Géraldine L'Hénaff (GroupM) "Google démarche nos clients pour qu'ils passent au 100% programmatique"

La responsable du trading digital au sein de GroupM revient sur la récente enquête de l'Autorité de la concurrence sur le marché de la pub numérique.

JDN. L'enquête sectorielle initiée par l'Autorité de la concurrence a récemment dépeint un "équilibre concurrentiel fragile" au sein du marché de la pub online en France. Une surprise ?

Géraldine L'Henaff est responsable du trading digital chez GroupM. © Amélie Marzouk

Géraldine L'Henaff. Il n'y a pas vraiment eu de surprise dans la mesure où nous avons accompagné et conseillé certains de nos clients dans les réponses qu'ils apportaient à cette enquête. Les principaux constats formulés sont connus du marché. Nous sommes dans un univers où des plateformes cloisonnées, des "walled gardens" comme Facebook et Google, drainent des volumes colossaux. Un univers où les acteurs situés des deux côtés de l'achat média, DSP et SSP, ne sont pas toujours très transparents quant au fonctionnement de leurs algorithmes, au risque de s'adonner à des pratiques discriminatoires.

Un point qui n'a toutefois pas été évoqué, c'est, au-delà de sa data et de son inventaire, la puissance d'un acteur comme Google en matière de staffing. Ce dernier n'hésite par exemple pas à missionner plusieurs collaborateurs pour aller voir directement nos clients annonceurs et leur conseiller de passer l'ensemble de leurs campagnes de vidéo en ligne en programmatique. Au motif de booster leur efficacité. Ce qui est loin d'être toujours évident mais sert naturellement sa filiale, Youtube.

Dans quelle mesure une agence de conseil en achat média peut-elle remédier à cette situation ?

En jouant son rôle de conseil. On se rend par exemple compte que le programmatique, dès lors qu'on lui applique la même grille d'exigence que dans l'achat de "gré à gré", n'est pas toujours aussi efficace en matière de brand safety, taux de visibilité ou de complétion.

Nous avons un positionnement qui peut paraître atypique dans ce milieu qui fonctionne le plus souvent via des marges opaques : nous prônons la totale transparence. Nous facturons un pourcentage d'honoraires sur le budget media que nous confie l'annonceur. Nous "sapinisons" tous les autres flux de facturation. Dès que nous opérons de l'achat de data ou de prestation d'outils tiers type mesure d'audience pour le compte d'un client, la facture atterrit directement chez ce dernier.

Et la méthode paie ?

Beaucoup d'annonceurs apprécient ce modèle. Mais ce dernier peut parfois nous porter préjudice lors d'appels d'offres. Les annonceurs font parfois preuve de schizophrénie. Ils réclament de la transparence à tout va mais lorsqu'ils ont le détail des factures, ils peuvent mégotter sur des coûts qu'ils ne verraient pas autrement. Des coûts qui sont, chez la plupart des autres acteurs, réinjectés dans les CPM qui leur sont facturés, avec des marges très opaques, pour ne pas dire avantageuses pour le prestataire.

Google et Facebook ne jouissent-ils pas également d'un traitement préférentiel ?

Il y a effectivement un manque d'équité. Ces deux acteurs captent l'essentiel de la valeur mais ne sont pas lotis à la même enseigne que le reste du marché. Nous exigeons de nos partenaires qu'ils signent une charte de qualité sur des critères clés comme la brand safety, la lutte contre la fraude, la data ou encore la visibilité. Google et Facebook ne le font pas alors même que le Youtube Gate ou les problèmes récurrents de Facebook en matière de mesure de la performance publicitaire montrent qu'ils sont loin d'être irréprochables là-dessus.

Pourquoi le ferait-il, en sachant que vous continuez malgré tout à acheter chez eux ?

On essaie de prendre nos responsabilités, de faire valoir dans nos recommandations clients les acteurs qui produisent du contenu et respectent les règles. Mais on se heurte encore au bon vouloir d'annonceurs qui ne jurent que par la "brand safety" et la "transparence" quand ils s'expriment dans la presse spécialisée… pour n'être finalement qu'une minorité à couper leurs campagnes Youtube suite au Youtube Gate.

Les initiatives lancées par les éditeurs, qu'il s'agisse de Gravity, Skyline ou encore du label Digital Ad Trust, vont-elles dans le bon sens ?

C'est bien qu'il y ait des initiatives et des alliances importantes au tour de la data telles que Gravity ou Skyline, même si on peut regretter que sur un sujet où la taille est critique deux alliances concurrentes aient vu le jour. C'est très français me direz-vous. J'étais favorable à la création de ce label Digital Ad Trust et ai même participé à des ateliers de travail sur le sujet. Mais je dois avouer que le label n'a pas, en l'état, le niveau d'exigence que j'attendais. Prenons la visibilité où les labellisés doivent s'engager à être mesurables et faire en sorte de booster leur taux de visibilité. C'est bien mais il faut aller plus loin et définir de véritables exigences. Espérons donc que ce ne soit que la première étape !

Géraldine L'Hénaff est responsable du trading digital au sein de GroupM, la branche média de WPP. Elle a récemment élargi ses fonctions en devenant responsable des investissements de l'agence. Elle est entrée chez GroupM en 2010, en provenance de NextIdea.