Apple complique sérieusement le tracking in-app, le marché pub s'inquiète
Les éditeurs d'applications devront récolter le consentement des utilisateurs pour accéder à l'identifiant publicitaire qui leur est associé. Un coup dur pour le marché de la pub ciblée et de l'attribution.
Le marché de la publicité oscille entre craintes et soulagement au sortir de la conférence de présentation d'IOS 14 par Apple. Du soulagement parce que, contrairement aux rumeurs de ces dernières semaines, Apple a finalement décidé de garder l'IDFA, l'identifiant publicitaire qui permet au marché de diffuser des publicités ciblées in-app. De la crainte parce qu'Apple a néanmoins décidé de réduire sensiblement la marge de manœuvre des éditeurs d'applications sur le sujet. Avec l'arrivée d'IOS 14, prévue pour fin septembre 2020, les applications mobiles devront demander à chaque utilisateur la permission de pouvoir le traquer au sein d'autres applications. Cette obligation se traduit par la mise en place d'une pop-up qui apparaîtra après le téléchargement de l'application pour demander à l'utilisateur son consentement au tracking. S'il répond par la négative, l'application ne pourra pas accéder à l'identifiant publicitaire associé à cet utilisateur, l'IDFA.
Nombreux sont les acteurs concernés par cette annonce. D'abord les médias dont les publicités s'appuient sur des données collectées au sein d'autres applications. Ceux qui n'ont pas d'audience loguée passent par l'IDFA pour recourir à cette pratique bien plus rémunératrice que l'affichage de publicité non ciblée. Mais aussi les médias qui récoltent de la donnée de localisation ou emails pour la commercialiser via un data broker. Ils sont, là aussi, nombreux à le faire via des partenaires comme Teemo, Vectaury, Singlespot ou encore Adsquare, pour ne citer que les plus connus. Les éditeurs d'applications qui partagent une liste d'emails ou d'advertising ID à des réseaux tiers, comme les retargeters, devront eux aussi se soumettre à cette nouvelle obligation. Tout comme ceux qui ont implémenté le SDK d'un partenaire mesureur qui utilise de la data en provenance d'autres développeurs d'applications. Cela signifie qu'un éditeur qui intègre le SDK d'un spécialiste de la mesure d'attribution comme Adjust ou Appsflyer ne pourra plus traquer que le parcours des utilisateurs qui y ont consenti. Problématique pour des industries comme la gaming, l'e-commerce ou les services qui investissent énormément dans la promotion d'applications et deviendront aveugles sur une bonne partie de leur audience.
Des taux d'acceptation au tracking qui risquent de tomber autour des 50%
L'annonce d'Apple aura un impact direct sur le reach des acteurs du tracking et du ciblage pub. On peut la mettre en perspective avec la décision prise par la Cnil, il y a près de deux ans, d'imposer aux acteurs de la géolocalisation de récolter le consentement de l'utilisateur avant d'exploiter leurs données. Les taux d'acceptation étaient tombés autour des 50 à 60%, contre 95% auparavant. "Difficile d'imaginer qu'il en soit autrement ici, la pop-up imaginée par Apple étant plutôt anxiogène", estime un connaisseur. Comme il l'a fait pour l'univers Web avec son programme Intelligent Tracking Prevention, Apple explique vouloir redonner à l'utilisateur le contrôle sur le tracking qui s'effectue à ses dépens. "Cette année nous voulons vous aider avec le tracking au sein des applications", a annoncé Katie Skinner, user privacy software manager chez Apple, au cours de la keynote.
La firme à la pomme va toutefois moins loin que sur le Web où elle a tout bonnement supprimé les cookies tiers, entraînant une dégringolade des revenus publicitaires réalisés par les médias via l'inventaire iOS. Les utilisateurs qui le souhaitent peuvent en effet continuer à être traqués in-app. "C'est un moindre mal, estime un patron d'adtech. Et ça s'explique sans doute par le fait qu'Apple, qui prélève 30% sur les transactions in-app, a tout intérêt à ce que cette économie perdure." Apple en profite d'ailleurs pour rappeler aux éditeurs d'application qu'ils peuvent toujours faire appel à sa propre solution d'attribution, le SKAdNetwork, pour vérifier combien d'installations chacune de leurs publicités ont généré, tout en respectant la vie privée des utilisateurs. On n'est pas loin de la pratique anti-concurrentielle, selon notre patron anonyme. "Apple réduit la marge de manœuvre des acteurs du secteur, comme Appsflyer et Adjust, et pousse pour sa propre solution. Une solution qui n'est même pas aussi efficace car elle ne prend pas en compte les événements in-app."
"Apple se comporte une fois de plus comme un Etat qui impose ses propres règles, sans considération aucune pour les cadres législatifs existants"
Sans surprise, le marché français est plutôt dubitatif. "Ça va être compliqué pour les acteurs qui font de la promotion d'applications d'être efficaces si les taux d'opt-in à la publicité chutent", s'inquiète un acteur. Le vice-président de la Mobile Marketing Association France, Nicolas Rieul, regrette de son côté "qu'Apple se comporte une fois de plus comme un Etat qui impose ses propres règles, sans considération aucune pour les cadres législatifs existants." Et de remarquer que "la pop-up n'est même pas en règle avec le RGPD car il n'y a pas assez d'informations". Les éditeurs devront donc récolter le consentement au tracking par deux fois, puisque le RGPD leur impose de le faire via une CMP. Un double mécanisme qui pourrait conduire à ce que le marché appelle la fatigue au consentement. "C'est loin d'être optimal d'un point de vue de l'expérience utilisateur", craint Nicolas Rieul.
Les acteurs de la publicité auront toujours la possibilité d'utiliser d'autres outils, non liés à Apple, pour traquer et cibler les utilisateurs, même s'ils ne donnent pas leur autorisation. Raison pour laquelle Apple a d'ailleurs opté pour la formule "Demander à ne pas être traqué par l'application", conscient que même si l'utilisateur s'y oppose, l'application a des alternatives. La capacité de ciblage de Facebook, dont le Facebook Connect lui permet de tracker une bonne partie de l'univers in-app, ne devrait pas être affectée. Ce dernier s'appuie en effet sur l'email des utilisateurs pour se constituer son propre ID Graph. Même chose chez Google. La pépite française de l'adtech, Criteo, sera, elle, plus durement touchée. Elle a fait de l'IDFA une des chevilles ouvrières de son Criteo Graph. Les médias français devraient être, quant à eux, encore plus enclins à inciter leurs utilisateurs à se connecter pour utiliser leur email comme clé de ciblage et de tracking. En espérant toutefois que ces derniers ne passent pas par l'Apple ID. Ce moyen de connexion imposé depuis mai aux éditeurs qui font du social connect permet en effet à l'utilisateur de masquer son email…