Google torpille une partie des revenus digitaux des éditeurs européens
DBM, la plateforme d'achat programmatique de Google, baisse drastiquement et sans préavis ses investissements au sein des principaux SSP du marché. Une décision qu'elle explique motivée par le RGPD.
De nombreux d'éditeurs et SSP opérant en Europe se sont réveillés ce 25 mai avec la gueule de bois. La veille, la plateforme d'achat programmatique (DSP) de Google, Doublick Bid Manager (DBM), leur a annoncé par mail une baisse drastique des investissements qu'il leur allouait en ce jour d'entrée en vigueur du RGPD. Plus précisément, DBM explique interdire désormais l'intégration de pixels tiers au sein de la création publicitaire lorsqu'il achète de l'inventaire en provenance de 3d party exchanges (des sources d'inventaires n'appartenant pas à l'univers Google). Ces pixels tiers, indispensables pour réaliser du ciblage d'audience, sont massivement utilisés par l'industrie publicitaire. En conséquence, la plateforme d'achat rejette la majorité des bid requests (impressions publicitaires) qui lui sont envoyées par les principaux SSP du marché français : Appnexus, Smart RTB +, Improve Digital, Teads, Sublime Skinz….
Smart, qui commercialise l'inventaire programmatique d'éditeurs comme Aufeminin, Mondadori ou Melty, faisait état d'une baisse de 50%
Tous ont été pris de court par la décision de Google. "Pourquoi avoir attendu la veille de l'entrée en vigueur du règlement pour annoncer une telle décision alors même qu'on nous assurait depuis plusieurs semaines que rien n'allait changer ?", s'interrogent Smart, Teads et Sublime Skinz, joints au téléphone par le JDN. Le géant américain Appnexus a été logé à la même enseigne. Le 24 mai, il a envoyé à la hâte un email à ses clients éditeurs pour les prévenir d'une baisse significative, entre 25 et 75%, des achats en provenance de DBM. Smart, qui commercialise l'inventaire programmatique d'éditeurs comme Aufeminin, Mondadori ou Melty, faisait état d'une baisse de 50% ce matin. La chute était de 65% chez Teads, partenaire d'éditeurs comme Les Echos, Axel Springer, The Economist ou encore El Pais.
"C'est catastrophique pour certains éditeurs chez lesquels DBM représentait près du tiers du chiffre d'affaires", s'émeut le directeur général de Teads, Geoffrey La Rocca. L'impact est d'autant plus important que l'arrêt brutal de DBM (qui représente plus de 25% du marché pub online) s'accompagne d'effets de bords. Dans un marché qui fonctionne encore beaucoup au 2nd price auction (où le gagnant paie le prix proposé par le second meilleur enchérisseur plus un centime), "la forte baisse de la densité des enchères se traduit par celle des CPM", précise Geoffrey La Rocca.
"Les éditeurs équipés d'une CMP sont aussi touchés"
Dans son email, DBM met en avant sa volonté de se mettre en conformité avec le RGPD en n'exploitant pas de données dont il n'est pas assuré du consentement de l'utilisateur. Problème, les éditeurs qui se sont bien doté d'une plateforme de recueil du consentement de type CMP (consent management platform) ne sont pas plus épargnés. Les éditeurs de Smart RTB + qui l'ont fait (environ 45% selon la plateforme) sont tout aussi impactés que les retardataires. "DBM n'ayant pas intégré le framework de l'IAB, le DSP n'est pas capable de lire les informations de consentement transmises par les éditeurs", explique Adrien Thil, responsable des opérations chez Smart.
Qu'un éditeur soit RGPD compatible ou non, il est donc coupé du DSP de Google… sauf s'il utilise la technologie du géant pour vendre de l'inventaire. "C'est toute l'hypocrisie de la chose, DBM continue à acheter de l'inventaire chez les éditeurs équipés de son SSP, DFP, qu'ils aient recueilli le consentement ou non. Tout simplement parce qu'il est juridiquement protégé avec ces derniers puisqu'il peut rejeter la faute sur eux en cas de soucis", explique un patron de trading desk.
"Certains de nos clients annonceurs ne peuvent plus diffuser leurs campagnes auprès des éditeurs de leurs choix"
La colère gronde aussi du côté des annonceurs et agences clientes de DBM. Certains, à l'image de L'Oréal et Emirates, ont passé des contrats d'exclusivité avec lui et sont aujourd'hui pris en otage. "Certains de nos clients annonceurs sont dans ce cas de figure et ne peuvent plus diffuser leurs campagnes auprès des éditeurs de leurs choix", explique notre patron de trading desk. Pour les autres, une seule alternative : réallouer les investissements vers les concurrent de DBM. C'est aussi la solution poussée par certains SSP, à l'image de Sublime Skinz. "On incite nos plus gros annonceurs à basculer les investissements chez d'autres DSP pour continuer à acheter de l'inventaire chez nous", explique Estelle Reale, VP marketing du spécialiste de l'habillage en programmatique. Le procédé est cependant chronophage pour les trading desks. "Ça prend un temps fou, on ne migre pas 1 000 campagnes en quelques heures si facilement", déplore notre patron anonyme de trading desk. Chez beaucoup de ses concurrents contactés par le JDN, on en était d'ailleurs ce 25 au matin encore tout juste à mesurer l'étendue des dégâts.
Dans l'urgence, la plupart des SSP négocient avec DBM pour qu'il intègre leurs principaux partenaires à une whitelist que le DSP continuerait d'acheter. Dans son email, Appnexus incite d'ailleurs ses clients éditeurs à faire pression sur Google pour en faire partie. Un moyen pour eux d'arrêter rapidement la saignée. Même si comme le rappelle Adrien Thil, "la priorité c'est que Google intègre le framework de l'IAB le plus rapidement possible". Google a, selon nos informations, assuré à ses partenaires que ce serait chose faite d'ici quelques jours.