Gautier Picquet (Publicis Media) "30% de nos investissements vont au programmatique"

Le président du groupe aux 900 collaborateurs revient sur la restructuration de Publicis Media et son virage vers l'automatisation des achats pubs.

JDN. Vous avez réorganisé le groupe Publicis Media autour de quatre agences médias il y a un an. Quels ont été les fruits d'un tel changement ?

Gauthier Picquet, PDG de Publicis Media France. © S. de P. Publicis

Gautier Picquet (Publicis Media). Très positifs ! Tant du point de vue de nos clients qu'en interne. Avec cette organisation simplifiée et plus flexible, nous avons désormais le temps et les ressources pour investir dans deux piliers de la transformation de nos métiers : la data et le digital. Cette opération a par ailleurs permis de construire une véritable identité de groupe, chose indispensable pour renforcer l'attractivité de notre marque employeur dans un univers très concurrentiel. Ça n'a pas été facile, loin de là. Pour être honnête, je pensais boucler la nouvelle organisation en l'espace de trois mois. Je viens tout juste de l'achever.

Cette réorganisation a aussi donné lieu au lancement d'un cinquième pôle d'agence en Europe, Spark Foundry, en mars dernier.

Il s'agit d'un gros acteur de notre réseau aux Etats-Unis qui s'est spécialisé dans le développement et la transformation du business de nos clients. Nous avons décidé de le lancer en Europe à l'occasion du gain du budget media de Bel sur 22 marchés du groupe. Son positionnement collait aux attentes de Bel qui était à la recherche d'une nouvelle dynamique. Il s'agissait de muscler son offre data et devenir moins "TV dépendant". C'est un enjeu qui touche tous les acteurs FMCG (produits qui connaissent une forte rotation dans les linéaires de la grande distribution) et sur lequel nous avons développé une forte expertise au gré des campagnes que nous avons menées pour le compte de marques comme L'Oréal, Procter & Gamble, Lactalis…

Où en êtes-vous de votre collaboration avec Bel ?

Nous avons lancé les premières campagnes médias et avons jeté les bases d'une stratégie qui vise à optimiser l'acquisition et la fidélisation des consommateurs. Ce n'est pas une mince affaire pour un acteur qui est habitué au "mass media". Il faut être capable d'évoluer vers des types de communication "one to one" où l'on adapte le message au cycle de vie du consommateur.

On dit souvent que c'est l'arrivée des acteurs FMCG sur le digital qui permettra à ce dernier de prendre une toute autre envergure, côté achat média. Qu'en pensez-vous ?

Internet les intéresse pour plusieurs raisons. Ce canal leur apporte une audience qu'ils ne touchent pas en TV. Il leur permet également de toucher une cible qui a un plus fort pouvoir d'achat. Mais ces acteurs sont obnubilés par une question : le ROI dans leurs magasins. Internet doit encore montrer sa capacité à influencer les ventes offline, ce que la TV fait très bien. L'autre sujet pour eux est l'e-commerce. Mais c'est très dur pour ces marques d'exister avec un site marchand. Les internautes ne vont pas sur un site pour acheter seulement un parfum ou un shampooing. L'alternative est alors de travailler intelligemment avec les géants comme Amazon.

Cette réorganisation terminée, quels sont vos principaux chantiers ?

Il est désormais temps de passer à la phase 2 : accélérer sur la mutation de nos métiers. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de fusionner les métiers de l'achat. Les traders médias du programmatique côtoient désormais les acheteurs traditionnels et les équipes conseil d'un même client. Le sujet programmatique ne peut être traité à part si on veut l'activer intelligemment.

Vous avez d'ailleurs été un des premiers acteurs de l'achat média à lancer sa place de marché avec Publicis Media Exchange. Vos clients peuvent y acheter l'inventaire d'éditeurs triés sur le volet. Pourquoi ?

Le programmatique est un marché de volume où les sources d'inventaires sont aussi nombreuses que difficiles à valider. A nous d'être vigilants et de faire en sorte que nous ne travaillions pas avec des acteurs qui ne sont pas carrés. Le lancement de notre agency marketplace procède de cette volonté de proposer un environnement brand safe, avec un centre d'expertise qui labellise les différentes sources d'inventaire pour voir si on peut travailler avec elles. Il faut donner des règles et apporter de la transparence à ce marché. C'est la raison pour laquelle je suis en faveur de la loi Macron 2 et de la transposition de la loi Sapin au digital. Nous avons besoin d'encadrement.

Certains accusent les agences de profiter de leur place de marché pour réintégrer les achats programmatiques dans les accords globaux qu'elles passent avec les éditeurs. En clair, un moyen de négocier avantageusement les conditions de leur achat programmatique en brandissant l'argument : "Je suis un gros client". Que leur répondez-vous ?

Que nous sommes agnostiques et travaillons avec tous les DSP. Que nous voulons être reconnus comme un expert du marché programmatique et donc de toutes les places de marché, pas uniquement la nôtre. Publicis Media Exchange représente d'ailleurs une part minoritaire de nos investissements.

Programmatiser l'achat traditionnel, c'est aussi un moyen de retrouver de la productivité opérationnelle en perdant moins de temps sur les tâches fastidieuses…

En théorie, on retrouve effectivement de la productivité opérationnelle. Dans les faits c'est plus compliqué car cela implique beaucoup de pédagogie, de technologie, reporting et suivi. On en est encore au début, à se battre pour recruter les talents, se structurer…. Aujourd'hui, 30% de nos investissements vont au programmatique mais le marché augmente de 50% encore cette année tandis que le business de gré à gré continue de s'éroder.

Sur le sujet de la fraude, on a récemment beaucoup parlé du différend Criteo-Gotham City Research. Quelle est votre position sur le sujet ?

J'ai un avis assez tranché sur cette affaire et je constate que le rapport de Gotham City Research était complètement à charge. Il faut être capable d'étayer ses accusations quand les conséquences sont aussi importantes qu'une forte chute de l'action en bourse. Bien sûr, il y a un vrai enjeu de transparence car le marché ne l'est pas assez. Mais les arguments qui étaient brandis dans ce cas précis ne tenaient pas...