Après les tests, la TV segmentée se prépare au décollage
Avec un bassin naissant d'audiences jugé satisfaisant, et en attendant l'arrivée de Free, les régies TV s'adaptent à la gestion des petits et moyens annonceurs, majoritaires dans leurs recettes, et ambitionnent déjà le programmatique.
Avec la TV segmentée, la télévision linéaire devient le terrain de jeu des petites et moyennes entreprises jusque-là absentes de ce levier traditionnellement réservé aux grands annonceurs. En attestent les premiers bilans des régies des chaînes historiques : 56% du chiffre d'affaires de TF1 PUB en TV segmentée en 2021 a été généré par les annonceurs locaux, soit 92 nouveaux annonceurs de la régie, pour la plupart des petites et moyennes entreprises. Chez FranceTV Publicité, ce ratio est de 55% à 60% en fonction des mois.
Encore à ses balbutiements, le marché reste confidentiel, mais promis à un bel avenir. Estimé à 5 millions d'euros en 2021 selon Emmanuel Amiot, partner chez Oliver Wyman, il pourrait tripler cette année à 15 millions. Surtout, il est identifié comme un levier de croissance pour les chaînes, une denrée rare actuellement.
Une dynamique que les deux régies entendent bien booster avec des partenariats stratégiques pour les épauler dans la commercialisation des leurs offres en région – Leboncoin Publicité pour TF1 PUB, Adcleek pour France TV Publicité, et ce n'est que le début. "Nous souhaitons faciliter les choses pour l'annonceur local en rendant nos inventaires de TV segmentée accessibles dans les outils dont il se sert déjà pour ses campagnes : la mise à disposition de notre API ADspace chez Adcleek en est un exemple, d'autres annonces seront faites cette année", explique Thomas Luisetti, directeur stratégie numérique et innovation technologique de FranceTV Publicité. La régie donne accès à ces inventaires aux TPE-PME également via une plateforme automatisée, ADspace entreprises.
En route vers le programmatique garanti
On l'aura compris, la stratégie des régies est de faciliter l'accès à la TV segmentée à tous les annonceurs. Comme en plus cette technologie de monétisation est similaire à ce qui se fait en digital, avec l'ad server comme pivot, il n'a pas fallu beaucoup de temps pour que TF1 PUB lance le bêta test de son offre de TV segmentée en programmatique garanti. Si tout se passe comme prévu, l'offre sera commercialisée avant l'été. L'activation des campagnes se trouvera facilitée grâce à l'automatisation de l'achat et au suivi en temps réel via le DSP. Bien entendu, la méthode reste adaptée aux exigences de la TV : toute activation dépendra d'une validation préalable de la créa. De même, les enchères n'y sont pas applicables, du moins pour le moment.
Quatre mois de R&D avec Freewheel et The Trade Desk ont été nécessaires pour cela. Si TF1 est précurseur en la matière, les portes ne sont pas pour autant fermées aux autres régies. " Nous espérons que d'autres chaînes TV rejoindront notre initiative en adoptant de leur côté ces technologies, tout notre intérêt est de favoriser le décollage de ce secteur ", lance Philippe Boscher, directeur marketing adjoint de TF1 PUB. Une information qui ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd du côté de FranceTV Publicité, qui suit cette actualité avec attention. "C'est le sens de l'histoire de toucher tout type d'acheteurs, y compris ceux qui passent par un DSP digital : nous pensons qu'il faut agir en effet collectivement et nous regardons avec intérêt les tests menés par TF1 PUB avec Freewheel et The Trade Desk", déclare Thomas Luisetti.
Quelle évolution pour le bassin d'audiences opt-in ?
Fin 2021, 5,5 millions de foyers équipés de box Orange, Bouygues Telecom et SFR, soit 12 millions d'individus ayant donné leur consentement, étaient éligibles à recevoir de la publicité segmentée. Un bassin qui représente 20% des foyers français. Ces chiffres, publiés par l'AF2M, l'association qui fédère les opérateurs télécom, et le Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV), devraient augmenter de 36% d'ici la fin de l'année selon les estimations, en partie grâce au renouvellement des box. "Nous sommes sans doute loin des 150 millions d'euros de surcroît de revenus que la TV segmentée pourrait de générer, mais nous estimons avoir atteint une taille critique suffisante pour que la plupart des annonceurs y trouvent leur compte", explique Philippe Boscher.
Free, deuxième opérateur français en nombre de foyers, pourrait peser sur la balance. "Les discussions sont en cours avec Free et nous espérons trouver un accord rapidement avec eux, comme nous l'avons fait avec Orange, Bouygues et SFR", déclare Thomas Luisetti.
Si tout le potentiel de ce marché paraît lointain pour ces régies, deux changements importants auront sans doute un impact positif sur les recettes. Le premier est l'ouverture progressive des créneaux prime time, d'abord pour les box Orange, depuis l'automne dernier, et bientôt pour Bouygues Telecom. Au total, chez TF1 PUB, le prime time pèse déjà 30% des requêtes publicitaires en TV segmentée. Du côté de FranceTV, où la publicité n'est pas autorisée après 20 heures, c'est le créneau de 19 à 20 heures qui est depuis monétisé. L'autre verrou qui va sauter prochainement est la limitation à un seul spot substituable par écran publicitaire.
Des points de couverture incrémentaux
Si l'intérêt de la TV segmentée semble surtout de générer de nouveaux courants d'affaires pour la TV linéaire, il permet également aux régies de fidéliser les grands annonceurs TV en leur offrant un levier avec des fonctionnalités et des KPI très proches du digital : on achète des impressions au CPM, on se voit offrir plusieurs dizaines de segments de ciblage sur des critères de géolocalisation, de centres d'intérêt et de qualification des foyers, on connaît le nombre d'impressions activées et le taux de complétion atteint…
Chez TF1 PUB, les grands annonceurs ont pesé pour 44% des recettes en 2021, 45% pour FranceTV. La TV segmentée se présente dans ce cas comme un levier complémentaire, idéal pour renforcer la pression sur des cibles précises et pour conquérir de nouvelles audiences. "La TV segmentée ne remplacera ni la TV ni la radio pour ces grands annonceurs : son intérêt est dans la complémentarité pour renforcer la diffusion sur des cibles encore plus pertinentes en évitant de surcharger les consommateurs pour qui le message n'a pas d'intérêt", explique Philippe Boscher.
Quand on voudra prendre la parole pour promouvoir l'énergie solaire, seules les régions bien ensoleillées du pays seront exposées à la campagne. De même, pour renforcer la promotion de sa voiture électrique, le constructeur automobile privilégiera les segments d'agglomérations ou les foyers propriétaires de résidences localisées de préférence dans les régions où les primes à l'achat sont plus généreuses.
Pour ces grands annonceurs, la TV segmentée est également une solution pour toucher les foyers dont la consommation télévisuelle est limitée. "La data déterministe fournie par les opérateurs nous permet de cibler uniquement les foyers qui consomment peu la TV : cela a d'autant plus de valeur qu'on touchera certainement un foyer qui n'aura pas vu la campagne nationale de l'annonceur", précise explique Philippe Boscher.
Une première étude d'efficacité média réalisée par TF1 PUB avec Orange Advertising pour un acteur de la grande consommation qui a choisi de cibler le segment "des petits consommateurs TV" en parallèle à sa campagne nationale a permis de démontrer un apport de couverture incrémental de 5 points généré par la campagne en TV segmentée. TF1 PUB travaille en ce moment sur la mise au point d'une solution de tracking drive-to-web.
Chez FranceTV, plus de 160 campagnes diffusés après le lancement de l'offre de TV segmentée en novembre 2020, on voit des annonceurs monter déjà en maturité et s'intéresser à des logiques plus sophistiquées de ciblage tenant compte de la typologie des foyers ou des thématiques de consommation. La régie cherche à innover également en testant en ce moment le déclenchement automatique des campagnes en fonction de la météo.