Unified ID 2.0, un projet d'identification qui fédère (enfin) l'adtech, mais…
L'initiative lancée cet été par The Trade Desk a multiplié les partenariats ces dernières semaines. De là à en faire le remède à la disparition des cookies tiers ? Pas sûr…
Liveramp, Criteo, Nielsen, Index Exchange, Magnite et enfin Pubmatic… La liste des participants au projet d'ID unifié, Unified ID 2.0, s'est considérablement allongée depuis la rentrée de septembre. Pas vraiment une surprise lorsque l'on sait que ce chantier open source initié par le géant américain de l'achat programmatique, The Trade Desk, ambitionne de proposer une alternative crédible aux cookies 3d party, dont Chrome a annoncé la disparition à l'horizon 2022. Il s'agit, pour permettre aux annonceurs de continuer à diffuser des publicités ciblées, de s'appuyer sur les emails que les visiteurs des sites Internet acceptent de communiquer. Des emails qui, une fois encryptés, servent de donnée commune aux adtech pour analyser le comportement de navigation des utilisateurs entre plusieurs sites. Un système d'identification qui, contrairement aux cookies, a l'avantage d'être fonctionnel dans d'autres environnements que le Web. Au sein de l'in-app mobile et de la TV connectée en particulier.
Le projet s'articule autour de trois piliers : un login commun de type single sign-on (SSO), un portail pour gérer la relation avec l'utilisateur (et donc la récolte de son opt-in) et un identifiant qui circule dans l'écosystème. Chacun des nouveaux participants apportera un peu de son savoir-faire ou de ses ressources pour aider à la mise en place de ces trois piliers. Des millions d'ID stockés dans leur propre base de données pour Liveramp et Index Exchange (qui viendront s'ajouter à ceux de The Trade Desk), des ressources en R&D en ce qui concerne Criteo, une expertise dans la mesure côté Nielsen et une relation de confiance avec les éditeurs de la part des SSP, Magnite et Pubmatic. Sur le papier, de quoi faire de Unified ID 2.0 un système d'identification des internautes des plus solides. Et la preuve que ces acteurs, qui pour certains sont des concurrents, ont su mettre leurs divergences de côté pour faire front commun. Le cas de Liveramp, dont la technologie est utilisée par une majorité d'annonceurs, est un bon exemple. Plutôt que de jouer les cavaliers seuls, le champion du CRM onboarding a décidé de s'ouvrir aux autres.
"Le marché ne pourra pas se contenter d'un seul ID pour des raisons de reach"
"On a conscience que le marché ne pourra pas se contenter d'un seul ID pour des raisons de reach, justifie le managing Europe de Liveramp, Vihan Sharma. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de permettre à The Trade Desk d'utiliser notre infrastructure pour véhiculer son identifiant." Dès mi-décembre, les éditeurs utilisant la plateforme de trafic authentifié ATS de Liveramp pourront proposer aux acheteurs de matcher leurs segments d'audiences sur la base de deux identifiants : celui de LiveRamp et Unified ID 2.0. Les acheteurs de The Trade Desk pourront, eux, enchérir lorsqu'une ID Liveramp leur est remontée. La collaboration entre les deux initiatives permettra en effet de déterminer qu'un adresse email correspondant à l'ID X chez Liveramp est associée à l'ID Y côté Unified ID 2.0. ATS est encore en phase de lancement en France mais la plateforme a déjà séduit 250 éditeurs partenaires aux Etats-Unis, ce qui représente un milliard d'impressions par jour. Un même système de matching devrait être prochainement mis en place avec l'ID de l'ad-exchange canadien Index Exchange.
"Mediamath ou Xandr n'auraient jamais accepté de poser leurs fondations sur l'ID d'un concurrent, en sachant que ce dernier pourrait décider de débrancher du jour au lendemain."
Car pour que le projet Unified ID 2.0 soit efficace, il doit être rejoint par le plus grand nombre. C'est aussi le constat fait par The Trade Desk lorsqu'il a décidé, cet été, de partir de l'architecture de son propre identifiant, Unified ID, pour proposer une itération 2.0, cette fois open source. Plutôt que d'évangéliser le marché à son propre ID, comme il le faisait jusque-là, le DSP américain propose désormais de créer des passerelles entre son ID et les autres. Un choix qui n'en était pas vraiment un, à en croire un expert du marché. "Des adtech comme Mediamath ou Xandr n'auraient jamais accepté de poser les fondations de leur business model sur l'ID d'un concurrent, en sachant que ce dernier pourrait décider de débrancher du jour au lendemain." Ces deux acteurs importants de l'achat média ne sont pas encore positionnés concernant Unified ID 2.0 mais la traction de ces dernières semaines pourrait les inciter à franchir le pas. Ils l'avaient après tout bien fait pour l'Advertising ID Consortium, un projet qu'ils avaient initié en mai 2017 avec Liveramp, pour réfléchir à un moyen de standardiser les cookies utilisés par le marché. Mediamath était parti quelques mois après le lancement pour des raisons de divergence stratégique alors que la présence de Xandr, à l'époque nommé Appnexus, n'avait pas survécu à son acquisition par le géant AT&T.
"C'est tout le problème de ces adtech dont l'identification n'est pas le cœur de métier. Les priorités d'un jour ne sont pas celle du lendemain", prévient notre expert. Partager la gouvernance d'un tel projet, c'est donc, côté The Trade Desk, également donner les gages de sa pérennité. "La ribambelle de partenariats récemment annoncés est une vraie bonne nouvelle pour The Trade Desk qui peut désormais légitimement dire qu'il n'est pas seul aux manettes", observe notre expert. La structure Unified ID 2.0 a d'ailleurs été développée dans le cadre du projet Rearc de l'IAB Tech Lab qui espère en faire une alternative à Privacy Sandbox.
"L'attention du marché se focalise sur les solutions d'identification via l'email mais c'est vite oublier que tous les sites ne seront pas capables d'en récolter suffisamment"
"La finalité est la bonne car on ne pourra pas se contenter des logiques de ciblage par cohorte de la solution proposée par Google, reconnait notre expert. Mais j'ai quelques doutes sur l'angle d'attaque…" Le projet Unified ID 2.0 ne s'intéresse en effet qu'au trafic logué qui devrait, selon les prévisions les plus optimistes, rarement dépasser les 20 à 25% de l'inventaire des éditeurs financés par la publicité. "L'attention du marché se focalise sur les solutions d'identification via l'email mais c'est vite oublier que tous les sites ne seront pas capables d'en récolter suffisamment", confirme Mathieu Roche. Le fondateur d'ID5, spécialiste de l'identification, est le partisan d'une approche mixte mêlant déterministe et probabiliste, qui permettrait aux éditeurs d'identifier l'intégralité de leur trafic en s'appuyant sur divers signaux. "Ça marche bien et c'est compatible avec le RGPD dès lors qu'on a récolté le consentement de l'utilisateur."
Quel succès pour un Google Connect bis ?
C'est l'une des rares certitudes dans un marché qui navigue à vue, le succès des solutions d'identification passera par leur capacité à offrir du reach aux acheteurs. Pas sûr que le projet Unified ID 2.0 en soit capable en se cantonnant au trafic logué. A moins de convaincre les éditeurs d'installer sa solution de SSO et de les aider à faire sauter le plafond de verre des 25%. C'est peu probable, selon notre expert. "Qu'est ce qui va inciter les éditeurs à intégrer le mode d'authentification proposé par The Trade Desk ? Ils l'ont déjà fait pour Google et Facebook, avec les conséquences de data leakage que l'on connait." La crainte peut être grande, chez certains, de faire entrer un nouveau loup dans la bergerie. The Trade Desk est un gros acheteur, particulièrement aux Etats-Unis. Le DSP américain a, pour lever les réserves des éditeurs, annoncé que Unified ID 2.0 serait administré par une organisation indépendante dont on sait pour l'instant peu de choses. Un flou qui résume bien la situation. "Unified ID 2.0, c'est pour l'instant plus une vision qu'autre chose", constate notre expert. The Trade Desk espère toutefois pouvoir capitaliser sur une adoption large dès début 2021.