Tracking pub : après les cookies tiers, Apple va-t-il s'attaquer aux ID mobile ?

Tracking pub : après les cookies tiers, Apple va-t-il s'attaquer aux ID mobile ? La firme à la pomme réfléchirait à supprimer l'IDFA, cet identifiant qui permet au marché de diffuser des publicités ciblées in-app et de mesurer leur efficacité. Une vraie menace pour les outils d'attribution type Adjust, Appsflyer ou Kochava.

Tremblement de terre à prévoir dans le monde de la publicité mobile ? C'est du moins ce que laisse présager une intervention de Dave Wehner à l'occasion de la présentation des résultats annuels de Facebook, mi-janvier. Le CFO de la plateforme sociale a prévenu que les deux OS mobile du marché, IOS et Android, étaient "susceptibles de procéder à des changements portant préjudice à la pratique de la publicité ciblée". Suffisant pour mettre toute une industrie en état d'alerte, qui spécule désormais sur la disparition prochaine des ID mobile (l'IDFA pour IOS, l'Android ID pour Android), ces deux identifiants qui permettent au marché de faire de la pub ciblée in-app.

"La prochaine restriction d'Apple concernera le device ID mobile"

Concernant la disparition de l'ID d'iOS, il ne s'agit plus de se demander "si" mais "quand", assure le généralement bien informé Adexchanger. Et d'argumenter qu'Apple peut difficilement justifier l'existence de cet outil alors qu'il a fait la chasse aux cookies et aux autres trackers sur Web mobile. "On est effectivement sur du deux poids, deux mesures, observe le consultant Radko Vidakovic. Apple autorise un tracking bien plus invasif au sein des devices IOS que ce qu'il refuse désormais sur le Web." L'expert estime également qu'au vu du positionnement marketing d'Apple autour de la privacy, "il est inévitable que la prochaine restriction d'Apple concerne le device ID mobile." Apple n'avait, après tout, pas hésité à faire de même avec le prédécesseur de l'IDFA : l'UDID. Ce dernier avait été supprimé en 2011 afin de répondre (déjà) aux inquiétudes liées au respect de la vie privée. "En créant son propre système d'ID, Apple avait, à l'époque, voulu redonner la main aux utilisateurs", se souvient le patron Europe de Madvertise Paul Amsellem.

Ce dernier ne croit pour autant pas que l'histoire se répètera. "L'IDFA est une solution qui a fait ses preuves et les enjeux sont, cette fois, beaucoup plus importants pour Apple." Paul Amsellem ne voit pas, non plus, dans la politique anti-tracking d'Apple sur Safari, un quelconque avertissement pour l'écosystème in-app. La firme à la pomme, peu présente sur le Web, n'avait en effet aucun intérêt économique associé au cookie. C'est beaucoup moins vrai en ce qui concerne l'IDFA. Tout l'écosystème applicatif y est adossé. L'IDFA permet notamment aux éditeurs d'applications de monitorer leurs activations médias et actions CRM. Autant d'actions qui contribuent à augmenter leur nombre de téléchargements et, in fine, les revenus obtenus via des paiements in-app. Cette dernière activité est particulièrement lucrative pour Apple, qui touche 30% de toutes les transactions qui transitent via IOS. "Plus les éditeurs génèrent de l'argent, mieux se porte Apple", résume Vadim Wichmann, rapporteur de la commission publicité mobile au sein de la Mobile Marketing Association France. Et la disparition de l'IDFA porterait forcément préjudice à ce partenariat gagnant – gagnant.

"Apple peut aussi garder l'IDFA tout en lui adjoignant un mode tracking pub limité, instauré par défaut au sein des devices IOS"

Faute de supprimer l'IDFA, Apple pourrait toutefois décider d'en réduire (à nouveau) la portée. "On peut très bien imaginer Apple garder l'IDFA tout en lui adjoignant un mode tracking pub limité, instauré par défaut au sein des devices IOS", imagine Ratko Vidakovic. Les ingénieurs d'Apple sont, il est vrai, friands des concepts de privacy by design. Il l'avait d'ailleurs imposé aux acteurs du tracking de géolocalisation à l'occasion d'une mise à jour d'IOS 11. "Apple n'a pas hésité à considérablement limiter la marge de manœuvre de cette pratique alors même qu'elle nourrissait beaucoup d'activations médias", rappelle Vadim Wichmann. D'autres rumeurs lui prêtent l'intention de mettre sur pied un ID par vendeur, IDFV, qui empêcherait le tracking des utilisateurs entre plusieurs applications. "Ça contraindrait les adtech à faire du matching d'ID mais ça ne résoudrait pas le problème de fond qui est celui de la privacy", tempère Ratko Vidakovic. Apple n'est pas connu pour prendre des demi-mesures.

Reste une dernière piste, interne celle-ci, pour permettre à l'écosystème de fonctionner même sans IDFA. Apple a dévoilé, en mai 2018, une API baptisée SKAdNetwork. Ce framework permet aux éditeurs d'applications de réaliser eux-mêmes les calculs d'attribution publicitaire. Une version, avant l'heure et pour iOS du projet Privacy Sandbox de Google. Un moyen de cibler et mesurer la performance des campagnes en agrégeant les données des utilisateurs de façon à rendre toute identification one-to-one impossible. "Le marché n'a pas mordu car des solutions d'attribution comme Appsflyer ou Adjust, bien que payantes, sont plus complètes", analyse Paul Amsellem. Ce serait toutefois un autre son de cloche si l'IDFA était amené à disparaître. Les mesureurs, qui n'ont pas répondu aux questions du JDN, se retrouveraient dans le noir.

"C'est toujours mieux d'avoir une intelligence partielle comme SKAdNetwork que pas d'intelligence du tout"

"Appsflyer, Adjust ou Kochava ne seraient plus capables d'opérer car plus en capacité d'identifier les individus", confirme Vadim Wichmann. "Et si les solutions d'attribution ne sont plus capables de proposer le même niveau de service, les annonceurs se contenteront sans doute de ce qui est à leur disposition", prédit Radko Vidakovic. A savoir le SKAdNetwork. "C'est toujours mieux d'avoir une intelligence partielle que pas d'intelligence du tout.". Les annonceurs perdraient certes en granularité mais ils auraient l'assurance que la donnée est juste, exempte de toute fraude, car elle provient directement de leur ad-network via une API d'Apple. Ils n'auraient, également, plus à payer un middleman dont les frais peuvent monter jusqu'à 100 000 dollars par mois. Ce serait donc la fin du marché de l'attribution et un vrai coup de semonce pour ces acteurs qui ont levé des centaines de millions de dollars au cours de ces dernières années. "Je pense qu'Apple n'aurait aucun problème à tuer ce marché comme il l'a fait avec celui de la promotion d'application", estime Vadim Wichmann. L'épisode Appgratis est là pour le rappeler.