Alain Heureux (IAB Europe) "Nous allons lancer une charte européenne de bonne conduite publicitaire"

A l'occasion de la quatrième conférence européenne de l'Interactive Advertising Bureau à Barcelone, le président de l'IAB Europe dresse un état du marché et fait le point sur les enjeux qui attendent le secteur.

JDN. Réuni en congrès à Barcelone, l'IAB a présenté la dernière édition de son étude Adex sur la publicité en Europe. Quel bilan dressez-vous pour le marché en 2009 ? 

Alain Heureux. Le marché a bien résisté, avec une progression de 4,5 %. La publicité digitale pèse aujourd'hui 14,7 milliards d'euros, soit presque autant que le marché américain et ses 16,2 milliards d'euros. Certes, la croissance en 2009 n'est pas celle de 2008 (+20 %, ndlr.) mais entre la crise économique et la maturité du marché, cette progression est considérable. Surtout si l'on observe la baisse du marché publicitaire dans son ensemble en Europe. 

Vous êtes le premier président élu de l'IAB Europe. Six mois après votre élection, quels sont vos objectifs pour l'IAB ? 

Je suis président élu depuis six mois, mais j'occupais la fonction depuis deux ans et demi ! Mon principal souhait est de bâtir une Europe avec des IAB nationaux beaucoup plus organisés. Jusqu'à présent, la plupart des branches européennes de l'IAB s'est développée sans grande ambition autre que le réseautage entre acteurs de la publicité digitale. Pendant longtemps nous avons organisé des événements pour nous auto-congratuler, mais ces rendez-vous n'avaient aucun impact sur le marché ou les pouvoirs publics. Petit à petit, nous nous professionnalisons, à l'image de nos bureaux britannique et allemand, qui emploient respectivement une vingtaine et une quinzaine de personnes. Nous continuons par ailleurs l'expansion de l'IAB en Europe avec l'ouverture de nouveaux bureaux, en Russie par exemple. 

Votre objectif est-il de faire évoluer l'IAB d'un club professionnel en un lobby européen ? 

Nous voulons être l'association qui représente les professionnels de la publicité digitale. Au niveau européen, nous devons en effet avoir un rôle d'influence au niveau des institutions. Nous travaillons également avec les autres associations professionnelles européennes, comme celles des annonceurs, des agences, des éditeurs, des télévisions ou des radios qui sont toutes établies à Bruxelles. Au niveau national, j'estime que l'IAB a davantage un rôle d'ambassade à la porte de laquelle on peut frapper pour obtenir un service, un accueil. Ces ambassades vont également plus loin et essaient d'harmoniser le marché digital et de favoriser son essor au niveau national.  

"Cookies et adresses IP sont nos outils de travail"

Quels sont les enjeux réglementaires pour la publicité en ligne ? 

Le principal, c'est celui de la protection de la vie privée, et donc des données personnelles. C'est le grand dada de mesdames Reding et Kroes [Viviane Reding et Nelly Kroes sont respectivement commissaires européens en charge des Droits fondamentaux et de la société numérique, ndlr]. Il y a un réel problème de définition de ce que l'on appelle des données personnelles. Ce sont pour nous des outils permettant de rendre la publicité plus acceptable grâce au ciblage des internautes. 

Les cookies ou l'adresse IP sont justement considérés comme des données personnelles... 

Nous pensons que ce ne doit pas être le cas. Nous ne cherchons pas à savoir si nous envoyons un message à Pierre, Paul ou Jacques : nous laissons simplement les machines sélectionner à notre place les internautes pour lesquels le message que nous souhaitons adresser sera pertinent. Or le "paquet télécom", voté en 2009, établit l'obligation d'obtenir le consentement des utilisateurs avant l'installation de cookies sur leurs ordinateurs.

L'esprit de la loi est de vouloir plus de transparence et de choix pour l'utilisateur. En quoi cela vous gêne-t-il ?

Nous avons compris ce message, mais pensons qu'il n'est pas nécessaire d'en faire une loi. Imaginez qu'il faille demander un opt-in pour chaque dépose de cookie sur un ordinateur : cela va tout simplement bloquer le Web ! Je pense que mesdames Kroes et Reding le comprennent, mais elles sont entourées d'activistes de la vie privée qui les asticotent et essaient de nous faire passer pour de grands méchants loups occupés uniquement à observer les internautes. 

"Il faut responsabiliser l'industrie par l'autorégulation"

Comment éviter les débordements sans réglementation ? 

Je pense qu'il faut responsabiliser l'industrie, en passant non pas par la loi mais par l'autorégulation du secteur. Nous devons parvenir à promouvoir l'autorégulation et à calmer les ardeurs politiques et législatives des institutions. Il nous faut pour cela leur expliquer que la notion de vie privée a changé. Nous devons également travailler sur son adaptation dans les législations nationales. 

Quelle est votre stratégie au niveau national ? 

Le paquet télécom ne prévoit pas que le consentement d'un internaute soit explicitement accordé par le biais d'une procédure d'opt-in. Il serait justement préférable de procéder par un opt-out, qui permettrait par défaut le stockage de cookies, tout en offrant aux internautes la possibilité de les refuser s'ils le souhaitent. Nous allons donc essayer, avec tous les IAB d'Europe, de nous battre au niveau national pour faire en sorte que le consentement de l'utilisateur s'exprime par un opt-out dans l'ensemble des pays. Si l'un des Etats membres dérape en transposant cette directive par l'opt-in, ce sera le drame. 

Quels gages de bonne foi allez-vous donner à Bruxelles en échange ? 

Jusqu'à présent, le monde de la publicité s'est essentiellement focalisé sur une déontologie du contenu. Nous voulons créer une déontologie de la technologie publicitaire. Nous allons, comme l'ont fait les comparateurs de prix en France, lancer une charte européenne de bonne conduite qui sera soumise aux annonceurs, aux agences et aux éditeurs. Cette charte sera accompagnée d'un label dont les signataires pourront se prévaloir sur Internet au travers d'un logo. Tous les adhérents de l'IAB devraient la signer. Nous aurons un droit d'audit sur leurs pratiques et réfléchissons à une plate-forme centrale de signalement des abus ainsi qu'à un système de sanctions en cas de plaintes d'internautes. 

Quand cette charte sera-t-elle opérationnelle ? 

Nous travaillons dessus depuis une dizaine de mois et voulons la lancer mi-juin. Notre objectif est de présenter rapidement cette charte à la Commission européenne pour montrer patte blanche. Nous voulons aller vite car la Commission européenne veut revoir intégralement la réglementation européenne sur la protection des données au cours des prochaines années. 

Avez-vous d'autres projets ? 

Nous avons demandé au cabinet McKinsey de réaliser une étude chiffrant le coût de l'ensemble des services Internet si la publicité n'existait pas. L'objectif de cette étude est de tenter de mettre un prix sur les services en ligne qui sont aujourd'hui gratuits, car financés par la publicité et de faire comprendre l'utilité de notre industrie. C'est aussi grâce à elle que de nouveaux services apparaissent et se financent tous les jours sur Internet. Il faut donc agir pour son développement, pas pour sa disparition.  

Alain Heureux est le président de l'Interactive Advertising Bureau Europe ainsi que de la branche belge de l'IAB. Diplômé en droit de l'Université catholique de Louvain (Belgique), il a auparavant fondé plusieurs agences européennes spécialisées dans le marketing direct et l'Internet : CPM Group, Virtuology et Tagora. Il se consacre actuellement à plein temps à l'IAB.