Brian O'Kelley (Appnexus) "AT&T va nous permettre d'aller plus vite sur le sujet du programmatique TV"

Le fondateur et PDG d'Appnexus s'exprime en exclusivité pour le JDN sur le rachat de sa société par le géant des telcos américain AT&T.

JDN. Après avoir longtemps évoqué une IPO, vous optez finalement pour un rachat par le groupe de télécoms AT&T pour un montant qui avoisinerait les 2 milliards de dollars. Pourquoi avoir changé d'avis ?

Brian O'Kelley, fondateur et PDG d'Appnexus. © S. de P. Appnexus

Brian O'Kelley. Je n'ai jamais eu qu'une aspiration : construire une entreprise avec le plus d'impact possible sur le marché publicitaire. L'IPO m'a longtemps paru être l'option la plus évidente dans cette perspective. Mais une rencontre il y a quelques mois avec le PDG d'AT&T Advertising, Brian Lesser, m'a convaincu de l'opportunité de continuer à faire grandir Appnexus au sein d'AT&T. C'est un géant aux ressources conséquentes et à l'expertise en matière de data et de télé très pointue. C'est un choix d'autant plus intéressant que nous rejoignons le nouveau pôle publicitaire du groupe, AdCo, dont le fonctionnement et la flexibilité s'apparentent à ceux d'une start-up.

Brian Lesser n'a pas fait mystère de son ambition de concurrencer le duopole Google-Facebook durant les Cannes Lions…

Disons qu'il s'agit plutôt de proposer une alternative à Google et Facebook, deux géants qui captent près de 60% du marché publicitaire alors qu'ils se contentent de distribuer du contenu. Et pour cause, ils n'en produisent pas. Google, c'est le search et Youtube. Facebook, c'est son newsfeed et Instagram. Le modèle d'Appnexus a lui été pensé pour permettre à ceux qui produisent du contenu d'être récompensés à leur juste valeur. Et le principal gagnant c'est l'internaute qui, sans publicité, ne pourrait pas accéder aux contenus de qualité qu'il trouve sur les sites médias.

Quel est l'intérêt de ce rapprochement ? Pour vous, c'est le moyen de récupérer le consentement de l'utilisateur à des fins publicitaires via les assets d'AT&T et pour ce dernier l'opportunité d'exploiter sa data au sein d'un environnement technologique propriétaire ?

Toutes ces synergies que vous mentionnez concernent essentiellement le marché américain et sud-américain où sont présentes la majeure partie des marques d'AT&T. Sur ces marchés, cet accès à la data sera bien évidemment un vrai atout. Mais AT&T était déjà client de notre technologie, cela ne va donc pas changer grand-chose.

Rien ne change non plus au niveau de notre stratégie européenne qui est d'approcher les plus grandes entreprises pour les aider à concurrencer Google et Facebook. En France, nous pourrions discuter avec Orange ou TF1 pour leur proposer le même genre deal. C'est aussi celui que nous proposons à un acteur comme LinkedIn. Tout annonceur qui veut activer la donnée de LinkedIn en programmatique doit passer par notre technologie. Cela garantit à LinkedIn que sa donnée est utilisée dans un environnement sécurisé.

AT&T a récemment acquis le réseau câblé Time Warner et est également propriétaire du service de TV par satellite DirectTV. Est-ce une opportunité pour vous attaquer à la TV programmatique ?

Nous avons beaucoup à apprendre du fonctionnement du marché de la pub TV. Nous connaissons très bien l'écosystème de la vidéo digitale mais le marché de la télévision est beaucoup plus compliqué. Les moyens d'accès n'ont rien à voir selon les marchés. Aux Etats-Unis, c'est essentiellement le câble. En France, ce sont les set-top boxes. AT&T va nous permettre d'aller beaucoup plus vite sur ce terrain-là et nous donner l'opportunité de réfléchir aux moyens d'utiliser notre technologie pour faire de la télévision un support programmatique propice au ciblage d'audience.

Vous avez la particularité d'être présent des deux côtés de la chaîne : l'achat avec un DSP et la vente avec votre SSP. On vous prête pourtant l'intention depuis quelques mois de délaisser le premier. Est-ce vrai ?

"La majorité de nos investissements R&D va au buy-side"

Absolument pas, notre chiffre d'affaires est bien équilibré entre ces deux activités. Notre stratégie côté achat est désormais de permettre aux acheteurs d'instiller leur data et d'apporter leurs propres algorithmes via le BYOA, ce qui est techniquement bien plus difficile que de leur proposer un DSP avec un algorithme unique. C'est ce que nous permettons à nos partenaires français comme Tradelab, Scibids ou encore Mille Mercis. De fait, la majorité de nos investissements en R&D est aujourd'hui consacrée à la partie buy-side. La partie sell-side est, elle, beaucoup plus mature et les positions de chaque acteur déjà bien consolidées.

Ce n'est plus vraiment vrai avec l'arrivée du header bidding, qui redistribue les cartes. Vous êtes d'ailleurs l'un des principaux instigateurs du wrapper open source prebid.js…

Vous avez raison, nous gagnons des parts de marché assez rapidement grâce à cette technologie. Les retours des clients sont très positifs.

Un concurrent d'Appnexus nous expliquait s'inquiéter du rapprochement avec AT&T, y voyant la création d'un nouveau walled garden, avec pour conséquence encore moins de transparence pour les annonceurs. Pouvez-vous le rassurer ?

Je ne peux pas parler au nom d'AT&T mais je ne le pense pas. Il faut savoir qu'A&T est un acteur très engagé sur le sujet de la transparence. Le groupe a récemment annoncé soutenir la solution d'Amino Payment, une plateforme qui s'appuie sur la blockchain pour apporter plus de transparence à l'écosystème publicitaire dont je suis actionnaire à titre privé. Cette solution est également intégrée à Appnexus qui ne dérogera pas à sa volonté de proposer une solution transparente et équitable pour tous les membres de la chaîne de valeur.

On parle beaucoup de la blockchain comme un moyen de résoudre la crise de confiance qui affecte un marché pub touché par des problématiques de fraude et d'opacité. Mais la totale transparence qui l'accompagne ne va-t-elle pas poser problème ? Un annonceur accepterait-il que ses concurrents voient les détails des contrats qu'il signe ? De même pour un éditeur ?

Je ne pense pas que ce soit un souci dès lors qu'on peut mettre en place au sein d'une blockchain des mécaniques de permissions qui font que tout le monde ne peut pas tout voir. C'est en tout cas un vrai sujet. Il faut donner les moyens aux acheteurs de voir où va leur argent et beaucoup d'acteurs de l'adtech vont devoir repenser leur business model en ce sens.