SSP, bientôt le grand ménage chez les éditeurs français
Le header bidding a permis aux médias français d'intégrer et tester de nombreux partenaires à moindre frais. Mais le temps de la rationalisation est arrivé.
A quoi bon garder des partenaires dont les niveaux de revenus sont devenus marginaux ? "Les éditeurs sont de plus en plus nombreux à se poser la question", constate Sylvain Travers, fondateur de Hubvisor, société qui accompagne une trentaine de régies médias dans l'optimisation de leurs revenus programmatiques. Une cure d'assainissement qui serait, à en croire l'expert, le prolongement naturel d'une période qui a vu les éditeurs multiplier les intégrations de nouveaux partenaires et faire jouer l'émulation, en même temps que le header bidding se démocratisait.
"Est-ce qu'aujourd'hui un éditeur a vraiment besoin de 23 intégrations pour optimiser ses revenus ?"
Le site Mind calculait en octobre 2019 qu'un éditeur français travaillait en moyenne avec 23,1 SSP. "Est-ce qu'aujourd'hui un éditeur a vraiment besoin de 23 intégrations pour optimiser ses revenus ? Je n'en suis pas sûr", commente Julien Gardès, head of publishers development EMEA chez Triplelift. S'il y a consensus sur le fait que la multiplication des SSP crée de la valeur, ils sont également de plus en plus nombreux à se dire que cela n'est vrai que jusqu'à un certain point. "La réalité, c'est que la plupart des SSP sont connectés aux mêmes DSP et qu'au bout d'un moment, l'émulation peine à se créer", assure Julien Gardès. D'où l'intérêt de faire le tri. L'intégration à un SSP ne coûte en soi pas grand-chose mais elle n'est pas sans risque : sur l'expérience utilisateur, avec un chargement de la page qui s'alourdit, et sur la protection de la vie privée : plus on a de partenaires et plus on prend le risque de travailler avec quelqu'un qui est moins regardant sur le sujet. Impensable à l'heure du RGPD.
Sylvain Travers en est convaincu : "Une phase de débranchements va s'amorcer en 2022." Certains ont pris les devants à l'image de Prisma Media qui début octobre a coupé l'accès d'un SSP à son inventaire, parce que ce dernier ne lui apportait plus suffisamment de revenus. L'éditeur de marques comme Femme Actuelle, Capital et Geo a en effet défini un plancher de revenus (qu'il préfère garder pour lui) en dessous duquel un SSP ne doit pas tomber. "C'est un moyen de challenger nos partenaires", justifie Maxime Mesmin, revenue programmatic manager chez Prisma Media. Un SSP qui tombe en dessous de ce seuil est immédiatement alerté. "Si on voit qu'il n'arrive pas à redresser la barre au bout de plusieurs mois, on agit en conséquence", commente Maxime Mesmin. Un SSP présent client-side, via le wrapper prebid.js (le Graal), pourra être rétrogradé server-side, et devoir se contenter d'une intégration moins prestigieuse (et moins efficace) via prebid server ou open bidding de Google. Un SSP qui n'était déjà présent que server-side sera débranché.
C'est peu ou prou la même méthode chez 20 Minutes. "On vient de couper un partenaire et on réfléchit à faire de même pour un autre", confie Eva Galand, directrice des revenus automatisés de 20 Minutes France. Le partenaire qui est sur le fil du rasoir va faire l'objet de tests dans les semaines à venir. "On va diminuer le nombre d'impressions qu'on lui envoie. Pas assez pour qu'il s'en aperçoive, car on ne veut pas dégrader notre relation commerciale, mais suffisamment pour que l'on voit s'il y a un impact sur les revenus qu'il nous rapporte."
"On regarde de plus en plus à qui les SSP vendent et à quel prix, pour s'assurer qu'il n'y a pas de cannibalisation de notre offre directe"
Ce grand nettoyage tient autant à la multiplication des branchements qu'à l'évolution du rôle des SSP. Ces derniers ne sont plus de simples tuyaux technologiques. Ils ont, de plus en plus souvent, un rôle d'aiguillage des investissements qui transitent par leur plateforme, notamment parce qu'ils négocient de plus en plus souvent des deals côté demande. "Des SSP comme Index Exchange et Triplelift sont aujourd'hui blindés de deals. Je sais que si je leur mets un petit coup de pression, la hausse peut être immédiate", témoigne un patron de régie qui préfère rester anonyme. Cette évolution du rôle du SSP impacte directement sa relation avec les éditeurs. "On regarde de plus en plus à qui ils vendent et à quel prix, pour s'assurer qu'il n'y a pas de cannibalisation de notre offre directe", confirme Gaël Demessant.
L'enjeu principal pour les éditeurs, c'est de valoriser l'apport de chaque partenaire. C'est-à-dire le nombre de campagnes qui lui sont exclusives (et qu'un éditeur perdrait en le débranchant). Ou encore, lorsque le SSP a gagné, le différentiel entre son enchère et celle du second plus fort enchérisseur. Un SSP qui l'emporte à chaque fois d'une courte tête n'a pas la même valeur qu'un autre qui est capable de bien monétiser des impressions où la concurrence est moindre. "Le but, ce n'est évidemment pas de finir avec à peine cinq SSP branchés. Il s'agit juste de protéger la valeur de notre inventaire", estime Eva Galand. Raison pour laquelle les partenaires qui ont un comportement qui porte préjudice à ce dernier seront, eux, pénalisés.
"On a récemment découvert qu'un partenaire commercialisait des deals spécifiques Prisma Media à un tarif moins élevé que ce que nous vendons en direct", s'agace Gaël Demessant. Sanction immédiate. Même vigilance du côté de 20 Minutes où, dans une logique de circuit court, on fait la chasse aux SSP qui revendent… à d'autres SSP. "L'arrivée des fichiers ads.txt a permis de faire la transparence là-dessus", se félicite Eva Galand. Et de donner l'exemple d'un SSP qui a récemment contacté 20 Minutes pour ajouter plein de revendeurs au sein de son fichier ads.txt. "C'est évidemment un non franc et massif." L'experte programmatique de 20 Minutes confie suivre de près l'identité des partenaires qui achètent auprès de chacun de ses SSP. "Est-ce que c'est intéressant pour moi qu'un SSP X m'apporte beaucoup de business via Criteo alors que je travaille avec eux en direct ?"
"On privilégie l'accès le plus court à l'inventaire pour être plus compétitif"
A qui profitera ce ménage ? "Aux SSP qui s'appuient sur des connexions les plus directes possibles avec les éditeurs", prévient Sylvain Travers. Multiplier les intermédiaires entre la demande et l'éditeur, c'est porter préjudice aux revenus de ce dernier, chaque acteur impliqué touchant une commission sur le montant versé par l'annonceur. On parle, côté demand, de SPO pour supply path optimization. "On privilégie l'accès le plus court à l'inventaire pour être plus compétitif", explique Sylvain Travers. Il est important pour un SSP de se différencier de la concurrence, en allant vers des nouvelles typologies de formats ou d'annonceurs. "Le SSP n'est plus un business de commodité", ajoute Julien Gardès. Chez Smart, on met en avant le rachat de Dynadmic, une plateforme publicitaire spécialisée sur la vidéo, la télévision connectée et le ciblage contextuel. "Cette intégration verticale doit nous permettre d'apporter plus de demande unique", explique Ingrid Couasnon, EVP sales EMEA chez Smart.
"On va doubler d'ici un an la valeur de revenus à atteindre pour rester intégré client side chez nous"
"Beaucoup de SSP se sentent menacés mais c'est une saine régulation du marché", estime Julien Gardès. Une régulation qui devrait se durcir en 2022. "On va doubler d'ici un an la valeur à atteindre pour rester intégré client side chez nous", prévient Maxime Mesmin. La concurrence sera rude mais cela ne veut pas dire pour autant que les éditeurs ferment la porte aux nouveaux entrants. "Ce n'est pas parce qu'on enlève des partenaires qu'on ne va pas en tester d'autres", prévient Eva Galand.
C'est d'ailleurs l'un des petits paradoxes de cette période de nettoyage. Les médias français coupent les connexions avec les SSP les moins performants… mais multiplient celles avec ceux qui sont efficaces. "On a de plus en plus de SSP qui peuvent être connectés via prebid.js, prebid server side et open bidding de Google", témoigne Eva Galand. Au moins trois intégrations wrapper avec un même SSP, cela peut faire beaucoup mais c'est devenu la norme. Cela permet au SSP partenaire d'optimiser son taux de réponse, en trouvant pour chaque impression, la connexion la plus efficace. "Un de nos partenaires a déjà été appelé 10 fois pour une même requête pub", illustre Gaël Demessant. La pratique pourrait toutefois ne pas perdurer. Toujours dans une logique de SPO, certains DSP, à l'image de The Trade Desk, demandent désormais à leurs partenaires SSP ne choisir qu'un seul chemin au moment de les solliciter. Ici encore, il y a du ménage à prévoir.