Pour se démarquer, les SSP partent à la conquête des acheteurs

Pour se démarquer, les SSP partent à la conquête des acheteurs La démocratisation du header bidding incite les principaux SSP à se tourner vers les trading desks, voire les annonceurs, pour continuer à se différencier des concurrents.

Cette année, dans les allées de Dmexco, un ballet d'un nouveau genre s'est orchestré: des annonceurs ont profité du grand rassemblement annuel de la publicité digitale pour prendre rendez-vous avec les principaux SSP du marché. Un virage stratégique pour ces fournisseurs d'inventaire programmatique qui, historiquement, discutent, côté achat, avec les DSP, lesquels vont ensuite voir l'agence média qui représente l'annonceur.

"Les SSP proposent le même inventaire. Ce changement de cap est indispensable pour devenir autre chose que des passe-plats technologiques"

Si les SSP changent aujourd'hui d'interlocuteurs, c'est d'abord parce que le header bidding, en cassant les exclusivités négociées jusque-là avec les éditeurs, les contraint à se réinventer. Leur enjeu n'est plus de verrouiller l'inventaire d'un éditeur – ce dernier travaille désormais avec une dizaine de partenaires – mais de diversifier la demande qu'ils lui apportent. Cela leur permet d'optimiser leur part de gain dans les enchères auxquelles ils participent. "Tous les SSP proposent le même inventaire. Ce changement de cap est indispensable pour devenir autre chose que des passe-plats technologiques", estime un expert du marché. "La plupart des SSP ont fait le job côté supply, c'est du côté de la demande que se joue aujourd'hui la compétition", résume le patron de Smart, Arnaud Créput. Fort de ce constat, le dirigeant de la plateforme technologique française a mis sur pied une équipe d'une dizaine de commerciaux qui, depuis un an et demi, échangent directement avec les acheteurs pour comprendre leurs besoins et mettre sur pied des offres en conséquences.

"Quand vous vendez un inventaire que tout le monde propose, c'est celui qui l'enrichit le mieux qui gagne", rappelle Arnaud Créput. L'un des nouveaux chevaux de bataille de Smart, c'est Deal+, une place de marché de deals programmatiques multi-publishers, qui permet aux trading desks d'acheter des packages d'inventaires enrichis, s'ils le désirent, avec de la data tierce en provenance de partenaires comme Nielsen ou Zeotap, ou en fonction des seuils de visibilité. "Le chiffre d'affaires réalisé via cette offre a été multiplié par 4 en un an", chiffre Arnaud Créput. Aujourd'hui, près de 20% des deals vendus par Smart transitent par cette offre. "On fait aussi des offres spéciales dans le cadre d'événements comme le Black Friday ou la fête des mères, en regroupant sous un même Deal ID, des milliers d'URL en provenance de différents médias partenaires." Des offres clés en main qui séduisent les acheteurs. "La plupart des trading desks opèrent en flux tendus. Si les apporteurs d'inventaires peuvent nous simplifier le job, c'est avec plaisir", reconnait Raphaël Ambit, directeur produits et partenariats chez Tradelab.

Soucieux de renforcer sa présence côté demande, Smart prévoit de doubler le nombre de commerciaux consacrés à cette activité d'ici l'année prochaine. La plateforme française est loin d'être un cas isolé. Un SSP historique comme Xandr, anciennement Appnexus, est également concerné par cette frénésie de recrutements. "Il y a une dizaine de postes ouverts pour parer à la demande", révèle un connaisseur du marché. Le patron de Pubstack, Loïc Sfiligoi, observe de son côté qu'un "acteur comme Sublime, qui vend des habillages et de la vidéo en programmatique, s'active, lui aussi, à tisser des liens spécifiques avec les trading desks." Notre spécialiste du programmatique fait le même constat pour TripleLift, acteur américain spécialisé dans les native ads, dont la part de marché a fortement crû au cours du dernier exercice. "Ici encore, parce que la plateforme a mis les bouchées doubles du côté de la force commerciale consacrée aux acheteurs."

"Tous les acheteurs rêvent de supprimer les intermédiaires pour diminuer l'adtech tax"

Pour séduire les acheteurs, les plateformes sont amenées à miser sur les hommes… et la techno. C'est le cas de Teads ou Rubicon qui proposent aux trading desks de passer par le bidder maison pour acheter mieux et moins cher. "L'avantage d'une telle offre est d'abord financier, décrypte notre connaisseur anonyme. Cela permet à l'acheteur d'éviter les 20 à 30% de commission que prenait le DSP." A l'heure où les annonceurs s'émeuvent de ce que, quand ils paient 100, seuls 20 reviennent à l'éditeur, le reste allant dans la poche d'intermédiaires, l'argument fait mouche. "Tous les acheteurs rêvent de diminuer cette adtech tax", constate notre expert. Cet accès direct a un autre avantage : il n'y a pas de déperdition en matière de cookie matching, la technologie qui achète et celle qui vend appartenant au même univers. "Alors que le taux de matching entre DSP et SSP est parfois limité à 80%, c'est un vrai avantage pour les acheteurs qui veulent être le plus exhaustifs possible", pointe notre expert. Un danger toutefois : "Comme pour tout walled garden se pose la question du conflit d'intérêt".

Si aux Etats-Unis les annonceurs qui parlent en direct aux technologies sont de plus en plus nombreux, en France, cela reste rare. "On parle surtout aux agences médias et trading desks aujourd'hui", admet Arnaud Créput. Teads est un des rares à avoir un accès direct aux responsables de l'achat média et CMO des top annonceurs. La plateforme technologique a officialisé récemment un accord avec Renault pour aider le fabricant automobile à développer des publicités impactantes grâce à la data et l'IA. "Le SSP n'est qu'une brique parmi d'autres chez Teads", explique son directeur général pour la France. La plateforme revendique organiser chaque année une cinquantaine d'ateliers Teads Studio auprès des équipes médias des annonceurs. "On sent que même les CMO, parfois présents à ces ateliers, sont concernés", poursuit Geoffrey La Rocca. "Ceux qui dépensent plusieurs millions d'euros par an chez nous disposent de conditions préférentielles, comme un accès privilégié à notre studio créatif et à nos équipes insights."

"Les annonceurs ont enfin la maturité nécessaire pour comprendre une chaîne de valeur qui leur était jusque-là assez ésotérique"

Le cas Teads devrait, à l'avenir, en inspirer d'autres. Notamment parce que les marques sont devenues plus exigeantes envers leurs partenaires, à mesure qu'elles montent en compétence sur le sujet du programmatique. "Les annonceurs ont enfin la maturité nécessaire pour comprendre une chaîne de valeur qui leur était jusque-là assez ésotérique", estime le patron Europe du Sud de Xandr, Paul-Antoine Strullu. "Ils sont de plus en plus nombreux à prendre un siège directement au sein d'un DSP et à avoir la main sur les contrats technos", note de son côté Julien Gardès, expert en adtech. Une reprise de contrôle qui s'accompagne d'une volonté de détricoter un écosystème qui s'est complexifié avec le header bidding, pour gagner en transparence et traçabilité. C'est tout le sens du projet Trust ID initié par Edipub. Cet identifiant unique, testé par un annonceur comme La Poste, doit permettre aux acheteurs de tracer où et comment leurs campagnes sont diffusées. Smart, premier SSP partenaire du projet avec Xandr, veut surfer sur cette volonté de transparence. "Les annonceurs veulent accéder aux données log-level des SSP pour savoir ce qu'ils ont acheté dans le détail", remarque Arnaud Créput. Smart revendique être un des rares partenaires à jouer le jeu… et espère que cela fera la différence lorsque les annonceurs feront le tri.