Les quatre défis de la personnalisation

Les nouvelles technologies ont repoussé les limites de la personnalisation, traditionnellement cantonnée aux campagnes emails : site web, télévision connectée, radio digitale, panneaux publicitaires urbains, catalogues digitaux ou papier, bannière média, contenu rédactionnel… Il en devient parfois difficile de définir ce concept de personnalisation au moment même où il s’inscrit de plus en plus au cœur des stratégies d’entreprise.

Netflix a dépassé les 100 millions d’abonnés. Le succès phénoménal de la plateforme tient largement aux efforts qu’elle déploie en matière de personnalisation. Par exemple, au-delà de son puissant moteur de recommandation, elle adapte les images présentant les contenus en fonction du profil de chaque utilisateur. Ce cas illustre comment les nouvelles technologies ont repoussé les limites de la personnalisation, traditionnellement cantonnée aux campagnes emails : site web, télévision connectée, radio digitale, panneaux publicitaires urbains, catalogues digitaux ou papier, bannière média, contenu rédactionnel… Il en devient parfois difficile de définir ce concept de personnalisation au moment même où il s’inscrit de plus en plus au cœur des stratégies d’entreprise.

Clarifier cette notion de personnalisation et prendre du recul sur ce qu’elle implique en termes de responsabilités, tant au niveau des entreprises que de la société au global, devient un sujet d’actualité important, notamment avec les craintes et les nombreuses questions associées à la mise en place de la Réglementation sur les Données Personnelles (RGPD).

La personnalisation, une question de confiance

Pour commencer, notons un étrange paradoxe : une stratégie de personnalisation réussie est invisible. En effet, si elle est bien opérée, la personnalisation se révèle transparente pour l’utilisateur. Bien sûr, les stratégies de retargeting et remarketing sont facilement repérables, mais il est beaucoup plus compliqué d’identifier que la première page d’un site web varie entre deux individus, que les résultats d’une recherche sur un même mot clé sont différents entre deux internautes, ou encore que le prix d’un même produit, ou plus fréquemment la promotion plus que le prix, n’est pas la même pour tous. Tout est plus ou moins personnalisable aujourd’hui. Néanmoins, ce qui est faisable techniquement ne l’est pas toujours légalement… Outre le fait que le consentement du client doit être obtenu pour collecter et utiliser ces données, certaines informations n’ont pas le droit d’être utilisées : préférence relative liée à la religion, allergies qui relèvent du secret médical… D’autres doivent être maniées avec prudence, comme les quelques cas largement débattus sur la détection d’une grossesse par une enseigne et l’usage abusif de cette information pour de la personnalisation de contenu et d’offre. Ce premier challenge entre légalité, capacité et pertinence de la personnalisation renvoie donc à un sujet fondamental : la confiance entre la marque et le client. En effet, la qualité d’une stratégie de personnalisation repose avant tout sur les données que chaque individu accepte de partager. Il est donc fondamental d’être pédagogique avec les utilisateurs pour leur expliquer le bénéfice qu’ils en retireront.

La personnalisation, une question d’organisation

Une stratégie de personnalisation doit être cohérente entre les différents canaux pour être pertinente pour le client et efficace pour l’entreprise. Le challenge devient alors organisationnel, ouvrant des questions cruciales de gouvernance. En effet, la personnalisation n’est plus seulement un sujet relatif au seul département CRM ou au département Digital : c’est un chantier transversal qui va impliquer le légal, le média, le service client…. Par exemple, la mesure de performance pour mesurer l’incrémental de telle ou telle action de personnalisation, souvent à base d’AB tests, ou d’un dispositif complet mixant plusieurs canaux nécessite forcément un alignement des différents acteurs sur les KPIs, la méthode et la consolidation des données pour éviter de double compter les impacts. Il est donc absolument fondamental de clarifier quelles équipes prennent le leadership dans la stratégie d’activation et de mesure de la personnalisation.

  La personnalisation, une question de ciblage

Sur le fond, les stratégies de personnalisation se rapprochent de plus en plus des problématiques de ciblage. Comme le résume Air France, ses clients ne lui demandent pas seulement de les faire voyager, mais de les faire voyager « comme ils aiment ». La compagnie aérienne a ainsi développé le concept de « relation attentionnée » : l’idée est de mieux connaître les clients pour mieux les servir. L’objectif consiste à mettre en place une vision à 360° autour du client en mettant en perspective des données qui étaient jusqu’alors traitées en silo dans l’organisation : données relatives au programme de fidélité, historique de réservation, préférences en termes de destination, dernières données de navigation pour déterminer les envies et intérêts du moment…

Au-delà des données personnelles collectées par l’entreprise sur le client, de plus en plus de données exogènes sont intégrées aux stratégies de personnalisation pour accroître leur pertinence contextuelle : météo, heure, géolocalisation… Un exemple classique est celui des promotions envoyées par McDonald’s aux personnes naviguant sur smartphone à proximité d’un restaurant : en plein hiver, à l’heure du déjeuner, le mobinaute recevra potentiellement une offre pour un hamburger roboratif. En plein été et à l’heure du goûter, le coupon portera plutôt sur un Sundae.

Au-delà de ces tactiques assez visibles, les stratégies croisant les signaux entre acteurs sont bien plus complexes à déceler : les informations clés de type déménagement, changement de poste, naissance, anniversaire, intention d’achat de voiture ou d’électroménager sont des informations captées ou reconstruites par tout une chaine d’acteurs, certains d’entre eux partageant cette information (souvent sous forme d’échange de données ou via monétisation) pour enrichir et optimiser les stratégies de ciblage et personnalisation digitale sur les canaux média et CRM notamment. Les données utilisées pour déployer une personnalisation contextualisée circulent alors entre sites éditoriaux, e-marchand, banques, assurances, opérateurs téléphoniques, opérateurs de gaz ou d’électricité, fabricants d’électroménager…

La personnalisation, un enjeu éthique

Si la personnalisation s’impose comme un axe stratégique de développement pour développer et fidéliser le portefeuille client, il est important de prendre de la hauteur sur ce sujet pour dépasser une vision réduite aux seuls impacts business. En effet, à force de vouloir toujours proposer à chacun ce qui est le plus susceptible de lui plaire, les entreprises risquent d’enfermer leurs clients dans des « bulles de filtres ». Ce concept, théorisé par Eli Pariser, met en avant le fait que les algorithmes tendent à nuire à la découverte en confrontant les individus uniquement à des éléments correspondant à ce qu’ils aiment : idées, produits, influenceurs... Par exemple, sur les réseaux sociaux, les articles apparaissant sur un fil d’actualité sont sélectionnés en fonction du profil de l’internaute. Cela conduit à une forme d’isolement, au sens où chacun serait moins exposé à des points de vue différents du sien ou à des innovations. Le « tout data » ne doit pas être envisagé comme une fin en soi : il faut donc à la fois maîtriser sa data et ne pas tout confier aux algorithmes, aussi puissants soient-ils, pour prévoir des espaces de découverte où la personnalisation n’est pas activée, et où les nouveautés, l’actualité du plan commercial permettent aux clients de découvrir de nouveaux univers.

La personnalisation suscite les convoitises de toutes les entreprises parce qu’elle présente un potentiel colossal. La digitalisation des points de contacts, la profusion de données disponibles, la puissance des algorithmes de data science ouvrent de nouveaux horizons business prometteurs. Néanmoins, il ne faut pas céder à la précipitation. Le succès de ces stratégies implique de prendre du temps pour appréhender chacun des enjeux évoqués. Définir une feuille de route avec des étapes & une gouvernance claire, définir un objectif qui soit aussi tangible pour le client, garantir le respect des contraintes légales ou encore la cohérence multicanal constituent des défis de taille. Les entreprises portent une responsabilité qu’elles ne doivent pas négliger par ailleurs : elles ont un rôle citoyen à jouer pour s’assurer que l’éthique ne soit pas sacrifiée sur l’autel des progrès technologiques et des performances business.