement supérieur à la moyenne des spécialistes du genre, qui avoisine les 40%.

Vous avez décidé de mettre un terme à une activité d'email retargeting sur laquelle vous misiez pourtant beaucoup depuis le rachat de Tedemis en février 2014…

Nous arrêtons l'email retargeting qui ne marche pas en dehors de l'Europe

Nous avons du mal à déployer cette activité en dehors de l'Europe. Elle génère peu de traction commerciale en Amérique. Nous préférons donc reporter les ressources R&D qu'elle mobilisait sur des produits "game changers", complètement globaux, comme ceux que je viens d'évoquer.

Dans son projet de règlement, Bruxelles veut imposer qu'un utilisateur dise avant toute installation d'un navigateur ou d'un logiciel s'il accepte ou refuse des cookies publicitaires. Le marché est vent debout. Criteo est très discret sur le sujet. Pourquoi ?

Criteo a toujours su anticiper les régulations. Je pense notamment au petit "i" cliquable que nous accolions à nos créations publicitaires pour informer l'utilisateur sur la nature du ciblage. Ce petit "i" a donné par la suite naissance au dispositif "YourAdChoices", adopté par le marché.

Nous sommes discrets car il n'y a pas vraiment matière à commenter. Le texte, qui devrait entrer en application en mai 2018, sera d'ici là sans doute largement modifié. Regardez la première version qui a fuité en décembre dernier. Elle imposait le blocage des cookies par défaut depuis le navigateur. Cette disposition a disparu entre temps et le nouveau texte veut désormais que le navigateur donne la possibilité à l'utilisateur d'accepter ou non les cookies. Mais c'est déjà le cas !

2016 a été aussi marqué par une crise de confiance sans précédent entre les annonceurs et leurs agences, sous fond de manque de transparence, de fraude… Le modèle "black box" de Criteo n'échappe pas non plus à ces critiques…

Nous échappons à toute critique en ce qui concerne l'achat média, de par la nature de notre business model qui est d'acheter au CPM pour revendre au clic. Nous ne sommes pas des revendeurs d'espaces médias. Nos clients nous jugent à l'aune de notre performance. C'est plutôt transparent. D'autant que la marge de 41% que nous réalisons sur nos achats est communiquée chaque trimestre, présence en bourse oblige...

Vous prêtez en revanche le flan à la critique en ce qui concerne l'utilisation de la data. La peur du data leakage est-elle encore présente chez certains de vos clients ?

C'est un sujet qui a été évoqué dès le départ de l'aventure avec des clients qui s'inquiétaient que l'on partage leurs données avec leurs concurrents. On ne le fait pas et si on devait le faire, on les avertirait bien évidemment. C'est d'ailleurs amusant de voir que certains ne s'embarrassent pas de tels scrupules au moment de travailler avec Facebook qui, pour que vous utilisiez son Dynadmic Ads, vous impose de partager vos données avec les autres.

Par ailleurs, concernant le data leakage, il faut bien comprendre qu'on ne peut plus faire grand-chose des cookies. Et en réalité, nous avons de plus en plus de clients qui nous demandent de mettre en place des systèmes de partage de data pour leur permettre d'aller toucher de nouveaux clients. Ce sont les plus "petits" qui nous le demandent. Les "gros", qui restent finalement des "petits" par rapport à un Amazon feraient bien de s'en inspirer !

Grégory Gazagne a rejoint Criteo en janvier 2010 en tant que vice-président des ventes, chargé du développement international. En tant que directeur general EMEA, il s'occupe d'une région large et diverse et manage une équipe de plus de 300 personnes.