Avec l'Apple ID, Apple va-t-il tuer les alliances entre éditeurs ?
En avril, Apple imposera aux éditeurs d'applications un login qui permet à l'utilisateur de masquer son email. Une vraie tuile pour un marché pub qui a déjà perdu le cookie tiers comme outil de tracking.
C'est l'une des pistes les plus prometteuses en matière de tracking cross-site pour succéder au cookie tiers, dont Google a annoncé la disparition d'ici deux ans dans Chrome. La méthode du tracking par login permet aux acteurs du ciblage pub de suivre les internautes au gré de leur navigation, sur les sites Web comme les applications. C'est ce que font déjà Google, Facebook et les autres walled gardens au sein de leur galaxie de services. Et c'est ce que le reste du marché, médias en tête, essaie également de mettre en place. On a ainsi vu fleurir des alliances comme Verimi en Allemagne et Nonio au Portugal, où des éditeurs créent un identifiant partagé et mettent en commun les données collectées par ce biais. En France, un projet chapeauté par le Geste (éditeurs) a également abouti à la création d'un login commun, le PassMedia. Mais l'initiative ne prévoit pas de mutualisation de la donnée. "Ça pourra venir dans un second temps", nous a expliqué au moment du lancement le vice-président du Geste, Emmanuel Alix.
L'utilisateur sera identifié xxxx@privaterelay.appleid.com chez un éditeur A et yyyy@privaterelay.appleid.com chez un éditeur B
Au cœur de toutes ces initiatives, on retrouve l'email. C'est ce dénominateur commun qui permet à un éditeur A et à un éditeur B de mutualiser les données déclaratives ou comportementales qu'ils ont récoltées chacun de leur côté sur l'internaute logué. "L'email est, dans un monde post-cookie tiers, la clé de réconciliation les plus prometteuse car il s'agit d'une donnée déterministe cross-device", rappelle un expert de l'adtech. Les choses pourraient toutefois vite changer. Car les initiatives mentionnées plus haut vont très prochainement se heurter à un écueil de taille : Apple. On savait que la firme à la pomme avait une dent contre les cookies en tant que moyen d'identification. Elle a, bien avant Google, considérablement réduit leur efficacité par l'entremise de son programme ITP. Elle semble aujourd'hui tout aussi vindicative vis-à-vis de l'email.
Apple, qui a lancé son propre login, l'Apple ID, en même temps qu'IOS 13, propose en effet aux internautes qui se connectent par ce biais de masquer leur email auprès de l'éditeur, via son service Private email relay. L'utilisateur reçoit à la place un email généré aléatoirement. Toute communication envoyée à l'internaute transite donc par la boîte associée à l'email factice, qui redirige l'information vers la véritable boîte de l'internaute. Cela ne change rien d'un point de vue du CRM, l'internaute reçoit toutes les communications et l'éditeur peut continuer à tracker sa navigation au sein du site, pour lui proposer des contenus personnalisés, par exemple. Cela change tout, en revanche, lorsqu'il s'agit d'exploiter ces informations hors du site comme le font les régies qui veulent mutualiser leurs données loguées. Impossible, en effet, pour deux régies différentes de réconcilier les adresses email générées via l'Apple ID. Prenons l'exemple d'un internaute dont l'email est arthur.dupont@gmail.com. Il sera identifié comme xxxx@privaterelay.appleid.com chez un éditeur A et yyyy@privaterelay.appleid.com chez un éditeur B. Le matching d'email devient, dans ces circonstances, irréalisable. Une mauvaise nouvelle également pour tous ces éditeurs d'applications (comparateurs, gaming, e-commerce) qui commercialisent leur donnée loguée auprès de spécialistes de la data comme Liveramp ou Temelio.
C'est d'autant plus problématique que l'Apple ID est amené à prendre une place importante dans l'univers du login. Apple va en effet imposer aux éditeurs d'applications qui intègrent des social login, type Facebook ou Google Connect, de proposer également l'Apple ID. Et ils sont nombreux. Médias, mais aussi e-commerçants, spécialistes du gaming, fournisseurs de service... ont jusqu'à avril 2020 pour s'y conformer. Passé ce délai, leurs mises à jour d'application seront systématiquement refusées. Les éditeurs d'application qui réalisent des audiences significatives auprès des détenteurs d'iPhone devront donc choisir entre la peste et le choléra. Soit ils acceptent d'intégrer l'Apple ID en plus de leur social login existants et donc de donner l'opportunité aux utilisateurs de masquer leur email. Soit ils décident de supprimer tous leur social login, pour ne proposer qu'un moyen d'identification maison. Mais cela implique de se passer d'un Facebook Connect qui permet une connexion sans friction. Ce dernier représente jusqu'à 50% de l'audience loguée de certains médias. Surtout, il faudra avant toute suppression de ce moyen de connexion avoir su convaincre les membres concernés de se créer de nouveaux identifiants… au risque, quasi certain, d'en perdre en chemin. Sans parler des coûts associés à un tel chantier CRM.
"50% de nos nouveaux logués utilisent l'Apple ID. Et 70% d'entre eux masquent leur véritable email"
Ils seront nombreux dans le top 20 des groupes médias à faire face à ce dilemme. L'un d'entre eux a pris les devants et propose l'option Apple ID à ses utilisateurs depuis décembre. Les premiers résultats qu'il a obtenus sont alarmants. "70% de ceux qui se connectent via l'Apple ID masquent leur véritable email", révèle-t-il. Il faut dire qu'Apple semble tout faire pour orienter leur choix en ce sens. Alors que durant les phases de test du login, il était question de cocher par défaut la case "communiquer le vrai email", aucune des deux cases n'est finalement cochée. "C'est donc aussi facile de donner son email que de le masquer", regrette notre éditeur.
C'est une nouvelle épine dans le pied des éditeurs. Et une épine de taille. Car les utilisateurs d'iOS sont nombreux à recourir à cet Apple ID, selon notre éditeur. "50% de nos nouveaux logués l'utilisent", révèle-t-il. L'engouement est tel que l'identifiant pourrait, selon ses calculs, rapidement détrôner le Facebook Connect. "Si ça se confirme, le tracking cross-site via l'email est une technologie mort-né", conclut notre expert adtech. Les alliances éditeurs avec ?